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Un an après le début du blocus saoudo-émirati contre le Qatar. Quelles conséquences pour l'Afrique de l'Ouest ?

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Le 5 juin 2017, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et Bahreïn rompaient leurs relations diplomatiques avec le Qatar et s’accordaient pour isoler l’émirat via un blocus aérien et terrestre.

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Sous prétexte d’un discours qu’aurait prononcé l’émir du Qatar Tamim ben Hamad Al Thani le 23 mai, critiquant la politique américaine et rappelant les liens forts entre son pays et l’Iran[1], ces pays ont décidé de punir le Qatar. Depuis un an, la situation est bloquée, le Qatar refuse d’appliquer la liste des treize demandes des Émirats et de l’Arabie Saoudite. Celles-ci comprennent notamment la fermeture de la chaîne Al Jazeera et de la base militaire turque sur son territoire, la réduction des relations diplomatiques avec l’Iran ainsi qu’une coupure totale des liens avec des mouvements tels que le Hezbollah ou encore les Frères musulmans[2]. Cependant, si cette crise n’oppose que des pays du golfe Persique, hormis l’Égypte, les deux camps ont tenté d’obtenir des soutiens. Donald Trump a pris position pour la partie saoudo-émiratie[3] – mais le département d’État sous Rex Tillerson (2017-2018) est toujours resté prudent –, l’Europe reste neutre, aucun dirigeant ne se hasardant à choisir un camp plutôt qu’un autre. La confrontation a été particulièrement vive en Afrique de l’Ouest. Quatre pays de cette zone – Sénégal, Mauritanie, Tchad et Niger – ont rapidement réévalué à la baisse leurs relations diplomatiques avec le Qatar peu après le début de la crise. Cependant, leur stratégie vis-à-vis de ce riche Émirat gazier a considérablement évolué ces douze derniers mois alors que les efforts de Doha pour obtenir de nouveaux soutiens dans le reste de l’Afrique de l’Ouest commençaient à porter leurs fruits.

Si la Mauritanie et le Niger persistent, le Tchad et le Sénégal évoluent.

Des quatre pays ayant rappelé début juin 2017 leurs ambassadeurs, le Sénégal[4] est clairement celui dont la position a le plus surpris le Qatar. La pression saoudienne a été extrêmement forte sur ce pays via des émissaires envoyés par le roi pour convaincre Macky Sall d’appuyer la mise au ban qatarie. Cette position du Sénégal fut dès le début considérée à Doha comme une anomalie. Le Qatar a utilisé une rhétorique culpabilisante très efficace visant à faire comprendre que le soutien à la position saoudo-émiratie avalisait un changement de régime à Doha – ce qui est clairement l’objectif final de la coalition anti-Qatar. Après plusieurs échanges avec l’émir du Qatar, Macky Sall a finalement réinstallé son ambassadeur à Doha courant août 2017.

Au contraire, le rappel de l’ambassadeur mauritanien n’a absolument pas surpris le Qatar. La relation entre les deux États est plutôt fraîche depuis l’arrivée au pouvoir à Nouakchott de Mohamed Ould Abdel Aziz en 2008. Le peu d’investissement consenti par le Qatar en Mauritanie malgré les multiples promesses a fini par agacer les autorités de la république islamique. Alors qu’en comparaison, le Fonds saoudien pour le développement (FSD) a financé d’innombrables projets en Mauritanie[5]. Le pouvoir mauritanien a aussi utilisé l’argument selon lequel le Qatar soutiendrait le mouvement politique Tawassoul (obédience Frère musulman) qui représente aujourd’hui le parti d’opposition le plus organisé au président Mohamed Ould Abdel Aziz. À ce jour, il n’est pas question d’un retour d’un diplomate mauritanien à Doha, le dernier ambassadeur attend d’ailleurs toujours une réaffectation.

En ce qui concerne le Niger, la décision de rappeler l’ambassadeur à Doha, prise par le président sans consultation avec le ministère des Affaires étrangères, a été influencée par l’ambassadeur d’Arabie Saoudite au Niger, Saud Abdulaziz Al Dayel, ainsi que par le président tchadien, Idriss Déby Itno. Le Niger venait tout juste d’ouvrir son ambassade à Doha en 2015 avec l’espoir – déçu – d’attirer des financements. Le rappel de l’ambassadeur nigérien n’a eu pour ainsi dire aucune conséquence en termes d’investissements et de transferts financiers. Une fois encore, comparé aux aides saoudiennes notamment venues du FSD[6], le Qatar n’a pas effectué de gestes significatifs vis-à-vis du Niger, notamment du fait de leurs relations relativement récentes.

