Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

Capitalismes politiques : la Guerre de Quarante Ans

Articles
|
Date de publication
|
Image de couverture de la publication
le_grand_continent.png
Accroche

Et si le parallèle entre la guerre froide et la rivalité sino-américaine n’avait guère de sens ? Pendant les années 1980, les États-Unis ont regardé avec inquiétude la croissance économique japonaise, créant tout un ensemble de dispositifs aujourd’hui mobilisés contre la Chine. Aujourd’hui, cette lutte de quarante ans pourrait transformer les États-Unis.

Image principale
Le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping, rencontre en marge du sommet G20 à Nusa Dua, Indonésie - 14 novembre 2022
Le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping, rencontre en marge du sommet G20 à Nusa Dua, Indonésie - 14 novembre 2022
Chinese Foreign Ministry Press Office/UPI/Shutterstock
Corps analyses

Alors que la Guerre froide est très régulièrement employée comme étalon de mesure permettant de juger de l’état de dégradation des relations entre les Etats-Unis et la Chine, ce n’est pas l’unique, ni même forcément la plus pertinente, des comparaisons. Le niveau d’interdépendance entre les deux puissances, la vigueur des tensions commerciales, l’importance prise par les technologies émergentes dans la compétition : tous ces éléments conduisent à orienter le regard vers un autre épisode de tensions, celui qui opposa les Etats-Unis et le Japon des années 80 jusqu’au milieu des années 1990. Dans un article précédent, nous nous sommes penchés sur cette période en étudiant l’inquiétude qui avait frappé la société américaine, qui avait craint de perdre son hégémonie économique et technologique.

Nous allons aujourd’hui essayer de démontrer que, face à la Chine, les Etats-Unis se sont trouvés confrontés à deux questions similaires : comment échanger librement avec une économie qui ne respecte pas les règles de l’économie de marché telles qu’elles sont envisagées à Washington ? L’Amérique a-t-elle intérêt à continuer d’échanger librement sur le plan commercial et technologique avec une puissance risquant de la dépasser ? Face à des comportements jugés déloyaux et injustes, les Etats-Unis ont cherché à employer leur poids économique et politique pour contraindre leurs compétiteurs. Les instruments utilisés aujourd’hui pour contraindre la Chine et ralentir le développement de secteurs critiques ont été créés, expérimentés ou renforcés dans les années 1980 et 1990 pour assurer le maintien de la prééminence économique et technologique de l’Amérique face au défi né des usines, des laboratoires et des salles de marché de Tokyo, Osaka et Yokohama. Les deux situations se distinguent toutefois en raison des fortes inquiétudes en matière sécuritaire ou des droits de l’Homme provoquées par la montée en puissance de la Chine qui provoque un recours accru à la contrainte. 

Le système de marché libre contre l’État développementaliste

La libre entreprise, le libre marché, la concurrence : à écouter Jimmy Carter en 1978, ce sont les piliers sur lesquels est fondée l’économie américaine. Et encore… ces mots furent prononcés avant la révolution reaganienne, qui fit naître ce que Fred Block appelle un « fondamentalisme de marché » refusant l’intervention publique considérée par principe comme inutile et inefficace. Au contraire, les politiques publiques de certains partenaires des Etats-Unis sont guidées par un sévère scepticisme quant à l’idée que le seul marché laissé à ses propres forces est en mesure de conduire à la prospérité. Dans son célèbre livre sur le Ministère du commerce international et de l’industrie japonais (MITI), Chalmers Johnson contraste ainsi le système socio-économique américain qui repose sur la rationalité de marché et le système japonais qui fait preuve d’une rationalité planificatrice et développementaliste. Aujourd’hui, la République populaire de Chine est elle aussi adepte de définition par l’Etat de priorités stratégiques. L’Etat-Parti reste aujourd’hui un acteur clé de l’économie notamment grâce aux nombreuses entreprises d’Etat et au contrôle étroit qu’il exerce sur le système bancaire. [...]

Sur un air des années 1980 : les outils américains dans la compétition avec la Chine

De cette similitude entre les reproches américains adressés au Japon des années 1980 et à la Chine d’aujourd’hui découle une continuité dans les outils utilisés pour faire face à cette compétition économique et technologique. 

Dans les deux cas, conformément à l’attachement américain au système commercial multilatéral, les Etats-Unis portent des initiatives diplomatiques, exhortant leur concurrent à respecter leurs engagements internationaux, dans le cadre du GATT pour le Japon et de l’OMC pour la Chine, notamment sur les questions d’ouverture des marchés et de protection de la propriété intellectuelle.

Les Etats-Unis bénéficient dans ces négociations avec Tokyo comme avec Pékin d’un argument de poids : la menace d’imposer des sanctions commerciales à l’autre en faisant appel à la Section 301 du Trade Act de 1974, qui autorise (voire oblige) le président américain à répondre aux « pratiques commerciales étrangères injustes » en imposant des sanctions. Élargie et renforcée en 1988 (notamment sur la propriété intellectuelle, Special 301, et les télécommunications, Telecommunications 301) en réponse aux inquiétudes américaines vis-à-vis du Japon, cette autorité a été brandie par Washington lors des négociations avec Tokyo. Même en l’absence de représailles tarifaires actées, la menace des sanctions a pesé dans la conclusion des accords conclus entre les deux pays, tels que celui sur les supercalculateurs en mars 1990 ou celui sur les satellites en juin 1990. Alors qu’à partir de 1995 et de la création d’un mécanisme de règlement des différends à l’OMC, les Etats-Unis avaient largement diminué les recours unilatéraux à la Section 301, l’administration Trump a convoqué ce même outil juridique face à la Chine, allant cette fois jusqu’au bout de la démarche. Après un rapport d’enquête par l’USTR sur les pratiques chinoises en matière de transferts de technologies, de propriété intellectuelle et d’innovation, l’administration Trump a ainsi imposé de lourdes barrières douanières aux importations chinoises au titre de la Section 301. Cette politique agressive lui a finalement permis de conclure un accord avec la Chine en janvier 2020.

