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“Pour nous Européens, le retour de Trump arrive au pire moment”

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Interviewé par Alexabdre JADIN pour

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Entretien avec l’économiste et directeur de l'Initiative géoéconomie et géofinance de l'Ifri, Sébastien JEAN. Qu’attendre de la politique économique internationale de Donald Trump ? La France pourrait-elle être visée par des hausses de droits de douane ?

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Rome, Géorgie, États-Unis. 9 mars 2024. Donald Trump, candidat à l'élection présidentielle de 2024, lors d'un meeting de campagne à Rome, en Géorgie, aux États-Unis.
9 mars 2024. Donald Trump à Rome, en Géorgie, aux États-Unis.
Phil Mistry/shutterstock
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En quoi la politique économique d’un « Trump 2 » va-t-elle changer par rapport à celle d’un « Trump 1 » ?

Sébastien Jean : Le deuxième mandat de Trump sera différent. Lui-même a changé, il a accumulé beaucoup d’expérience mais aussi d’ennemis, de rancœurs et de frustrations. Son impact n’a pas été celui qu’il espérait. Au sein des États-Unis, malgré toutes ses grandes déclarations, il n’a pas transformé l’administration américaine, et seulement partiellement le milieu politique. Au niveau international, il a mené une guerre commerciale contre la Chine tout en malmenant ses partenaires, mais son intervention n’a pas changé grand-chose à la réalité du déséquilibre des relations commerciales entre les États-Unis et la Chine, ni à celle du déficit commercial massif des États-Unis et de leur désindustrialisation.

L’accord « Phase One Deal » signé avec la Chine le 15 janvier 2020 illustre l’inanité de sa démarche. Il obtient de la Chine des engagements qu’elle ne tient absolument pas, et qui ne font qu’acter le caractère administré qu’il dénonçait dans l’économie chinoise. De leur côté, les États-Unis n’ont pas supprimé l’essentiel des barrières douanières exceptionnelles qu’ils avaient imposées à la Chine. En dépit de ses déclarations triomphales d’alors, l’impasse est claire.

Trump arrive pour prendre sa revanche, et il risque d’être plus perturbateur encore pour tous les équilibres que lors de son premier mandat. D’autant que sa victoire électorale nette et sans bavure lui confère une légitimité démocratique incontestable cette fois-ci, et que le contexte d’un second mandat peut l’inciter à vouloir laisser sa marque dans l’Histoire.

Citations Auteurs

“Trump arrive pour prendre sa revanche, et il risque d’être plus perturbateur encore pour tous les équilibres que lors de son premier mandat”

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S’il veut prendre sa revanche, à quoi faut-il s’attendre ?

Trump est emblématique de la « brutalisation » des rapports internationaux. Il faut s’attendre à retrouver cette approche transactionnelle tournant autour du rapport de force, avec moins de coordination et moins de mécanismes de marché. Sa réélection poursuit la dégradation d’un ordre international fondé sur des règles, dont Trump considère qu’il n’est plus dans l’intérêt des États-Unis. Pour les Européens, c’est difficile à transcrire ou à accepter.

L’Europe se voit comme un leader normatif. Depuis les années 1990, c’est le grand acteur international ayant les ambitions les plus élevées en termes de normes et de réglementations, au service d’objectifs comme la démocratie ou la protection de l’environnement et des consommateurs. Certaines de ces décisions normatives européennes, comme le principe pollueur- payeur ou l’interdiction des métaux lourds dans les produits électroniques, ont donné le ton au niveau mondial. C’est ce qu’Anu Bradford a appelé « l’effet Bruxelles ».

On retrouve cette ambition normative avec le Green Deal, pour être un leader de la transition écologique. Sauf que « l’effet Bruxelles », c’est un mécanisme de marché. Il faut être suffisamment important comme marché et comme producteur, de même qu’influent dans ses relations internationales, pour pouvoir jouer ce rôle de leader normatif. Notre affaiblissement réduit notre capacité d’influence. Pour nous, Européens, le retour de Trump arrive au pire moment.

Comment le changement dans le traitement de la guerre en Ukraine risque-t-il d’affecter les rapports économiques entre l’Europe et les États- Unis ?

