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Le COVID-19 au Sahel : pandémie lente mais impacts multiples

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En Afrique de l’Ouest, le premier cas de COVID-19 a été enregistré au Nigeria à la fin du mois de février. Progressivement, le virus s’est propagé dans les villes puis les campagnes des 17 pays de la région.

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Covid Sahel
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Toutefois, le virus connaît un développement très lent dans la zone sahélienne (nous parlerons ici essentiellement des pays du G5 et du Sénégal), avoisinant les 4 500 cas et 189 décès au 12 mai[1]. Si le taux d’infection rendu public est évidemment lié au nombre de tests réalisés, d’où la surreprésentation du Sénégal (presque 1/3 des cas sahéliens), la presse locale et internationale s’accorde à dire que les afflux vers les hôpitaux sont encore peu importants. L’évolution de la pandémie semble limitée dans des pays comme le Niger et le Burkina Faso, voire endiguée en Mauritanie qui ne compte plus de cas positif actif[2]. Néanmoins, le Sahel reste aujourd’hui confronté à des difficultés alimentaires, économiques et sécuritaires, qui peuvent être accentuées par les mesures prises pour contenir la propagation du COVID-19.

 

Nombre de cas détectés au 12 mai 2020[3]

 

Sénégal

Niger

Burkina Faso

Mali

Tchad

Mauritanie

Nombre de cas

1886

832

760

712

322

8

Nombre de décès

19

46

50

39

31

1

 

 

 

 

 

 

 

Des pays prompts à réagir

Les gouvernements des pays de la bande sahélienne se sont montrés réactifs à l’arrivée du COVID-19. Tous ont décrété l’état d’urgence sanitaire et acté la fermeture des frontières, des marchés, des écoles et des universités à la mi-mars. De même, des couvre-feux nocturnes ont été instaurés dans la majeure partie des pays sahéliens, à l’instar du Niger qui a en plus décidé de l’isolement de sa capitale Niamey du reste du pays[4]. Ces politiques publiques sont le plus souvent accompagnées de plans économiques sous différentes appellations (relance, résilience…). Ainsi le Tchad a mis en œuvre, dès le 16 mars, un plan d’urgence national de 15 milliards de francs CFA et des mesures budgétaires destinées à la construction d’hôpitaux mobiles et d’équipements médicaux. De même, dans le cadre du fonds de riposte et de solidarité mis en place au Sénégal, environ un million de ménages devraient recevoir une aide alimentaire. Le ministre du Développement communautaire et de l’équité sociale a ainsi lancé les opérations de distribution le 28 avril dans le département de Pikine, en banlieue de Dakar[5].

Cependant, il est important de noter certaines disparités concernant les priorités des gouvernements de la région sahélienne face à la pandémie. La Mauritanie est le pays du Sahel le moins touché par le COVID-19. Caractérisé par une faible densité de population, le pays dirigé par Mohamed Ould el-Ghazouani a, rapidement après la découverte du premier cas, fermé les frontières routières, aériennes et maritimes du pays. À l’inverse, le gouvernement malien a tenu à maintenir coûte que coûte les élections législatives.

La prise en charge à l’échelle nationale de la crise du COVID-19 est aussi appuyée par l’aide et la coopération internationale dont bénéficient les États de la zone sahélienne. En effet, les pays du G5 Sahel ont appelé, à l’issue d’une réunion le lundi 27 avril, à l’effacement de leur dette extérieure pour les aider à affronter les coûts sanitaires et économiques de la lutte contre la pandémie[6]. L’Union européenne leur a rapidement accordé un financement de 194 millions d’euros pour renforcer leurs forces de sécurité et s’est engagée à examiner la demande d’une annulation de la dette. De même, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé le 28 avril le versement d’une aide d’urgence pour différents pays et en particulier en faveur du Nigeria, pays dont le nord se trouve dans la bande sahélienne et dont l’État de Kano semble très touché, à hauteur de 3,4 milliards de dollars.

Si les mesures destinées à freiner la propagation du virus sont positives, elles se confrontent toutefois à une réalité sociale et politique difficile.

Contestations et enjeux politiques

Les réactions des populations sahéliennes ont été variables selon les pays et les mesures imposées, mais le mécontentement procédait généralement d’une défiance déjà vive vis-à-vis des autorités avant l’arrivée du COVID-19. Au Burkina Faso, la fermeture des marchés le 25 mars a été vivement contestée par les commerçants. Le Conseil national de l’économie informelle du Burkina Faso (CNEI-BF[7]) a ouvert un cahier de doléances à destination des autorités et souligné qu’elle devait être accompagnée de mesures sociales (notamment sur la question des loyers des commerçants, des aides...). Sous la pression des commerçants, les autorités ont consenti à rouvrir le marché central de Ouagadougou et le grand marché de Bobo Dioulasso le 20 avril. Des commerçants d’autres marchés de la capitale comme celui de Nabi-Yaar[8], ont manifesté pour exiger la réouverture de l’ensemble des marchés. Le maire de Ouagadougou a rappelé à cette occasion que 49 % du PIB vient du secteur informel qui regroupe par ailleurs une très large majorité de la population active du pays.