Pour protéger les entreprises américaines dans un contexte de forte compétition technologique et économique face à la Chine, les autorités américaines ont également réutilisé et renforcé les outils de contrôle des investissements entrants qui avaient été établis dans les années 1980 pour répondre à la menace japonaise. Ainsi, bien que créé quelques années avant, c’est en 1988, en réponse aux inquiétudes du Congrès sur l’acquisition de certaines entreprises américaines par des firmes japonaises que le Comité sur les Investissements Étrangers aux Etats-Unis (Committee on Foreign Investments in the United States, ou CFIUS) est chargé d’examiner et si nécessaire de bloquer les fusions, acquisitions ou rachats menaçant la sécurité nationale. Trente ans plus tard, préoccupés cette fois par la croissance des investissements chinois aux Etats-Unis, en particulier dans les technologies et infrastructures jugés critiques, le Congrès étend les pouvoirs de ce même comité par la loi dite FIRRMA (Foreign Investment Risk Review Modernization Act). Si ce comité attire aujourd’hui l’attention pour son enquête sur TikTok, qui pourrait aboutir à la vente forcée de l’application par sa maison-mère chinoise Bytedance, son origine est donc indissociable des scandales, qui eurent lieu dans les années 1980,  d’acquisitions par les Japonais d’entreprises stratégiques américaines, en particulier la tentative d’achat de Fairchild Semiconductor par Fujitsu en 1988. [...]

 

> Lire l'article dans son intégralité sur le site du Grand Continent.

Decoration

Contenu disponible en :

Régions et thématiques

Partager

Decoration
Auteur(s)
Photo
photo_mathilde_velliet-min.jpg

Mathilde VELLIET

Intitulé du poste
Image principale
Arme Robot Authentique Moderne De Haute Technologie
Centre géopolitique des technologies
Accroche centre

Intelligence artificielle (IA), 5G, cybersécurité, robotique, semi-conducteurs, spatial… Les technologies, notamment numériques, affectent aujourd’hui profondément l’ensemble des activités humaines et, par extension, des relations internationales. Les enjeux politiques, stratégiques, économiques et sociaux qui en découlent se manifestent à des échelles politiques multiples où se mêlent États, organisations internationales et entreprises privées. Les dynamiques de concurrence et de coopération internationales s’en trouvent transformées. C’est pour répondre à ces enjeux que l’Ifri lance à l’automne 2020 le Centre géopolitique des technologies, proposant une approche résolument européenne des enjeux internationaux liés aux technologies dites critiques.

Image principale

L'Intelligence artificielle : quelle gouvernance ?

Date de publication
04 septembre 2024
Accroche

Les développements de l’Intelligence artificielle (IA) induisent à la fois espoirs et craintes. De multiples forums internationaux tentent d’organiser une coopération en vue d’une régulation qui n’aurait de sens que globale. Il faut désormais dépasser le stade des principes généraux pour qu’elle puisse se concrétiser.

Image principale

La surproduction chinoise de puces matures : Des craintes infondées

Date de publication
07 octobre 2024
Accroche

La Chine, plutôt que d’inonder le marché mondial des semi-conducteurs à technologies matures, s’en dissocie. Si les politiques industrielles chinoises favorisent de plus en plus la production nationale de semi-conducteurs, sa propre demande en puces, en constante augmentation, devrait empêcher une arrivée massive de puces chinoises à bas prix sur les marchés étrangers. Cependant, à mesure que Pékin progresse dans son objectif de réduire la dépendance des industries nationales aux puces étrangères, les entreprises européennes et américaines de semi-conducteurs à technologies matures pourraient ressentir les effets d’un écosystème de semi-conducteurs chinois de plus en plus « involué  » (内卷).

Image de couverture de la publication
La guerre à l'intelligene artificielle? Laure de roucy-rochegonde couverture livre

La guerre à l'ère de l'intelligence artificielle

Date de publication
16 octobre 2024
Accroche

Les progrès fulgurants des techniques d'intelligence artificielle et de la robotique, et surtout leur application au domaine de la défense, font entrevoir l'émergence de nouveaux types de robots militaires, rendus toujours plus autonomes, c'est-à-dire capables de recourir à la force de leur propre chef. Les « robots tueurs » soulèvent néanmoins de nombreuses questions : ces moyens de guerre permettant de ne pas exposer l’humain peuvent-ils être pleinement contrôlés ? Qu’implique le recours à ces technologies ? 

Image principale

Sat-to-Cell. Vers la connectivité universelle ?

Date de publication
25 septembre 2024
Accroche

Le Sat-to-Cell est un nouveau type de service qui permet de connecter des smartphones directement aux satellites. La technologie évolue rapidement et de nombreuses questions se posent désormais sur ses impacts potentiels.

Crédits image de la page
Le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping, rencontre en marge du sommet G20 à Nusa Dua, Indonésie - 14 novembre 2022
Chinese Foreign Ministry Press Office/UPI/Shutterstock

Comment citer cette étude ?

Image de couverture de la publication
le_grand_continent.png
Capitalismes politiques : la Guerre de Quarante Ans, de L'Ifri par
Copier