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Mer de Chine et droit de la mer : le paradoxe chinois

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Mer de Chine et droit de la mer
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La mer de Chine méridionale est non seulement le théâtre de différends maritimes et territoriaux entre les pays riverains mais aussi le lieu d’une remise en cause du droit international de la mer.

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La stratégie d’affirmation de puissance déployée par la Chine sur ce théâtre a ceci de paradoxal qu’elle cherche à bâtir une capacité maritime de premier plan en même temps qu’elle sape les fondements du droit de la mer, dont l’un des principes essentiels – la liberté de navigation – a permis son essor économique.

La « mer domine la terre » ? Retournement du droit en mer de Chine du Sud

Les différends maritimes et territoriaux sont entrelacés. Pour mieux distinguer les enjeux, prenons la liberté de simplifier l’équation en séparant les variables : territoriales d’abord, maritimes ensuite, conformément au principe coutumier du droit maritime « la terre domine la mer ».

La partie la plus connue des contestations chinoises concerne la souveraineté sur des îles, des récifs, des hauts-fonds parfois découverts par les flots : les Spratleys, les Paracels, les Pratas, les récifs Louisa, Scarborough, les bancs Macclesfield, Second Thomas, le haut-fond James, etc. Ces souverainetés sont contestées selon les cas par Brunei, la Malaisie, les Philippines, Taïwan ou encore le Vietnam. Ces souverainetés ouvrent des droits sur les espaces maritimes environnant les terres émergées (eaux territoriales, zones économiques exclusives [ZEE]) disponibles pour la pêche ou l’exploitation d’éventuels gisements d’hydrocarbures. En effet, dans le droit maritime d’aujourd’hui, une souveraineté en mer ne peut découler que d’une souveraineté terrestre. Il n’existe pas de souveraineté maritime si l’on n’est pas riverain de l’espace maritime concerné.

Ces contestations terrestres sont bien connues du grand public. En effet certaines se sont accompagnées de l’occupation des îlots contestés et de poldérisations spectaculaires, comme celle menée par la Chine sur le récif Fiery Cross dans les Spratleys, transformé entre 2014 et 2017, de grand pâté de corail en base militaire avec port en eaux profondes et piste d’atterrissage de 3 000 mètres de long.

Même si ces revendications terrestres étaient reconnues, augmentées des droits maritimes qu’elles ouvrent selon la convention des Nations unies sur le droit de la mer (dite de Montego Bay), elles resteraient en deçà d’une autre revendication chinoise qui la contient et l’amplifie, celle dite de la « langue de buffle », ou de la « ligne en neuf traits », qui délimite 80 % de la mer de Chine méridionale et englobe toutes les îles précédemment citées ainsi que Taïwan. Bien que les juristes chinois s’en défendent, cette revendication inverse de fait le mécanisme du droit de la mer. La règle universelle veut que les droits sur la mer découlent d’une souveraineté sur la terre riveraine. Au contraire, cette langue de buffle est un espace maritime dans lequel toute terre verrait sa souveraineté déduite des droits reconnus sur les eaux qui la baignent.

Présentée pour la première fois en 1949, la ligne des neuf traits est vigoureusement revenue sur le devant de la scène depuis 2009. Dans son argumentation, la Chine n’opère aucune distinction entre zones sous souveraineté (eaux intérieures et mer territoriale) et zones sous juridiction (ZEE). Elle entretient le flou sur les droits qu’elle revendique sous les formules d’« eaux chinoises historiques », de « zones de souveraineté incontestable » et de « zones de pêche chinoise traditionnelles ». Ces revendications ont été invalidées en juillet 2016 par un tribunal arbitral international constitué à l’initiative des Philippines. La Chine juge cette sentence « nulle et non avenue ».

La remise en cause de la convention de Montego Bay concerne également la définition des lignes de base droites qui permettent de déterminer la limite des eaux territoriales ; elles peuvent ainsi s’étendre par endroits jusqu’à 122 milles nautiques des côtes chinoises au lieu des 12 milles nautiques de la convention. La Chine conteste aussi le droit de passage inoffensif des navires de guerre étrangers dans ses eaux territoriales et soumet les activités militaires dans sa ZEE à notification préalable. Toutes ces exigences sont excessives au regard du droit maritime international. Sont-elles un avant-goût des fameux droits historiques que la Chine souhaite imposer dans l’ensemble du « territoire maritime » délimité par la langue de buffle ?