Trump sera probablement tenté de lier les deux dossiers. La guerre en Ukraine accentue la vulnérabilité de l’Europe sur le plan sécuritaire tout en renforçant la dépendance aux États-Unis. Il sera tentant pour Trump d’utiliser le dossier sécuritaire de la guerre en Ukraine pour extraire des concessions économiques de la part des Européens. Cela nous placerait dans une situation très inconfortable. Quant aux déclarations récentes surréalistes sur le Groenland et les attaques de plus en plus frontales contre les régulations européennes dans le numérique, elles sont un premier échantillon des dérives auxquelles il faut nous préparer à faire face désormais.

Citations Auteurs

“Trump est obsédé par les déficits commerciaux.”

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Quel levier l’administration Trump pourrait-elle activer en particulier ?

Trump est obsédé par les déficits commerciaux. Il pourrait jouer sur la fragilité de l’Allemagne. Touchée de plein fouet par la rupture de la relation énergétique avec la Russie et par la révolution industrielle en cours, dans l’automobile en particulier, l’Allemagne est dans une situation délicate économiquement et stratégiquement. D’autant plus que les États-Unis sont son premier client et son plus gros excédent commercial bilatéral. Le marché américain lui faisait un peu office de bouée de sauvetage, d’où sa fragilité.

La France serait-elle en meilleure posture que l’Allemagne par rapport aux bouleversements potentiels de l’administration Trump 2 ?

La France est moins directement exposée, essentiellement parce qu’elle est en déficit commercial bilatéral vis-à-vis des États- Unis, notamment du fait de nos importations de gaz naturel liquéfié. Mais les États-Unis demeurent un débouché important pour l’économie française. Cela représente à peu près 8 % de nos exportations totales et 16 % de nos exportations hors Union européenne (UE).

On y retrouve, dans l’ordre, l’aéronautique, les produits pharmaceutiques, les boissons et ensuite d’autres produits du luxe, de l’agriculture ou des industries. Son carnet de commandes étant plein, Airbus ne sera pas fragilisé par de nouvelles menaces de Trump. Sur les produits pharmaceutiques, il me semble difficilement soutenable politiquement de brandir la menace de droits de douane, même si cela n’empêche pas de faire pression sur les prix autorisés sur notre marché, au bénéfice notamment des multinationales américaines. En revanche, les vins, spiritueux, produits du luxe et éventuellement quelques produits alimentaires pourraient être les premiers visés. Les équipementiers de l’automobile – travaillant avec les constructeurs allemands dépendant des États-Unis – ou encore les sous-traitants de l’aéronautique pourraient également subir des répercussions.

L’accord de libre-échange du Mercosur n’est-il pas devenu un peu has been dans ce nouveau contexte plus protectionniste ?

Dans un monde plus incertain, avec des rapports plus conflictuels, il faut essayer de sécuriser des partenariats et des alliances. Mais l’accord du Mercosur est essentiellement un accord à l’ancienne, d’échange d’accès au marché dans une logique d’approfondissement de la spécialisation commerciale selon les avantages comparatifs. Sa valeur géoéconomique me semble limitée : c’est un marché trop lointain et limité (2,2 % du commerce extra-européen de l’UE) pour offrir des perspectives prometteuses de chaînes de valeur industrielles efficaces, ni même de coopération normative et technologique. L’accord n’offrira guère de garanties de sécurisation des approvisionnements. En revanche, la puissance agricole du partenaire rend cet accord très clivant. Il risque de susciter de l’incompréhension voire du rejet envers le projet européen, et de diviser les États membres. La priorité dans cette période de tensions géopolitiques sera justement l’adhésion et la cohésion, alors que des dirigeants comme Viktor Orbán ou Giorgia Meloni affichent leur proximité avec Trump, voire avec la Chine pour le premier. Pour permettre des réponses cohérentes et audacieuses, indispensables pour répondre aux défis qui se présentent, il ne faut pas laisser libre cours à des stratégies de division.

>Lire l'article sur le site de Philonomist.
 

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Journaliste(s):

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Alexandre JADIN

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Sébastien JEAN

Sébastien JEAN

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Directeur associé de l'Initiative géoéconomie et géofinance de l'Ifri

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9 mars 2024. Donald Trump à Rome, en Géorgie, aux États-Unis.
Phil Mistry/shutterstock