La guerre informationnelle psychologique dans la pensée militaire russe et ses applications en Ukraine et en Syrie
De nombreux chercheurs s’accordent à dire que les stratégies informationnelles russes en Ukraine et en Syrie ont obtenu des résultats importants aux niveaux opérationnel, stratégique et politique. Pourtant, le concept de « guerre informationnelle » a longtemps connu une forme de rejet dans la littérature militaire russe, les militaires lui attribuant au moins deux défauts : son origine américaine et son incompatibilité avec la science militaire.
Ce concept fut donc d’abord traité comme un objet d’analyse idéologique et irrationnel, en partie hérité de l’Union soviétique. Cela pourrait expliquer pourquoi il ne bénéficie d’aucune définition dans les dictionnaires et encyclopédies militaires jusqu’en 2007 – et même de mention jusqu’en 2001 –, et semble ostracisé dans les documents de doctrine, qui s’inquiètent de l’« élaboration par une série d’États de concepts de guerres informationnelles ».
En Ukraine et en Syrie, les traces de cette perception idéologique de la guerre informationnelle sont perceptibles et conduisent à relativiser les capacités généralement données aux stratégies informationnelles russes. Les théoriciens militaires ont cependant progressivement tenté de dépasser cette vision idéologique en développant le concept de « confrontation informationnelle », plus conforme à leur appareil conceptuel, dans une version désidéologisée et rationnelle, proche de la tromperie militaire, dont l’Ukraine et la Syrie furent des terrains d’expérimentation. Particulièrement attirés par la dimension psychologique et subversive de la confrontation informationnelle, les militaires russes ont également développé le concept de « confrontation psychologico-informationnelle », qui s’apparente à une tromperie non militaire sophistiquée, applicable en temps de paix comme en temps de guerre.
Ainsi, Moscou a déployé en Ukraine et en Syrie une confrontation informationnelle sous la forme d’une tromperie militaire et non militaire, dont l’habile conduite a contribué à atteindre des objectifs décisifs. Fondé sur une analyse de la littérature militaire au sens large, des documents de doctrine et des discours d’officiels militaires et civils russes, cet article permet de retracer le cheminement conceptuel et institutionnel de la guerre informationnelle russe. Il montre que se mêlent, en théorie comme en pratique, diverses influences idéologiques, historiques et méthodologiques et met en lumière les éléments culturels qui ont présidé à l’élaboration d’une stratégie politico-militaire.
> Cet article est paru dans l'Annuaire français des relations internationales
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