Rechercher sur Ifri.org

À propos de l'Ifri

Recherches fréquentes

Suggestions

"Il n'y a plus de politique africaine." Emmanuel Macron et le fantôme de François Mitterrand

Éditoriaux
|
Date de publication
|
Image de couverture de la publication
p1_gaulme.jpg
Accroche

Le président Emmanuel Macron a prononcé le 28 novembre 2017 à l’université de Ouagadougou un discours qui, par son contexte, sa forme et son contenu, constitue un tournant majeur, au moins pour le style et les intentions, dans les relations franco-africaines.

Image principale
emmanuel_macron_afrique_3.png
Corps analyses

Trente et un ans plus tôt, les 17 et 18 novembre 1986, François Mitterrand s’était confronté à Thomas Sankara dans la capitale du Burkina Faso lors d’une visite officielle restée célèbre. La comparaison des deux événements permet de jauger l’évolution de la présidence française sur le terrain africain : le fantôme de Mitterrand, ou d’un de ses prédécesseurs, hante-t-il encore un Emmanuel Macron dont le maître-mot est le changement, en Afrique ou ailleurs ?

Deux aspects, deux marques de fabrique pourrait-on dire, appellent l’attention dans le discours et ses réponses aux étudiants à Ouagadougou : la fin d’une « politique africaine de la France », et l’appui à la « jeunesse » du continent.

Un déficit de vision politique ?

« Il n’y a plus de politique africaine » : cette déclaration allusive d’Emmanuel Macron au début de son discours n’est pas à prendre absolument à la lettre. La « politique » à laquelle il se réfère ici n’est sans doute qu’un autre nom de la « Françafrique », dont le mécanisme s’est grippé en 1994 avec le génocide rwandais et la fin du rêve français d’être « gendarme de l’Afrique ». Néanmoins, la déclaration conduit à s’interroger sur une absence (délibérée ?) de vision globale des relations franco-africaines de sa part, alors que, dans les réponses aux questions des étudiants burkinabés, le président évoque, au passage et par contraste, sa « politique au Proche et Moyen Orient ».

Dans les faits, le premier président de la Ve République à ne pas avoir connu l’époque coloniale poursuit sans rupture observable la démarche africaine de son prédécesseur, donnant priorité, avec l’opération Barkhane, à un engagement militaire direct au Sahel dans le cadre de la lutte internationale contre le terrorisme. Le choix de Ouagadougou n’est à cet égard pas indifférent : la capitale du Burkina Faso abrite la base des forces spéciales de l’opération, qui dépendent de l’Élysée. Ceci souligne le maintien d’une constante de la politique africaine de la Ve République : le contrôle direct par la présidence des interventions militaires sans réel contrôle parlementaire – situation si critiquée en Allemagne par exemple.

Contrairement à Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, Emmanuel Macron, n’entendait pas « faire un grand discours pour ouvrir une nouvelle page de la relation entre la France et l’Afrique »… Ce qui frappe cependant dans son interminable allocution (faisant ainsi écho à la longueur de la joute oratoire de 1986 entre Mitterrand et Sankara), comme dans ses réponses pourtant habiles et précises aux étudiants, est bien l’absence du politique en tant que tel. En examinant les sujets abordés, on relève l’insistance sur les questions de sécurité ou sur le renouvellement d’une aide au développement moins gouvernementale, ainsi que sur les relations économiques et le serpent de mer du franc CFA – sujet abordé pour la première fois par le président Pompidou au Togo en 1972… S’y ajoutent l’évocation inédite de questions culturelles (la langue française contemporaine) et sociétales (le sport), et enfin de courageuses réponses sur l’émigration africaine vers l’Europe. Rien donc ou presque n’a été oublié, pas même la « ville durable », sauf le domaine des relations entre États, ce que ne palliaient ni des injonctions très (trop ?) françaises sur la séparation du religieux et du politique (incompréhensible en Afrique), ni de brèves remarques ad hominem, l’une d’elles ayant conduit à une injuste polémique sur les marques de respect envers les présidents africains. Le manque de discours constitué sur la « politique africaine » devra pourtant être comblé rapidement, pour faire mieux accepter les options de cette dernière en France comme à l’étranger – serait-elle toujours en creux comme le « non-anniversaire » de Lewis Carroll.

La revanche des jeunes ?

Un autre trait, très visible à Ouagadougou, caractérise l’attitude d’Emmanuel Macron envers l’Afrique : son choix de président encore trentenaire en faveur des jeunes, absolument opposé à celui de François Mitterrand jadis. Il s’est fait applaudir en réhabilitant Thomas Sankara, devenu héros mythique trois décennies après son assassinat, mais dont la chute s’explique en partie par les excès révolutionnaires de jeunes encouragés dans tout le pays à contester un ordre traditionnel patriarcal. Dans une conférence de presse très tendue, le tout juste septuagénaire Mitterrand avait rejeté, le 18 novembre 1986 à Ouagadougou, la suggestion de Sankara de suivre l’avis de ses jeunes conseillers pour déterminer ses choix politiques. Tel l’Auguste de Cinna, il avait assuré qu’il restait en toutes circonstances maître de ses propres décisions.