Enfin, la position du Tchad est celle qui a le plus évolué. Après avoir rappelé son ambassadeur en juin, le président Idriss Déby a été jusqu’à rompre les relations diplomatiques le 23 août 2017 et fermer son ambassade au Qatar donnant dix jours aux diplomates en poste à N’Djamena pour quitter le territoire. Pour se justifier, le ministère des Affaires étrangères a fait référence à « l’implication continue de l’État du Qatar dans les tentatives de déstabilisation du Tchad depuis la Libye[7] ». Le Tchad pointe ici principalement les activités du neveu de Déby, Timan Erdimi, qui tente depuis plusieurs années d’organiser des troupes depuis le sud de la Libye contre le pouvoir tchadien[8]. Or, Erdimi est depuis 2010 hébergé au Qatar suite à un accord passé entre le Soudan, le Tchad et l’Émirat, veillant à s’assurer de son éloignement de la zone sahélienne après avoir multiplié les tentatives de déstabilisation depuis le territoire soudanais. Énième retournement de situation, six mois après la rupture des relations, le 20 février 2018, le ministre des Affaires étrangères tchadien Chérif Mahamat Zene se rend à Doha pour renouer les relations diplomatiques et évoquer la réouverture des ambassades. Malgré la très bonne relation que le président tchadien a nouée avec les Émirats arabes unis depuis le début de la crise – en témoigne la nomination de son fils Zakaria Idriss Déby comme premier ambassadeur tchadien dans le pays –, la situation financière dégradée du Tchad l’a contraint à se rapprocher du Qatar. En effet, le fonds d’investissement qatari, Qatar Investment Authority, se trouve être l’un des actionnaires du trader Glencore, ce dernier étant l’un des premiers détenteurs de la dette tchadienne. Le Qatar a ainsi accepté de renégocier les emprunts – en accordant des années de grâce et en revoyant le taux à la baisse – en échange d’une reprise des relations diplomatiques[9]. Un ambassadeur tchadien a été nommé à Doha le 23 août 2018 par le président Idriss Déby.

Le Qatar tente timidement de réagir

En dehors de l’utilisation de sa puissance économique (voir le cas du Tchad), le Qatar a également mis en place une stratégie de séduction en Afrique de l’Ouest, couronnée par la visite de l’émir du 20 au 24 décembre 2017 au Burkina Faso, au Ghana, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Guinée et au Mali. L’objectif était de remercier les États n’ayant pas fait le choix de l’Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis malgré les pressions, et de les soutenir grâce à des programmes de développement. Si le Burkina Faso a ouvert son ambassade en 2015 et le Mali en 2016, le Ghana, la Côte d’Ivoire et la Guinée n’avaient pas encore de représentation à Doha lors de la visite de l’émir. Le Ghana a ouvert la sienne peu après cette visite. Quant à la Côte d’Ivoire, une ambassade a été inaugurée en 2018 et le président Alassane Ouattara s’est rendu les 16 et 17 septembre derniers au Qatar. À défaut de politique africaine, cette stratégie de multiplication des représentations diplomatiques permet de montrer une image dynamique des relations avec l’Afrique.

Le ministère des Affaires étrangères qatari doit cependant faire face au manque de diplomates et fonctionnaires disponibles travaillant sur le continent africain (en dehors du Maghreb – allant de la Mauritanie au Soudan). Sur ce continent, l’émir et son ministre Mohammed ben Abderrahmane Al Thani se reposent beaucoup sur d’anciens ministres africains (tel que le sénégalais Karim Wade) ou sur des conseillers « de l’ombre » (comme Mustapha Ould Limam Chafi[10]). Mais les dirigeants qataris ne disposent pas de réels experts nationaux de l’Afrique subsaharienne. Cette situation entraîne un suivi irrégulier des annonces d’investissement, creusant encore un peu plus le manque de confiance entre partenaires, comme cela s’est passé dans le cas mauritanien.

Conclusion

L’Afrique est la seule zone au monde où des pays ont décidé, sous la pression des acteurs au conflit actuel, de prendre position dans cette crise du Golfe. En dehors de l’Afrique de l’Ouest, les Comores et le Gabon ont également pris fait et cause pour le camp saoudien, et Djibouti a abaissé son niveau de représentation à Doha. Quant à la Somalie, si l’État central n’a pas pris position, le Somaliland a clairement pris le parti des Émiratis. Ces prises de position s’expliquent par une relative faiblesse étatique et une dépendance financière vis-à-vis de l’extérieur d’un certain nombre de pays sahéliens qui ont rapidement ployé sous les pressions répétées de l’Arabie Saoudite ou des Émirats, accompagnées souvent de promesses de dons. De plus, l’Arabie Saoudite tire les bénéfices d’une longue tradition d’investissements et de prêts dans cette région où la religion sunnite est largement dominante et où le pèlerinage à La Mecque a créé des liens forts et anciens avec les autorités de ces pays. Elle recueille aussi les fruits de sa politique de multiplications des bourses en direction des jeunes africains venus étudier en Arabie Saoudite à partir des années 1980 (permise par la croissance des revenus du pétrole après la révolution islamique iranienne de 1979). Les études islamiques sont privilégiées par les élèves venant du Sahel, du Nigeria et de l’Égypte[11]. Lorsque ces élèves africains reviennent diplômés chez eux, leur tropisme saoudien peut avoir une influence importante sur les décisions du pouvoir politique local. Actuellement, le Qatar attire plutôt des étudiants venant d’Asie et du Golfe ayant les moyens de payer des frais de scolarité élevés pour être admis sur les campus des grandes universités présentes à Doha (HEC, Georgetown, Northwestern, Carnegie Mellon, Cornell, Texas A&M, etc.). De plus, le fort contrôle par Riyad des organismes internationaux de prêts, telle la Banque islamique de développement (BID) basée à Djeddah dont les pays sahéliens profitent abondamment, ou encore de son influence au sein de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) – dont le siège se trouve également à Djeddah – ne peut jouer qu’en sa faveur dans les conflits géopolitiques tels que celui avec le Qatar. Même si elle s’en défend, les émissaires de Riyad ont également évoqué la baisse du nombre de visas pour le Hadj auprès des pays qui hésitaient à prendre position[12].

