« L’heure n’est plus au grand découplage avec la Chine, mais à l’atténuation des risques »
Alors que les entreprises cherchent à limiter leur exposition à l’empire du Milieu, ce que les experts nomment le « de-risking », la mondialisation, loin de se résorber, se complexifie et se politise, observe Marie Charrel, journaliste au « Monde », dans sa chronique.
La mondialisation accouche régulièrement de mots-concepts dans la langue du commerce, l’anglais, aussi éclairants sur son état que sur celui de ses observateurs. Depuis quelque temps, beaucoup parlent de « de-risking », que l’on pourrait traduire par « atténuation des risques ».
Alors que les alertes liées à la géopolitique et au climat augmentent de toutes parts, les entreprises et les Etats s’emploient dorénavant à sécuriser sources d’approvisionnement en matières premières et chaînes de production. L’heure n’est plus vraiment au grand découplage avec la Chine, mais au « de-risking ». A savoir le contournement des régions potentiellement source d’insécurité. Ce qui ne signifie pas forcément en partir, mais plutôt établir un « plan B ».
C’est ainsi que des entreprises déploient la « China plus one strategy », autre concept signifiant qu’elles diversifient ou doublonnent leurs chaînes de production pour réduire leur dépendance à l’empire du Milieu, qui reste l’usine du monde. D’autres se concentrent sur le « nearshoring », le rapatriement d’une partie de leurs usines vers des contrées plus proches, voire sur le « friendshoring », leur installation dans un pays considéré comme ami. Selon une récente étude de la Banque centrale européenne, 42 % des multinationales présentes en Europe sont tentées de le faire à moyen terme.
Dans le même temps, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions occidentales contre Moscou ont également rebattu les cartes commerciales sur le Vieux Continent. Depuis mars 2022, les exportations directes de l’Union européenne à destination de la Russie ont chuté de manière spectaculaire. Mais, dans la foulée, celles de l’Europe vers l’Asie centrale ont augmenté, tout comme les flux commerciaux de l’Asie centrale et du Caucase vers la Russie, qui ont plus que doublé depuis 2021, selon la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Des réexportations de biens sans doute destinées à contourner les sanctions.
« Nouvelle étape »
Ces dernières, à l’exemple du gel des avoirs de la Banque centrale de Russie, « marquent une nouvelle étape dans la façon dont la politique contraint les relations économiques », observe l’économiste Sébastien Jean, directeur associé de l’initiative Géoéconomie et géofinance de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Dans une note sur le sujet, écrite avec Thomas Gomart, le directeur de l’IFRI, il explique que les Etats défendent désormais leurs intérêts par une « weaponization », mot qu’ils traduisent par « arsenalisation », des interdépendances, c’est-à-dire en instrumentalisant les flux immatériels, comme les échanges financiers ou d’informations.
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