Les fermetures au public des mosquées et autres lieux de culte ont été diversement ressenties, bien que les gouvernants aient pris le soin d’associer aux décisions les différentes autorités religieuses. Au Niger[9], certaines mosquées des zones rurales sont restées ouvertes malgré l’interdiction ; dans plusieurs localités de ce pays, des fidèles s’en sont pris à des bâtiments publics après que les forces de l’ordre les ont empêchés de prier à la mosquée. À Niamey, des croyants ont tenté, en avril, de braver l’interdiction lors de la grande prière du vendredi et des échauffourées se sont déroulées dans différents quartiers de la capitale nigérienne. En Mauritanie, ces mêmes mesures ont suscité une réaction de quelques dignitaires religieux. Dans une pétition, 100 imams ont en effet demandé la réouverture des mosquées pour la prière du vendredi[10].

Les couvre-feux se sont parfois accompagnés de violences[11] de la part des forces de sécurité censées les faire respecter. À Ouagadougou, Nouakchott ou Dakar, des témoignages et des vidéos illustrent la brutalité excessive de certains éléments des forces de l’ordre[12]. Ces réactions des populations mais également la faible diffusion du COVID-19, ont conduit les autorités à assouplir les différentes mesures (réouverture progressive des marchés et des lieux de cultes, réduction des couvre-feux).

Si l’ampleur sanitaire de la pandémie semble limitée, elle intervient dans un contexte difficile et pourrait contribuer à cristalliser davantage des enjeux politiques sociaux et économiques dans des contextes nationaux, déjà tendus et conflictuels.

Conséquences et perspectives

Au Mali, les autorités ont été critiquées pour le manque de moyens du système de santé. Le maintien des élections législatives des 29 mars et 19 avril 2020 dans ce contexte sanitaire a cristallisé les mécontentements. Cet épisode électoral[13] s’est révélé particulièrement calamiteux puisque le leader de l’opposition, Soumaïla Cissé, était enlevé par un groupe djihadiste en pleine campagne électorale ; que la participation était particulièrement faible (23,22 %) ; et que les résultats ont été contestés par l’opposition, soupçonnant des fraudes importantes. La proclamation des résultats définitifs du second tour par la Cour constitutionnelle a alors entraîné des émeutes dans différentes villes du pays ainsi que dans plusieurs quartiers de Bamako[14], témoignant de la colère des jeunes devant un pouvoir corrompu incapable de résoudre les questions de sécurité comme la question sanitaire.

Au Niger, les réactions violentes de certaines populations vis-à-vis des mesures et des autorités sont également à replacer dans un contexte marqué par de fortes tensions politiques. En effet, le gouvernement a arrêté ces dernières semaines plusieurs représentants de la société civile (pour « participation à une manifestation non autorisée ») alors qu’ils manifestaient pour dénoncer la corruption[15]. En effet, depuis la fin de l’année 2019, la société civile dénonce des contrats d’armements passés de manière hétérodoxe durant la décennie 2010[16]. On parle de détournements et de surfacturations, ce qui passe évidemment très mal dans un pays qui doit combattre le djihadisme sur deux fronts (Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest sur le flanc sud-est et l’État islamique au Grand Sahara à l’Ouest) et qui a consenti à d’énormes efforts budgétaires pour soutenir ses forces de sécurité. La pandémie semble temporairement étouffer l’écho international de cette affaire de contrats ainsi que les récentes accusations d’exactions commises par les forces armées nigériennes contre des civils dans le cadre de la lutte antiterroriste.

L’impact économique de la crise du COVID-19 pourrait également être important. En effet, certains pays sahéliens sont déjà frappés par la baisse du cours du pétrole. La Mauritanie, le Niger et le Tchad sont des producteurs de pétrole. Mais c’est surtout N’Djamena qui souffre de l’effondrement des cours, car le brut est le principal produit d’exportation (70 %) du pays et un élément essentiel de sa stabilité budgétaire. Si l’on excepte la Mauritanie et le Sénégal, les autres États sahéliens sont des pays enclavés. Ils sont donc tributaires d’autres pays pour l’acheminement de leurs exportations et de leurs importations, et subissent de fait les différentes mesures de restrictions de circulations et fermetures de frontières (même si ces mesures sont destinées en théorie aux hommes et non aux marchandises) de ces pays. La désorganisation du secteur routier et les tracasseries administratives peuvent néanmoins freiner la fluidité de la circulation des marchandises et impacter les ménages les plus pauvres comme on le signale déjà entre la Mauritanie et le Mali[17]. Cette mobilité réduite perturbe également l’élevage transhumant qui bute sur la fermeture de certaines frontières au Sahel pouvant parfois gravement obérer la résilience économique des éleveurs.

 

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Source : Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA[18]).

La crise sanitaire et les mesures qu’elle occasionne se conjuguent avec des problèmes économiques et sécuritaires qui risquent d’impacter prioritairement de nombreux ménages fragiles dont les 4 millions de déplacés et réfugiés sahéliens. Au Burkina Faso, le nombre de déplacés internes (800 000) a ainsi été multiplié par dix en moins de deux ans. Les éleveurs ainsi que les habitants des zones non contrôlées par les États, où la désorganisation des activités rurales est déjà importante, seront fortement concernés. Le Réseau de prévention des crises alimentaires (RPCA) prévoit une extension rapide des zones touchées par le risque accru d’insécurité alimentaire au Sahel à l’horizon de quelques mois.