De l’autre côté, le Qatar est un acteur récent en Afrique subsaharienne. La plupart des ambassades et des liens que cet État a noués sur le continent ont une dizaine d’années tout au plus. Du fait de liens personnels encore fragiles au plus haut niveau, d’investissements souvent promis mais non effectués et du manque de cadres experts sur l’Afrique au ministère des Affaires étrangères, le Qatar paye au prix fort son absence totale de politique et de vision en Afrique. De plus, les différents pays ayant pris position ont très tôt pressenti combien cette crise pouvait favoriser des opportunités et créer des effets d’aubaines en jouant un acteur contre l’autre pour obtenir d’importants soutiens financiers au moment même où l’économie, en particulier dans les pays sahéliens, est très fragile du fait de la baisse des prix du baril (Tchad, Niger et Mauritanie) et des enjeux sécuritaires.

 

[1]. Ce discours n’a cependant jamais existé et a été posté sur le site de l’agence d’information qatarie via un piratage. L’information a d’ailleurs été immédiatement démentie par le Qatar. Voir B. McKernan, « Qatar’s State News Agency Blames Hackers for Fake News Story Praising Israel and Criticising Allies », The Independant, 24 mai 2017.

[2]. Toutes les demandes sont détaillées ici : « Arab States Issue 13 Demands to End Qatar-Gulf Crisis », Al Jazeera, 12 juillet 2017.

[3]. « Donald Trump Tweets Support for Blockade Imposed on Qatar », The Guardian, 6 juin 2017.

[4]. Ce dernier a promis en 2015 à l’Arabie Saoudite d’envoyer des soldats se battre à leurs côtés au Yémen. Cependant, ces derniers n’ont finalement jamais été mobilisés malgré un vote favorable au Parlement. Une des explications est que la population y est particulièrement hostile. Il est également probable que l’Arabie Saoudite n’a pas non plus versé les contreparties financières prévues.

[5]. Un exemple : « Signature de trois accords de financement entre la Mauritanie et le Fonds saoudien pour le développement », Agence mauritanienne d’information, 28 août 2017.

[6]. « Signature de convention entre le Fonds saoudien de développement et le Niger : environ 5 milliards de FCFA pour équiper sept centres de la mère et de l’enfant », Niger Diaspora, 2 juin 2011. D’autres partenariats conséquents ont été également annoncés en 2017, avant la crise du Golfe lors de la visite du président Issoufou en Arabie Saoudite. Voir « Niger-Arabie Saoudite : des pétrodollars contre des terres arables ? », La Tribune Afrique, 13 janvier 2017.

[7]. « Le Tchad ferme l’ambassade du Qatar, accusant ce dernier de tentatives de déstabilisation », Jeune Afrique, 27 août 2017

[8]. B. Augé, « Diplomatie tchadienne au Qatar : marche arrière toute ! », Le Monde, 11 septembre 2017.

[9]. B. Augé, « Étranglé économiquement, le Tchad a opéré un revirement complet vis-à-vis du Qatar », Le Monde, 3 mai 2018.

[10]. Mustafa Ould Limam Chafi a été pendant de nombreuses années l’un des conseillers les plus influents de l’ancien président burkinabé, Blaise Compaoré.

[11]. Les trois universités privilégiées sont l’Islamic University à Medine, l’Umm Al Qura University à La Mecque, et Imam Muhammad Ibn Saud Islamic University à Riyad. Source : « Who Are the Foreign Students Enrolled at Saudi Universities? », Raseef22, 4 mai 2017, disponible sur : https://raseef22.com.

[12]. B. Augé, « Quand l’Arabie Saoudite somme l’Afrique de lâcher le Qatar », Le Monde, 12 juin 2017.

 

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978-2-36567-920-6

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Benjamin AUGÉ

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L’organisation d’événements de divers formats complète la production d’analyses en amenant les différentes sphères de l’espace public (académique, politique, médiatique, économique et société civile) à se rencontrer et à échanger outils d’analyse et visions du continent. Le Centre Afrique subsaharienne accueille régulièrement des responsables politiques de différents pays d’Afrique subsaharienne. 

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