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Accalmie avant la tempête ? Le sommet Xi-Biden et la compétition stratégique sino-américaine

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Ce 1er janvier 2024 a marqué le 45e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques officielles entre les Etats-Unis et la République Populaire de Chine (RPC). Si, à cette occasion, le président Joe Biden et le président Xi Jinping se sont échangé des lettres de félicitations louant l’importance de la relation pour la prospérité mondiale et aspirant à la faire progresser[1], ces dernières années ont toutefois été marquées par une nette dégradation de la relation sino-américaine, largement documentée dans la littérature.

Corps analyses

Une relation sino-américaine dégradée qui place la Chine au cœur des priorités de Washington

Cette dégradation peut s’expliquer par de multiples facteurs : changements dans le personnel officiel aux États-Unis et en Chine, renforcement de la position chinoise après la crise financière mondiale de 2007-2008, militarisation par la RPC d’îles contestées, volonté chinoise de réformer les instances de gouvernance mondiale et de devenir leader technologique, tensions autour de Taiwan, etc[2]. Cette dégradation de la relation et cette perception d’une menace chinoise croissante se sont traduites aux Etats-Unis par le rapide placement au rang de priorité de la « compétition stratégique » avec la Chine dans les politiques du Congrès comme de l’exécutif. Les National Security Strategies  — document résumant les priorités en matière de sécurité nationale de chaque administration — en témoignent : une rapide analyse de la fréquence des termes « Chine » et « compétition » dans ces documents montre une augmentation de leur utilisation dans les stratégies des administrations Trump et Biden (figure 1). Cette analyse textométrique des NSS est toutefois limitée au vu du faible nombre de NSS publiées et donc de la petite taille de l’échantillon étudié.

Figure 1 : Fréquence des termes liés à la Chine et la compétition dans les National Security Strategies depuis leur création (1987-2022)

Source : analyse VoyantTools réalisée par l’autrice.

L’augmentation de l’attention politique accordée à la Chine est sans doute encore plus visible dans l’activité du Congrès américain. Le nombre de projets de lois associés à la Chine a ainsi explosé au cours des 116e (2019-2020) et 117e Congrès (2021-2022), et le 118e Congrès ne devrait pas faire exception (figure 2).

Figure 2 : Nombre de projets de lois liés à la Chine déposés par le Congrès (1973-2023)

Source : Données extraites du site Congress.gov, comprenant les projets de lois (bills) et résolutions (resolutions, concurrent resolutions) auxquelles le mot-clé (Legislative Subject Term) « China » est associé par Congress.gov. Graphique réalisé par l’autrice. *Données collectées pour les résolutions déposées jusque fin décembre 2023.

Une comparaison avec le nombre de projets de lois portants sur d’autres régions traditionnellement importantes dans la politique étrangère américaine, telles que le Moyen-Orient, la Russie ou l’Iran, confirme que cette augmentation ne traduit pas (uniquement) une inflation législative généralisée, mais bien une attention croissante des élus pour la Chine (figure 3). Certes, une grande partie de ces propositions ne sont jamais adoptées. Cependant, l’ampleur numérique du phénomène et le fait que plusieurs[3] d’entre elles ont été adoptées ces dernières années, malgré la forte polarisation partisane, sont significatives de la volonté d’agir des deux partis sur les sujets liés à la Chine.

Figure 3 : Nombre de projets de lois étudiés par le Congrès par région

Source : données de Congress.gov, graphique issu de Christopher Chivvis et Hannah Miller, « The Role of Congress in U.S.-China Relations », Carnegie Endowment for International Peace, 15 novembre 2023.

