Chine-Afrique : la fin de la lune de miel
La « Chinafrique » n’est peut-être pas vouée à un avenir aussi radieux que le laisse entendre la rhétorique officielle du gagnant-gagnant. Si le début du siècle a été caractérisé par le développement exponentiel du commerce sino-africain, les problèmes qui commencent à émerger semblent annoncer la fin de la lune de miel sino-africaine.
La montée d’un sentiment populaire antichinois en Afrique, l’envers du gagnant-gagnant
En 2008, en Guinée équatoriale, deux Chinois ont été tués par des travailleurs guinéens qui protestaient contre leurs conditions de travail. Cet incident s’est produit car les travailleurs chinois refusaient d’arrêter le travail et de prendre part à la protestation. En 2012, au sud de la Zambie, le manageur d’une mine de charbon chinoise a été tué par deux mineurs zambiens. Plus récemment, en 2014, à Madagascar, deux personnes ont été tuées et neuf autres blessées lors d’affrontements qui ont opposé les gérants chinois d’une usine sucrière et leurs employés malgaches. Les exemples de ce type se multiplient en Afrique et à chaque fois, ces conflits du travail violents concernent les salaires et les conditions de travail des employés africains. Les pratiques des employeurs chinois ont été mises en évidence par plusieurs ONG - dont Human Rights Watch en 2011 [1]– et, selon l’Ethics Institute of South Africa, le non-respect du droit du travail par les compagnies chinoises est une des principales causes du mécontentement des Africains[2]. À cela s’ajoutent l’importation massive de produits chinois à très bas prix et également l’arrivée de la main-d’œuvre chinoise (plus d’un million de Chinois vivraient actuellement en Afrique[3]). Cela se traduit par une concurrence très forte des produits chinois sur les marchés intérieurs africains, incarnée par la présence de Chinois dans le petit commerce jusque dans les zones rurales des pays les plus modestes du continent (Lesotho, Swaziland, etc.). Outre des pratiques de travail proches de l’exploitation, la pénétration du petit commerce africain par les Chinois (un secteur où la présence d’étrangers est très rare sur le continent) alimente un sentiment populaire antichinois. En 2009, dans la banlieue est d'Alger, des affrontements entre commerçants chinois et algériens ont éclaté et plusieurs magasins chinois ont été saccagés.
Des griefs qui finissent par être entendus
Dans plusieurs pays africains, le sentiment antichinois a obligé le gouvernement à réagir et, en Zambie, il a même contribué à l’élection du président Michael Sata, qui avait fait de la dénonciation des conditions de travail des mineurs zambiens dans les mines chinoises un de ses principaux thèmes de campagne. Une vague de législations réglementant le travail des étrangers se développe en Afrique en réponse à l’immigration de travail chinoise. En République démocratique du Congo, une loi a été adoptée en 2005 pour interdire le commerce de détail aux étrangers. Au Malawi, depuis le 31 juillet 2012, les commerçants étrangers ont été contraints de quitter les zones rurales pour s’installer dans l’une des quatre plus grandes villes du pays avec un capital minimum de 250 000 $. En Tanzanie, le parlement vient d’adopter une loi pour limiter le travail des non nationaux dans le pays. Après avoir restreint les opportunités d’emploi pour la main-d’œuvre chinoise, plusieurs gouvernements africains ont également réprimé les entreprises chinoises qui ne respectent pas la législation nationale. Au Ghana, plus de cent mineurs chinois ont été arrêtés et expulsés pour l’exploitation illégale des mines en 2013. La même année, en Zambie, c’est le non-respect des mesures de sécurité qui a conduit le gouvernement à fermer une mine de charbon chinoise. Au Kenya, tout récemment, le propriétaire d’un restaurant chinois qui a interdit l’entrée de son restaurant aux Africains après dix-sept heures a été arrêté.