Les effets de la crise du COVID-19 touchent des sociétés sahéliennes déjà fragilisées par des conflits et des situations économiques inquiétantes. Si les gouvernements ont pris des mesures rapides contre la pandémie, ils risquent dans les mois à venir d’être dans une quadrature du cercle et devoir arbitrer entre urgences alimentaires et sanitaires, problèmes sécuritaires et équilibres budgétaires.

 

[1]. Contre un peu plus de 18 800 cas et 438 morts pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Voir : Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), « Tackling the Coronavirus (COVID-19): West African Perspectives », disponible sur : www.oecd.org.

[2]. « Coronavirus : La Mauritanie ne compte plus de cas positif actif (officiel) », La Tribune Afrique, 19 avril 2020, disponible sur : https://afrique.latribune.fr.

[3]. OCDE, « Tackling the Coronavirus (COVID-19): West African Perspectives », op. cit.

[4]. A. Seydou, « Covid-19 : trois décès, état d’urgence, Niamey en isolement », Apanews, 29 mars 2020, disponible sur : http://apanews.net.

[5]. « (COVID-19) Sénégal : démarrage officiel de la distribution de l’aide alimentaire à 1 million de ménages », French.China.org.cn, 29 avril 2020, disponible sur : http://french.china.org.cn.

[6]. « Covid-19 : le G5 Sahel demande l’annulation de sa dette extérieure », Le Point, 29 avril 2020, disponible sur : www.lepoint.fr.

[7]. I. Ouédraogo, « Fermeture des marchés et yaars : Les acteurs du secteur informel plaident pour des mesures d’accompagnement », LeFaso.net, 27 mars 2020, disponible sur : https://lefaso.net.

[8]. A. Thiombiano, « COVID-19 au Burkina Faso : Les commerçants de Nabi-Yaar manifestent pour la réouverture du marché », Burkina 24, 28 avril 2020, disponible sur : www.burkina24.com.

[9]. « Covid-19 au Niger : réduire les tensions entre Etat et croyants pour mieux contenir le virus », International Crisis Group, 23 avril 2020, disponible sur : www.crisisgroup.org.

[10]. Z. Filali, « Covid-19 : Mauritanie, l’Etat sur les traces de 100 imams auteurs d’une pétition pour la prière du vendredi », Financial Afrik, 30 avril 2020, disponible sur : www.financialafrik.com.

 

[11]. S. Niasse Ba, Y. Gourlay et S. Douce, « Couvre-feu à la matraque : l’Afrique de l’Ouest se rebelle », Le Monde, 30 mars 2020, disponible sur : www.lemonde.fr.

[12]. A. Sylvestre-Treiner, « De Nairobi à Dakar, pour appliquer le couvre-feu, la police fait régner la terreur », Courrier International, 31 mars 2020, disponible sur : www.courrierinternational.com.

[13]. « Le Mali élit ses députés malgré les attaques djihadistes et le coronavirus », Le Monde, 19 avril 2020, disponible sur : www.lemonde.fr.

[14]. « Législatives : manifestations au Mali après l’annonce des résultats définitifs », La Tribune Afrique, 5 mai 2020, disponible sur : https://afrique.latribune.fr.

[15]. « Niger : Arrestation arbitraire de 8 membres de la société civile », Fédération internationale pour les droits humains, 17 mars 2020, disponible sur : www.fidh.org.

[16]. M. Olivier, « L’armée nigérienne au cœur d’un scandale sur des soupçons de surfacturations et de détournements », Jeune Afrique, 2 mars 2020, disponible sur : www.jeuneafrique.com.

[17]. M. Gérard, « Coronavirus : après la pandémie, une grave crise alimentaire menace au nord comme au sud », Le Monde, 12 mai 2020, disponible sur : www.lemonde.fr.

[18]. Voir : www.food-security.net.

 

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Créé en 2007, le centre Afrique subsaharienne de l’Ifri produit une analyse approfondie du continent africain, de ses dynamiques sécuritaires, géopolitiques, politiques et socio-économiques (en particulier le phénomène d’urbanisation). Le Centre se veut à la fois, via les différentes publications et conférences, un espace de diffusion d’analyses à destination des médias et du public mais aussi un outil d'aide à la décision des acteurs politiques et économiques à l'égard du continent.  

 

 

Le centre produit des analyses pour différents organismes tels que le ministère des Armées, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Agence française de développement (AFD) ou encore pour différents soutiens privés. Ses chercheurs  sont régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.

 

 

L’organisation d’événements de divers formats complète la production d’analyses en amenant les différentes sphères de l’espace public (académique, politique, médiatique, économique et société civile) à se rencontrer et à échanger outils d’analyse et visions du continent. Le Centre Afrique subsaharienne accueille régulièrement des responsables politiques de différents pays d’Afrique subsaharienne. 

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