Déploiement d’une stratégie hybride par la Chine

En soutien de ses revendications, la Chine conduit une stratégie qui impose les uns après les autres une série de « faits accomplis ». Sa manœuvre fait jouer une très large palette de moyens. Ses pêcheurs d’abord qui opèrent en essaims dans les zones contestées (220 bateaux de pêche mouillés autour de l’îlot Julian Felipe en mars 2021). Puis ses milices de la mer qui protègent les pêcheurs, ses garde-côtes qui les soutiennent avec 130 navires de plus de 1 000 tonnes aux pouvoirs de contrainte des navires étrangers étendus par une loi chinoise en février 2021. Et enfin sa marine de guerre dont la croissance en quantité comme en qualité défie désormais la marine américaine. La Chine déploie une posture militaire de surveillance, de suivi, de gesticulation. Les bâtiments de guerre étrangers sont interrogés, accompagnés, survolés. Un transit dans de supposées eaux territoriales provoque une contestation.

Ces manœuvres maritimes et navales sont soutenues par une manœuvre administrative avec la création de nouvelles entités administratives dans les Paracels et les Spratleys, une communication déterminée, une campagne de protection de l’environnement marin (BlueSea 2020) et même l’organisation de visites pour des touristes continentaux.

La Chine déploie également une activité diplomatique dont le principe est la régionalisation des questions liées à la mer de Chine méridionale. Selon Pékin, seule la négociation d’un code de conduite entre pays riverains peut réduire les tensions créées par l’intervention déstabilisante de perturbateurs étrangers, c’est-à-dire les États-Unis. Dans ces négociations bilatérales du code de conduite, les protagonistes ne pèsent évidemment pas du même poids que l’acteur central du processus, la Chine.

Voilà rapidement résumées les tensions croissantes en mer de Chine méridionale. Elles appellent deux séries de remarques, l’une sur la cohérence globale des postures chinoises, l’autre sur les enjeux liés au contrôle de cette mer enclavée.

Une puissance maritime qui affaiblit le droit de la mer : paradoxe du positionnement chinois

La Chine a fait depuis 2005 le choix du grand large. Elle déploie des efforts considérables pour devenir une puissance maritime globale : moyens militaires, commerciaux, scientifiques, portuaires. Sept des dix plus grands ports à conteneurs du monde sont en Chine, sa flotte de pêche n’a pas d’équivalent, et ses armateurs croissent de manière continue. Sa marine, il y a encore quelques années, côtière, aux missions défensives, est devenue hauturière, capable de projeter la puissance de ses porte-avions et la force de ses unités amphibies. Elle navigue désormais sur tous les océans, dispose de son premier point d’appui à Djibouti. Tous les quatre ans, elle met en service l’équivalent de la marine française. Ce développement s’impose pour accompagner un rayonnement commercial mondial, assurer la sécurité d’une flotte civile croissante et d’une recherche océanographique ambitieuse, protéger la première flotte de pêche au monde déployée elle aussi sur tous les océans, et soutenir une immense diaspora qu’il faut évacuer lorsque la situation l’exige, comme en Libye en 2011. Tout cela nécessite la liberté de mouvement, celle de naviguer, de déplacer ses flottes en fonction des opportunités commerciales ou des nécessités stratégiques. Cette agilité, un des fondements de la puissance maritime, est garantie par la convention internationale sur le droit de la mer. Franchir sans l’accord d’un tiers Malacca, Ormuz, Bab-el-Mandeb, Gibraltar, le Pas-de-Calais, ou Bering, doubler Ouessant, les caps Comorin ou de Bonne-Espérance, voilà ce que permet aujourd’hui le droit de la mer et qui assure la prospérité et la puissance de la Chine.

