Quel avenir pour la présence militaire de la France en Côte d'Ivoire ?
Fin janvier 2012, le président ivoirien Alassane Ouattara est attendu à Paris pour signer entre autres un nouvel " accord de partenariat de défense " bilatéral entre la France et la Côte d'Ivoire. Cet accord va remplacer l'ancien accord de défense liant les deux pays, qui date du 24 avril 1961.
Dans l'esprit du " discours du Cap ", prononcé par Nicolas Sarkozy devant le Parlement sud-africain en février 2008, il devra être intégralement publié et ne contiendra plus de clause secrète permettant à la France d'intervenir militairement en faveur du gouvernement ivoirien en cas de troubles internes. Après les accords avec le Togo, le Gabon, le Cameroun, les Comores et la République centrafricaine, ce sera le sixième accord signé sur les huit accords de défense devant être révisés (seul les accords avec le Sénégal et le Djibouti sont toujours en cours de renégociation). Pour l'instant, le texte de l'accord est tenu secret. Mais contrairement à ce qui était initialement prévu, il est désormais clair que celui-ci ne marquera pas la fin de la présence militaire de la France en Côte d'Ivoire.
Une France encore présente en Côte d'Ivoire pour la formation de la nouvelle armée ivoirienne
L'armée française est présente en Côte d'Ivoire depuis la période coloniale. A partir de 1978, cette présence a été assurée par le 43e bataillon d'infanterie de marine (43e BIMa), stationné à Port-Bouët, dans le sud-est d'Abidjan, la capitale économique du pays. Cette présence a été fortement augmentée avec l'envoi de l'opération Licorne suite au début de la guerre civile ivoirienne en septembre 2002. Mais après l'annonce du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié en juin 2008, qu'une seule base " pour chaque façade, atlantique et orientale, du continent " serait maintenue, le 43e BIMa a été dissout en juin 2009. Les forces du bataillon ont été intégrées dans la force Licorne, censée quitter le pays après les élections présidentielles qui ont finalement eu lieu fin 2010.
Mais l'intervention de la France début avril 2011 a de nouveau changé la donne. Laurent Gbagbo, le président sortant, a refusé d'accepter sa défaite électorale contre Alassane Ouattara, ce qui a déclenché une grave crise postélectorale. Après plusieurs mois de tensions, Paris est intervenu avec le mandat officiel des Nations Unies de protéger la population civile ivoirienne et étrangère (y compris des diplomates occidentaux dont quelques-uns étaient menacés par des forces pro-Gbagbo), mais aussi pour aider les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) de Ouattara à arrêter Gbagbo. Ce rôle majeur de la France dans la crise ivoirienne a rouvert le débat portant sur la présence militaire de la France dans le pays ouest-africain. Fin mai 2011, à l'occasion de son investiture à la présidence, Alassane Ouattara a demandé explicitement la réactivation du 43e BIMa. Nicolas Sarkozy de son côté, a annoncé que la France maintiendra une présence permanente au-delà de la force Licorne sans donner plus de précisions. Mais différents représentants du gouvernement français ont souligné depuis que Paris ne veut pas rompre avec les annonces faites dans le Livre blanc. La France ne maintiendra donc qu'un contingent de 200 à 300 hommes dont la tâche sera, à côté de la protection des ressortissants français sur place, la formation de l'armée ivoirienne dans le cadre d'une réforme plus globale du secteur de sécurité (RSS) ivoirien.
La nécessité d'une coopération plus forte avec d'autres acteurs nationaux et internationaux
En principe, la décision de la France de soutenir les forces militaires ivoiriennes dans cette situation de post-conflit instable est souhaitable. En Côte d'Ivoire, il est sans doute nécessaire que, pour citer une source du ministère des Affaires étrangères français, " les choses se fassent vite et de manière efficace ". Néanmoins, le maintien de l'action française dans le cadre actuel présente des risques. Certes, officiellement la France agit sous le mandat de la résolution 2000 de l'ONU du 27 juillet 2011, qui donne aux forces françaises la tâche de réformer le secteur de sécurité ivoirien en étroite coopération avec l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI). Mais en pratique, Paris restera bien seule en première ligne, les pays contributeurs à l'ONUCI comme le Bangladesh, le Pakistan, la Jordanie ou le Malawi n'ayant ni les moyens ni les capacités pour réformer l'armée ivoirienne. Ce rôle crucial joué par la France pourrait notamment créer des problèmes dans l'intégration des unités des anciennes Forces de défense et de sécurité (FDS) de Côte d'Ivoire, proches de Laurent Gbagbo au sein de la nouvelle armée nationale, ces derniers considérant la France comme l'alliée d'Alassane Ouattara depuis son intervention en avril 2011.
Ainsi, il est fondamental que Paris coopère étroitement, au moins à moyen terme, avec d'autres acteurs internationaux et nationaux dans ses efforts pour soutenir l'armée ivoirienne. Une action dans le cadre de l'Union européenne (UE) aurait été une option et fut même, pendant un moment, évoquée par la France. Plusieurs Etats européens ont une expérience dans la RSS et sont perçus comme des acteurs impartiaux en Côte d'Ivoire. Mais au regard des problèmes autour de la crise de la zone euro, les Etats membres se montrent actuellement très réticents à tout nouvel engagement en matière de sécurité et de défense. Les discussions peu enthousiastes autour de possibles missions dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l'UE dans les pays du Sahel, en Libye et au Sud-Soudan le démontrent clairement.
Restent encore les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, qui ont un intérêt dans la stabilité de la région et ont annoncé leur intention de soutenir la réforme de l'armée ivoirienne. Certes, ils ont eux-aussi soutenus Alassane Ouattara dans la crise postélectorale. Mais leur rôle était plus discret que celui de la France. Cela leur donne une plus grande crédibilité au sein de la population ivoirienne, le camp pro-Gbagbo inclus. La France s'est montrée traditionnellement sceptique envers une coopération avec les acteurs anglophones dans son " pré-carré " africain. Mais seule une véritable sortie du tête-à-tête franco-ivoirien offre une chance de mettre en place une aide externe efficace pour la réunification des forces de sécurité ivoiriennes, facteur clé de l'amélioration de la situation sécuritaire en Côte d'Ivoire et d'un processus de paix et de réconciliation durable.
Tobias Koepf est chercheur invité au sein du programme Afrique subsaharienne dans le cadre du programme TAPIR (Transatlantic Post-Doc Fellowship for International Relations and Security).
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