Des échanges marchands toujours intenses, mais de plus en plus tendus
Les relations commerciales internationales se crispent. Nul domaine ne l'illustre mieux que les voitures électriques, dont la diffusion croissante constitue une rupture technologique, mais aussi un chamboulement industriel, marqué par la domination des constructeurs chinois, en avance aussi bien en volumes qu'en compétitivité.
Face à la montée spectaculaire des ventes de ces véhicules dans l'Union européenne (UE), pour un montant qui a dépassé 11 milliards d'euros en 2023, Bruxelles a lancé une enquête sur les subventions dont bénéficient les constructeurs chinois. En octobre 2024, celle-ci a débouché sur la mise en place de droits antisubvention variant entre 8 % et 36 %, qui s'ajoutent au droit de douane initial de 10 %.
Ces taxes douanières additionnelles sont très substantielles, sur un secteur particulièrement sensible. Elles ne sont cependant pas prohibitives et des voix s'élèvent pour considérer que ces mesures seront insuffisantes pour protéger l'industrie européenne. Tel n'est pas le cas aux Etats-Unis, où des droits de douane supplémentaires supérieurs à 100 % ont été mis en place en mai (suivis en cela par le Canada, cinq mois plus tard), tandis que des interdictions pures et simples devraient bientôt frapper les systèmes de connectique embarquée d'origine chinoise, barrant de fait l'accès au marché des constructeurs automobiles.
La différence d'approche, manifeste, est loin de se limiter aux véhicules électriques : les Etats-Unis cherchent à découpler pour construire des filières distinctes de celles existant en Chine, tandis que les Européens privilégient des mesures cohérentes avec le cadre multilatéral et les instruments de défense commerciale qu'il prévoit, pour limiter les risques de dépendance à la Chine sans pour autant réduire drastiquement les liens commerciaux.
MESURES DE PROTECTION TEMPORAIRES
Au-delà des questions de cohérence que pose cette divergence d'approche entre partenaires, les évolutions récentes montrent que la crispation dépasse largement ces relations entre les trois grandes puissances commerciales. Un nombre croissant d'économies émergentes ont ainsi évoqué ou pris des mesures de protection temporaires (antidumping la plupart du temps) contre les importations chinoises, notamment de produits sidérurgiques ; c'est le cas du Brésil, du Chili, du Mexique, de la Thaïlande, du Vietnam ou de la Turquie.
Ce que révèlent ces réactions, c'est que ces crispations commerciales sont principalement alimentées par la très forte poussée des exportations manufacturières chinoises. Quasiment toutes les grandes zones ont vu leurs importations manufacturières en provenance de Chine augmenter plus vite que les exportations - à commencer par l'UE. Les Etats-Unis sont un cas à part, leur guerre commerciale y ayant limité les ventes directes en provenance de Chine ; cette guerre commerciale n'a cependant pas empêché les fournisseurs américains de substitution (Vietnam et Mexique, notamment) de s'approvisionner abondamment auprès de cette même Chine, si bien qu'il s'agit finalement plus d'une complication des chaînes d'approvisionnement que du découplage dont certains responsables politiques américains se targuent. Résultat : l'excédent commercial chinois mondial pour les produits manufacturés dépasse désormais 1,800 milliards de dollars (1,710 milliards d'euros environ) par an, soit environ un dixième du total des exportations mondiales de ces produits !
Les performances industrielles des producteurs chinois, certes remarquables, ne sauraient expliquer à elles seules un déséquilibre aussi large et soudain dans son aggravation. Les raisons principales sont plutôt à chercher dans la priorité donnée par le gouvernement chinois aux « nouvelles forces productives », c'est-à-dire à la production manufacturière, de préférence de haute technologie.
Sur fond d'atonie de la demande interne renforcée par la crise immobilière et de saturation des investissements en infrastructures, c'est le principal levier restant pour soutenir la croissance, alors que le président chinois, Xi Jinping, affiche une réticence marquée envers des mesures sociales redistribuant les revenus au bénéfice des ménages. Mais l'investissement massif dans les technologies identifiées comme stratégiques (les technologies vertes, y compris les véhicules électriques et les batteries, mais aussi les semi-conducteurs, l'intelligence artificielle et bien d'autres) est aussi motivé par la concurrence stratégique avec les Etats-Unis.
DOMINATION OUTRANCIÈRE
Le résultat est spectaculaire dans les secteurs de pointe. Il se traduit par une domination outrancière de la Chine dans les technologies vertes, des énergies renouvelables aux transports décarbonés. Alors que les tensions géopolitiques alimentent les préoccupations de sécurité économique, cette situation est génératrice de frictions.
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Tribune de Sébastien JEAN, directeur associé de l'Initiative géoéconomie et géofinance de l'Ifri, publiée dans Le Bilan du Monde 2025.
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