La compétition technologique Etats-Unis-Chine : "courir plus vite"... en interdépendance

Déjà reconnue depuis les années 1970 comme un facteur clé dans les dynamiques de puissance internationales, l'innovation technologique est devenue ces dernières années un enjeu majeur de la relation sino-américaine. Par leur possible double usage, les technologies sont ainsi conçues par les Etats-Unis et la Chine comme le pilier de leur puissance non seulement militaire mais également commerciale.
Si le Président Biden s’est éloigné des discours extravagants de son prédécesseur sur le « découplage » entre les États-Unis et la Chine, l’annonce de sa stratégie industrielle visant à maintenir l’avantage technologique américain reflète l’analyse partagée d’un leadership à défendre face aux ambitions chinoises.
Durant les trois derniers quarts de siècle, les États-Unis ont été à la tête du développement et de l’innovation technologique dans le monde. Éperonnés par le lancement du satellite soviétique Spoutnik en 1957 et la nécessité de concurrencer l'URSS, le gouvernement fédéral américain – et avec lui les acteurs privés – ont investi massivement dans la recherche et le développement scientifiques. Comme l’énumère fièrement le Secrétaire d’État Anthony Blinken, “C'est ainsi que nous avons gagné la course à l'espace, inventé le semi-conducteur, constrit l'Internet.” En dépit des discours déclinistes, un grand nombre de facteurs attestent encore de l’incontestable vigueur de l’écosystème d’innovation aux États-Unis aujourd’hui. Les dépenses américaines dans la R&D restent les premières mondiales (656 milliards de dollars en 2019, devant les 526 milliards de dépenses chinoises) et en nette croissance, principalement grâce au secteur privé. Cinq des sept plus grandes entreprises de la tech selon Forbes était américaines en 2022, et le classement mondiales des universités est tout aussi dominé par les institutions américaines.
Des priorités chinoises historiques : autonomie et leadership technologiques
Cependant, parallélement à la dégradation des relations sino-américaines à partir du milieu des années 2010, l’importance pour Washington de maintenir son avantage s’est faite de plus en plus pressante face à l’impressionnante montée en puissance technologique de la Chine et à son ambition de « rattraper et surpasser » les États-Unis. L’ambition de rattrapage n’est pas nouvelle : les progrès dans les sciences et technologies étaient l’une des « quatre modernisations » prônée par Deng Xiaoping dès son arrivée au pouvoir en 1978, dans une Chine scientifiquement et technologiquement affaiblie par la rupture sino-soviétique de la fin des années 1950 et le chaos de la Révolution culturelle.
[...]
Durcissement bipartisan et triple réponse américaine
La réponse américaine à cette montée en puissance technologique de la Chine dépasse largement le champ des standards. La perception d’une Chine rattrapant les États-Unis (dans l’IA, l’ingénierie génétique, le calcul ou les senseurs quantiques), voire les dépassant (dans la 5G, les petits drones, les logiciels de reconnaissance faciale, ou les technologies de l’énergie propre) génère une inquiétude bipartisane claire. Alors qu’un grand nombre de griefs américains contre la Chine (subventions illégales, transferts forcés de technologie, vol de propriété intellectuelle, etc.) sont les mêmes qu’il y a 20 ans – plusieurs propositions de lois avaient d’ailleurs été déposées au Congrès pour punir ces comportements chinois dès le milieu des années 2000 – c’est cette inquiétude qui sous-tend le durcissement de la politique technologique américaine sous les administrations Trump et Biden. Celle-ci répond à trois principaux objectifs entremêlés : atténuer les vulnérabilités américaines, « courir plus vite » et « ralentir l’adversaire ».
[...]
Une interdépendance technologique très loin d’un « découplage »
La tendance à une compétition technologique sino-américaine en pleine accélération se dessine donc clairement, à mesure que chaque pays développe son arsenal législatif et cherche à coaliser ses partenaires derrière soi. Toutefois, les discours sur la « nouvelle Guerre Froide » ou le « découplage » technologique sino-américain semblent déconnectés de la réalité de l’interdépendance croissante entre les deux pays. La Chine reste aujourd’hui le premier fournisseur de biens et le troisième marché d’exportation de biens des États-Unis. Malgré les sanctions de l’administration Trump et le ralentissement lié à la Covid-19, leurs échanges commerciaux continuent à croître (+45% ces dix dernières années pour les exportations américaines vers la Chine par exemple). C’est le cas même dans les secteurs jugés stratégiques et soumis à des restrictions, comme les semiconducteurs, dont les exportations américaines vers la Chine ont augmenté de 2,1 milliards en 2021. L’interdépendance sino-américaine est également évidente dans la production de connaissance : ce sont les deux nations qui collaborent le plus au monde dans la recherche scientifique, en terme de nombre d’articles co-écrits ou de brevets conjoints.
[...]
L'article est à lire dans son intégralité dans le magazine Les grands dossiers de Diplomatie n°70, d'octobre-novembre 2022.
Contenu disponible en :
Régions et thématiques
Utilisation
Comment citer cette publicationPartager
Centres et programmes liés
Découvrez nos autres centres et programmes de rechercheEn savoir plus
Découvrir toutes nos analysesLe modèle spatial européen : une ambition à renouveler face aux transformations stratégiques
Le modèle spatial européen, fondé sur la science, la coopération et le commerce, est désormais fragilisé par les évolutions des relations internationales et les bouleversements économiques induits par le New Space. Face à la guerre en Ukraine et au désengagement américain, l’Europe doit repenser sa stratégie en ajoutant un quatrième pilier dédié à la défense, afin de renforcer sa souveraineté et décourager d’éventuelles agressions contre le continent.
Le solutionnisme technologique : vrais problèmes, fausses solutions ?
Le retour de Donald Trump à la tête des États-Unis s’est accompagné d’une montée en puissance spectaculaire des acteurs les plus radicaux de la Silicon Valley. Si un basculement dans une ère techno-libertarienne semble d’ores et déjà en cours, il pourrait se doubler d’une promotion active du technosolutionnisme, qui constitue le socle commun à la plupart des élites de l’oligopole technologique.
IA, centres de données et demande d'énergie : quelles tendances ?
Le secteur des technologies de l’information et de la communication représente aujourd’hui 9 % de la consommation mondiale d’électricité, les centres de données (data centers) 1 à 1,3 % et l’intelligence artificielle (IA) moins de 0,2 %. La demande croissante d’énergie du cloud d’abord, et maintenant de l’IA (10 % de la demande d’électricité des data centers aujourd’hui), a exacerbé cette tendance. À l'avenir, les centres de données à grande échelle gagneront du terrain parmi tous les types de centres de données et l'IA représentera probablement environ 20 % de la demande d'électricité des centres de données d'ici à 2030.
Promesses artificielles ou régulation réelle ? Inventer la gouvernance mondiale de l’IA
Face aux risques qui découlent de l'utilisation non régulée de l'intelligence artificielle, technologie clé et vecteur de transformation profonde de la société, l’urgence d’un encadrement harmonisé à l’échelle internationale s’impose plus que jamais. Le « Sommet pour l'Action sur l'Intelligence Artificielle » qui se tiendra à la mi-février pourrait être l'occasion de construire une gouvernance mondiale de l'IA au service du bien commun.