C’est dans ce contexte de crispation et restrictions croissantes qu’il faut comprendre les échanges bilatéraux de ces deux dernières années. Après les tensions liées (notamment) au covid-19, les divergences d’approches quant à la guerre en Ukraine, et la visite de la présidente de la Chambre des Représentants Nancy Pelosi à Taiwan en août 2022, les présidents Xi et Biden espéraient relancer un élan plus constructif dans la relation bilatérale à l’issue de leur rencontre à Bali en novembre 2022. Cet espoir fut rapidement contredit par le survol, fin janvier 2023, d’un ballon espion chinois abattu par un F-22 américain et la crise qui s’en est suivie. Après plusieurs mois d’interruption du dialogue, les États-Unis ont entrepris des efforts diplomatiques pour le renouer, d’abord à un niveau relativement modeste (déplacement du directeur de la CIA en mai 2023, puis représentants du Conseil de sécurité nationale et du département d’État en juin). A partir de l’été, Washington a dépêché en Chine plusieurs hauts responsables tels que le Secrétaire d’État Anthony Blinken, la secrétaire au Trésor Janet Yellen, le représentant pour le Climat John Kerry, la secrétaire au Commerce Gina Raimondo, ainsi qu’une délégation du Congrès en octobre. Ces échanges ont jeté les bases de la rencontre de novembre dernier entre les deux présidents en marge du forum de l’Asia-Pacific Economic Cooperation à San Francisco, un an après le sommet à Bali.

La rencontre de novembre 2023 entre Xi Jinping et Joe Biden

Dans ce contexte tendu, les attentes étaient modestes. Loin d’un changement fondamental dans la perception et stratégie américaine envers la Chine ou d’une réelle résolution des différents, l’objectif était pour Washington de « gérer la compétition de manière responsable », de placer des « garde-fous » pour éviter tout scénario du pire[4]. A la lumière de ces attentes limitées, le sommet semble avoir été plutôt un succès. Plusieurs analystes ont noté le ton enthousiaste des officiels et de la couverture médiatique côté chinois, contrastant avec celui des mois précédents. Le sommet a en outre permis certaines avancées concrètes. Les Américains ont notamment obtenu l’accord de Pékin pour établir un groupe de travail conjoint sur la lutte contre le trafic de drogue, notamment le fentanyl, qui représente un problème majeur de santé publique aux Etats-Unis. Autre concession chinoise espérée de longue date par Washington : la réouverture des canaux de communications militaires entre les deux pays, interrompus depuis la visite de Nancy Pelosi à Taiwan, et cruciaux dans un contexte de recrudescence des activités (et des risques d’incidents) militaires autour de l’île et en mer de Chine méridionale.

D’autres points d’accord, plus vagues, incluent  la volonté de renforcer les échanges entre les deux peuples (en augmentant le nombre de vols commerciaux et d’échanges culturels et étudiants par exemple), un satisfecit adressé aux émissaires chinois et américains pour le climat, louant leurs discussions fructueuses, et le besoin de répondre aux risques liés à l’intelligence artificielle à travers des discussions entre les deux gouvernements[5].

Malgré ces modestes avancées, les principaux sujets de tension – tels que Taiwan ou la rivalité technologique – restent non résolus, et augurent d’une relation tendue ces prochaines années.

2024 et au-delà : une relation qui restera ardue

Dès le début de l’année, l’élection présidentielle à Taiwan, déterminante pour la relation de l’île avec Pékin, représentera un premier test pour le fragile apaisement de la relation sino-américaine.

Par la suite, il semble très probable qu’en 2024 le Congrès comme l’exécutif américains poursuivent leur politique de restrictions à l’égard de la Chine, avec par exemple une règle finale du Trésor attendue sur le contrôle des investissements américains en Chine, et plusieurs projets de lois au Congrès sur le sujet[6]. Le comité bipartisan sur la Compétition avec le Parti communiste chinois, au sein de la Chambre des Représentants, a même recommandé 150 actions pour éviter que les Etats-Unis ne deviennent le « vassal économique » de la Chine dans un rapport présenté comme une « feuille de route pour une législation bipartisane que nous espérons faire avancer l’année prochaine [en 2024] »[7].

