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L’Allemagne, carrefour de la mondialisation

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Le triangle formé par les Etats-Unis, l’Union européenne (UE) et la Chine structure une mondialisation en cours de régionalisation. Ces trois grands pôles représentent plus de 50% de la richesse mondiale tout en étant les principaux émetteurs de CO2. Le segment sino-américain constitue la base de l’ensemble. La présidence Trump a dévoilé la rivalité sous-jacente entre Washington et Pékin pour la suprématie technologique.

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Les deux pays placent la dualité civilo-militaire au cœur de leurs systèmes d’innovation d’où l’importance qu’ils accordent, l’un et l’autre, aux transferts technologiques. Les autorités chinoises ont acté la « découplage » annoncé par l’administration Trump, qui avait été lui-même motivé par le plan Made in China 2025 lancé par Li Keqiang en 2015. Pour elles, il s’agit d’être auto-suffisantes dans toutes les technologies critiques, notamment en matière de semi-conducteurs.

En vingt ans, la Chine a ravi à l’UE sa place de numéro 2 sur la scène internationale, tout en convoitant celle de numéro 1. Alors que la récession mondiale est de l’ordre de 7% en 2020, du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale, l’économie chinoise sortira da la crise de la covid-19 en légère croissance. Ayant maîtrisé l’épidémie sur son territoire au prix d’un contrôle particulièrement étroit de la population, Xi Jinping apparaît comme l’homme fort du moment. Côté face, après avoir mis au pas Hong Kong, il a montré à l’Australie le prix à payer pour ses critiques. Côté pile, il a conclu un vaste accord commercial régional – le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) – avec quatorze pays de la région Asie-Pacifique dont le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, les principaux alliés stratégiques des Etats-Unis. Fin décembre 2020, il a obtenu un « accord de principe » pour un accord sur les investissements avec l’UE – Comprehensive Agreement on Investments (CAI) – en discussion depuis 2013. La Chine aura profité de la période de transition entre les administrations Trump et Biden pour marquer des points dans la guerre commerciale qui l’oppose aux Etats-Unis.

En dépit de la crise sanitaire, l’Allemagne a aussi su utiliser sa présidence de l’UE, ainsi que son mandat de membre du conseil de sécurité des Nations unies (2019-2020) et son poids au sein de l’OTAN, pour promouvoir sa vision du multilatéralisme, et surtout ses intérêts. La grande affaire de Berlin est de gérer simultanément ses relations avec Washington et Pékin, et de le faire au nom de l’UE. Angela Merkel quittera la chancellerie en septembre 2021 après quatre mandats consécutifs après avoir connu quatre présidents et sept Premiers ministres français. Elle aura su mettre à profit son exceptionnelle longévité pour placer son pays au carrefour de la mondialisation. L’élection de Joe Biden s’est immédiatement traduite par une réaffirmation de la traditionnelle solidarité transatlantique à travers des solides canaux germano-américains, souvent ignorés en France. A l’ « autonomie stratégique européenne » mise en avant à Paris, Berlin préfère la « souveraineté européenne », manière de déplacer le regard du militaire vers l’économique. Car il ne faut jamais oublier qu’un produit sur douze exporté dans le monde est d’origine allemande. Et un sur trente d’origine française.

En décembre 2019, Emmanuel Macron avait déclaré l’OTAN en état de « mort cérébrale ». Un an plus tard, les dix personnalités chargées de réfléchir à son avenir de l’OTAN ont rendu leur rapport. Parmi elles, Hubert Védrine faisait le constat suivant : « j’ai pu vérifier que les idées françaises étaient isolées au sein de l’Alliance atlantique ». En décembre 2020, Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, concluait cette séquence d’une phrase : « L’Europe de la défense ne peut pas remplacer l’OTAN ». Aucun doute qu’elle rencontre un large écho à Berlin. Voilà pour rassurer Washington. Concernant Pékin, Berlin faisait de la conclusion du CAI un objectif prioritaire au risque de compliquer ses relations avec la nouvelle administration américaine. Sur le dossier de la 5G, les autorités allemandes se montrent beaucoup moins critiques que leurs alliés à propos des fournisseurs chinois. L’héritage d’Angela Merkel réside dans cette forme d’équidistance trouvée entre Washington et Pékin, qui consiste à découpler, à sa manière, les questions de sécurité des questions économiques. Son successeur sera-t-il en mesure de la maintenir ?

 

> Article paru dans la revue Études, févirer 2021

 

 

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Thomas GOMART

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