C’est pourtant ce même droit qui est aujourd’hui remis en question par la vision historique d’une mer de Chine méridionale vue comme le prolongement liquide du continent. Il y a là une contradiction manifestement assumée. Elle évoque celle de l’Angleterre du xviie siècle dont les rois déclaraient ouvertes les mers lointaines et fermées celles qui baignaient leurs côtes. Ou encore la Venise des Doges qui considérait l’Adriatique comme le golfe de la Sérénissime.

Contradictoire ou réaliste, cette posture mobilise des voisins qui se voient dénier l’accès à des ressources halieutiques ou énergétiques, et des nations maritimes plus lointaines qui veulent préserver le droit de la mer. Quelle perspective de gains peut donc motiver une posture si délicate dont le coût politique est élevé ? Une sécurité alimentaire, dit-on, produite par l’exploitation halieutique, 5 à 8 % des prises mondiales qui alimentent 300 millions de personnes en Asie du Sud-Est ; des gains économiques liés à de possibles gisements sous-marins d’hydrocarbures ; des gains militaires qui semblent beaucoup plus hypothétiques – en temps de paix, les avant-postes fortifiés sur les Spratleys contribuent au suivi permanent du flux sortant ou se dirigeant vers Malacca. De même, les vigies des Paracels observent les approches de Hainan où seraient basées des unités chinoises. Toutefois ces fonctions pourraient être assurées par le déploiement continu et agile des nombreuses unités navales et aériennes de la marine ou des gardes côtes. En revanche ces postes fixes sont extrêmement vulnérables. Leurs positions sont immuables. Les installations qu’ils abritent sont connues, répertoriées, cartographiées. Elles ne bénéficient pas de la couverture d’un système de défense global et sont implantées sur des territoires contestés. Elles seraient donc des cibles aux premiers moments d’une crise majeure. Cette ligne Maginot maritime n’apporte rien à la maîtrise du sanctuaire des eaux profondes du nord de la mer de Chine méridionale, une zone d’importance majeure qui permet le déploiement en sûreté de sous-marins stratégiques.

Conclusion

Comme l’Allemagne du début du xxe siècle ou comme l’Union soviétique au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Chine succombe – après y avoir renoncé pendant cinq siècles – à la tentation de la haute mer. Ce choix a contribué à son développement économique stupéfiant. Sur le plan naval, la géographie lui est très défavorable, ses côtes sont enclavées comme l’étaient celles de l’Allemagne en mer du Nord ou celles des flottes rouges de Baltique et de mer Noire. Est-ce cette raison stratégique pour laquelle, depuis 2009, elle prend le risque de la tension avec ses voisins et celui d’affaiblir un droit de la mer qui lui a tant apporté ? Quoi qu’il en soit, cette situation est exemplaire, elle peut inspirer et légitimer d’autres révisionnismes de la norme internationale. Ce sont ces enjeux, d’une nature universelle, qui ont appelé l’engagement régulier, annoncé, persistant de la France dans cette région.

 

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L’Asie est le théâtre d’enjeux multiples, économiques, politiques et de sécurité. Le Centre Asie de l'Ifri vise à éclairer ces réalités et aider à la prise de décision par des recherches approfondies et le développement d’une plateforme de dialogue permanent autour de ces enjeux.

Le Centre Asie structure sa recherche autour de deux grands axes : les relations des grandes puissances asiatiques avec le reste du monde et les dynamiques internes des économies et sociétés asiatiques. Les activités du Centre se concentrent sur la Chine, le Japon, l'Inde, Taïwan et l'Indo-Pacifique, mais couvrent également l'Asie du Sud-Est, la péninsule coréenne et l'Océanie.

Le Centre Asie entretient des relations institutionnelles suivies avec des instituts de recherche homologues en Europe et en Asie et ses chercheurs effectuent régulièrement des terrains dans la région.

Il organise à Paris tables-rondes fermées, séminaires d’experts, ainsi que divers événements publics, dont sa Conférence annuelle, avec la participation d’experts d’Asie, d’Europe ou des Etats-Unis. Les travaux des chercheurs du Centre et de leurs partenaires étrangers sont notamment publiés dans la collection électronique Asie.Visions.

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