Enfin, la campagne pour les élections présidentielles américaines risque de contribuer à un durcissement du ton envers la Chine, dans un contexte où il est électoralement très risqué d’être autre chose qu’un « faucon » sur le sujet. Comme le résume l’ancien directeur Chine du Conseil de Sécurité Nationale de l’administration Trump : « 2023 witnessed the death of America’s ‘“engagement policy” towards the PRC, both figuratively and literally » (faisant référence au décès d’Henry Kissinger en novembre). Quel que soit le prochain président des États-Unis, qu’il soit républicain ou démocrate, l’agenda américain de compétition avec la Chine gardera donc sans doute le même cap.

 

Billet publié sur le site de l'Observatoire des Relations Extérieures du Monde Anglophone, de l'Université Aix-Marseille.

 

[1] « Leaders of China and the United States Exchange Congratulatory Letters on the 45th Anniversary of the Establishment of Diplomatic Relations between the Two Countries », Ministry of Foreign Affairs of the People’s Republic of China, 1er janvier 2024, disponible sur :

 www.mfa.gov.cn/eng/zxxx_662805/202401/t20240105_11219096.html

[2] Rosemary Foot et Amy King, “Assessing the Deterioration in China–U.S. Relations: U.S. Governmental Perspectives on the Economic-Security Nexus,” China International Strategy Review 1 (June 1, 2019): 39–50; Michael Mastanduno, “A Grand Strategic Transition? Obama, Trump and the Asia Pacific Political Economy,” in The United States in the Indo-Pacific, ed. Oliver Turner and Inderjeet Parmar (Manchester University Press, 2020), Jon Bateman, “U.S.-China Technological ‘Decoupling’: A Strategy and Policy Framework” (Carnegie Endowment for International Peace, avril 2022) ; Robert Sutter, US-Chinese Relations: Perilous Past, Pragmatic Present, 3ème édition (Lanham, Md: Rowman & Littlefield, 2018).

[3] Citons par exemple, sur les sujets liés aux droits de l’Homme, le Hong Kong Human Rights and Democracy Act of 2019 (S. 1838), l’Uyghur Forced Labor Prevention Act (H.R. 6256), ou sur les sujets technologiques, le Secure Equipment Act of 2021 (H.R. 3919), Promoting United States International Leadership in 5G Act of 2021 (H.R. 1934) ou le CHIPS and Science Act (H.R. 4346). Autre exemple : en janvier 2023, tous les Représentants républicains et 146 démocrates ont voté pour l’établissement du Comité sur la Compétition Stratégique entre les Etats-Unis et le Parti communiste chinois.

[4] The White House, « President Joe Biden’s Meeting with President Xi Jinping of the People’s Republic of China », 15 novembre 2023, https://id.usembassy.gov/president-joe-bidens-meeting-with-president-xi-jinping-of-the-peoples-republic-of-china/

[5] The White House, « Readout of President Joe Biden’s Meeting with President Xi Jinping of the People’s Republic of China », 15 novembre 2023

[6] Mathilde Velliet, « Limiter les investissements technologiques vers la Chine : initiatives et débats aux Etats-Unis », Briefings de l’Ifri, 31 août 2023, disponible sur : www.ifri.org/fr/publications/briefings-de-lifri/limiter-investissements-technologiques-vers-chine-initiatives-debats .

[7] « Reset, Prevent, Build : A Strategy to Win America’s Economic Competition with the Chinese Communist Party », The Select Committee on the Strategic Competition between the United States and the Chinese Communist Party, décembre 2023, disponible sur : https://selectcommitteeontheccp.house.gov/sites/evo-subsites/selectcommitteeontheccp.house.gov/files/evo-media-document/reset-prevent-build-scc-report.pdf ; Michael Martina, « US committee offers 2024 legislative ‘blueprint’ for countering China », Reuters, 12 décembre 2023, disponible sur : www.reuters.com/world/us/us-committee-offers-2024-legislative-blueprint-countering-china-2023-12-12/

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Mathilde VELLIET

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Accalmie avant la tempête ? Le sommet Xi-Biden et la compétition stratégique sino-américaine, de L'Ifri par
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