Aujourd’hui, la démographie galopante de l’Ouest africain y favorise les jeunes qui, au Burkina Faso, ont joué un rôle déterminant, avec les militaires, dans la chute de Blaise Compaoré, l’homme qui avait rétabli une prépondérance des « aînés » face aux « cadets sociaux », comme disent certains anthropologues. Mais il n’est pas sûr que, dans l’état actuel de la situation sécuritaire en Afrique, un appui rhétorique et général au potentiel de changement de la jeunesse ne soit pas porteur de plus d’instabilités et de désordres que de progrès concrets de développement dans l’avenir. Le pari d’Emmanuel Macron reste risqué.

Decoration

Contenu disponible en :

ISBN / ISSN

978-2-36567-800-1

Partager

Téléchargez l'analyse complète

Cette page ne contient qu'un résumé de notre travail. Si vous souhaitez avoir accès à toutes les informations de notre recherche sur le sujet, vous pouvez télécharger la version complète au format PDF.

"Il n'y a plus de politique africaine." Emmanuel Macron et le fantôme de François Mitterrand

Decoration
Auteur(s)
Photo
francois_gaulme.jpg

François GAULME

Intitulé du poste

Chercheur associé, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri

Image principale
Afrique subsaharienne
Centre Afrique subsaharienne
Accroche centre

Créé en 2007, le centre Afrique subsaharienne de l’Ifri produit une analyse approfondie du continent africain, de ses dynamiques sécuritaires, géopolitiques, politiques et socio-économiques (en particulier le phénomène d’urbanisation). Le Centre se veut à la fois, via les différentes publications et conférences, un espace de diffusion d’analyses à destination des médias et du public mais aussi un outil d'aide à la décision des acteurs politiques et économiques à l'égard du continent.  

 

 

Le centre produit des analyses pour différents organismes tels que le ministère des Armées, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Agence française de développement (AFD) ou encore pour différents soutiens privés. Ses chercheurs  sont régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.

 

 

L’organisation d’événements de divers formats complète la production d’analyses en amenant les différentes sphères de l’espace public (académique, politique, médiatique, économique et société civile) à se rencontrer et à échanger outils d’analyse et visions du continent. Le Centre Afrique subsaharienne accueille régulièrement des responsables politiques de différents pays d’Afrique subsaharienne. 

Image principale

Le dilemme de la relation militaire franco-africaine : réinventer ou tourner la page ?

Date de publication
18 novembre 2024
Accroche

L’origine de la présence et de la coopération militaires en Afrique remonte au pacte tacite de la décolonisation de l’Afrique francophone. Cette coopération a permis la création des armées africaines des anciennes colonies et s’inscrivait dans le projet visant à éviter l’expansion du communisme et à maintenir l’influence de la France dans les pays nouvellement indépendants. 

Image principale

L'évolution de la diplomatie des villes en Afrique : impact, potentiel et défis actuels des activités internationales des villes africaines

Date de publication
15 novembre 2024
Accroche

Au cours des dernières décennies, les villes africaines se sont hissées au rang des principaux acteurs de l’évolution de la diplomatie des villes. En effet, les municipalités du continent ne se sont pas seulement adaptées aux nouvelles tendances de la coopération internationale. Elles ont façonné l’approche actuelle du partenariat où les autorités locales du monde entier travaillent ensemble pour relever des défis urbains communs tels que le changement climatique, la migration et la justice sociale.

Image principale

La Haute Autorité à la consolidation de la paix (HACP) au Niger 2011-2023. Placer l’État au cœur de la prévention et de la gestion des conflits

Date de publication
06 novembre 2024
Accroche

Comme les autres pays sahéliens, le Niger est touché par le terrorisme depuis maintenant presque deux décennies. Ce phénomène a mis en lumière à la fois les limites des appareils sécuritaires de ces pays mais également, de manière plus profonde, leur incapacité à offrir une stabilité aux populations de certaines parties de leur territoire. D’une certaine manière ces « insurrections djihadisées » s’inscrivent dans la continuité de groupes qui, régulièrement prennent les armes contre les États centraux.

Image principale

Le président spirituel du Kenya et la création d'une nouvelle république : William-Ruto, les évangéliques du Kenya et les mobilisations religieuses dans la politique électorale africaine

Date de publication
23 octobre 2024
Accroche

Au cours des deux dernières décennies, un nouveau paradigme est apparu en Afrique de l’Est et dans la Corne de l’Afrique : l’influence croissante des églises évangéliques et de leurs dirigeants dans les dynamiques électorales. La croissance numérique et démographique de ces mouvements religieux semble aller de pair avec leur rôle de plus en plus marqué dans la vie politique de ces deux régions, une présence qui a un impact sur les processus électoraux, mais aussi sur les sociétés et les formes que prend la gouvernance.

Comment citer cette étude ?

Image de couverture de la publication
p1_gaulme.jpg
"Il n'y a plus de politique africaine." Emmanuel Macron et le fantôme de François Mitterrand, de L'Ifri par
Copier
Image de couverture de la publication
p1_gaulme.jpg

"Il n'y a plus de politique africaine." Emmanuel Macron et le fantôme de François Mitterrand