Les grands contrats dans le collimateur
Le revirement critique de certains gouvernements africains s’étend aussi aux contrats miniers et pétroliers qui sont maintenant passés au crible. Au Gabon, en 2013, l’État a décidé de retirer ses droits d’exploitation pétroliers à Addax, qu’il accusait de fraude fiscale et de non-respect des normes environnementales. En 2014, le Gabon a également repris les 75 % de la Compagnie minière de Belinga (Comibel) détenus par les compagnies chinoises China Machinery Engineering Corporation et Pangang Group et qui devaient mettre en œuvre un projet minier de 1,6 milliard. Alors que ces derniers avaient promis en 2007 la construction de 560 km de chemin de fer entre Boué, le gisement et d'un port en eau profonde destiné à l'évacuation du minerai au cap Santa-Clara, le projet ne s’est jamais matérialisé. Au Tchad[4], la raffinerie de Djermaya, construite par les Chinois, en 2011, à la demande des autorités tchadiennes, est vite devenue un sujet de tension avec le gouvernement. En janvier 2012, à peine six mois après son inauguration, le ministre tchadien du Pétrole a annoncé la fermeture de la raffinerie, évoquant des divergences persistantes avec le partenaire chinois sur les prix de vente des produits sur le marché intérieur et des violations de la législation environnementale. Les autorités ont même déclaré le directeur chinois de la raffinerie persona non grata dans le pays[5]. Enfin, en Angola, le premier fournisseur de pétrole de la Chine, en 2007, le gouvernement a annulé un contrat avec la société pétrolière chinoise Sinopec pour la construction d’une raffinerie dans le port de Lobito – un projet de 3 milliards de dollars –, envoyant un message fort à son partenaire quant à sa détermination à renégocier des contrats plus équilibrés.
Ces mesures, dont certaines sont drastiques, témoignent de la méfiance grandissante de certains gouvernements africains à l’égard de la Chine. Elles démontrent une meilleure prise de conscience par ces gouvernements du déséquilibre de la relation économique sino-africaine et de l’impact parfois négatif que cela représente. Un des anciens directeurs de la banque nationale du Nigeria, Lamido Sanusi, a d’ailleurs déclaré : « So China takes our primary goods and sells us manufactured ones. This was also the essence of colonialism[6] ». Cette relation commerciale accentue la dépendance et la spécialisation des économies africaines par rapport aux ressources naturelles et entrave leurs efforts d’industrialisation. Incapables de rivaliser en termes de compétitivité, les pays africains voient leur marché intérieur envahi par des produits chinois, au détriment de la production locale, quand celle-ci existe. Il n’est donc pas surprenant que, parmi les 15 pays sondés par l’Ethics Institute of South Africa, les populations d’Afrique du Sud, de Zambie et du Nigeria aient été les plus nombreuses à avoir une perception négative de la présence chinoise et que le président sud-africain Jacob Zuma ait appelé à un rééquilibrage des relations économiques avec la Chine.
La lune de miel entre la Chine et l’Afrique est bel et bien terminée. L’enchantement des premiers temps est en train de laisser la place à une relation plus mature et plus pragmatique. Certains gouvernements africains ont compris qu’il leur revenait de prendre des initiatives pour rééquilibrer la relation avec le partenaire économique chinois. De leur côté, les autorités chinoises sont aussi conscientes de ces critiques et de la montée d’un sentiment populaire hostile. Après l’élection de Michael Sata, Zambiens et Chinois ont réussi à s’entendre sur la conclusion de nouveaux accords économiques plus équilibrés. Et en mars 2015, la Chine a annoncé avoir choisi le Kenya pour être le centre de son nouveau hub industriel et promouvoir un nouveau modèle de coopération. La Chine s’engage à financer la création d’un parc industriel à Mombasa et une zone industrielle le long du Standard Gauge Railway Corridor afin de permettre au Kenya d’améliorer sa balance commerciale avec la Chine et d’assurer à ses exportations un accès privilégié au marché chinois. L’avenir nous dira si la Chine peut apporter une contribution positive au développement industriel de l’Afrique.
[1] Human Rights Watch, « You’ll Be Fired if You Refuse », Labor Abuses in Zambia’s Chinese State-owned Copper Mine, 2011.
[2] Ethics Institute of South Africa, Africans negative about Chinese business impact, juillet 2014.
[3] Yoon Park, « Living In Between: The Chinese in South Africa », Migration Policy Institute, janvier 2012.
[4] Saad Adoum, « Les investissements pétroliers chinois au Tchad. À la recherche d’un “gagnant/gagnant”? », Actuelle de l’Ifri, mai 2012.
[5] Idem.
[6] Financial Times, 11 mars 2013.
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