Les conséquences du schisme russo-occidental

En Russie comme en Occident, les symboles historiques servent souvent à justifier les choix fatidiques. Neuf mois après les faits, Vladimir Poutine est revenu sur les conditions de « réunification historique » de la Crimée à la Russie, en disant que la péninsule revêtait une « importance stratégique » comme « source spirituelle » de la nation russe. Se référant au baptême de Vladimir le Grand à Cherson, il souligna, à cette occasion, la valeur sacrée de la Crimée pour la Russie « comme le mont du Temple à Jérusalem pour les fidèles de l'islam et du judaïsme »...
Le conflit en Ukraine résulte d'un schisme, qui fait rejouer de profondes lignes de faille entre pouvoirs temporel et spirituel, entre civilisations et États. Ces temporalités différentes précipitent le repositionnement international de la Russie et le retour de la guerre en Europe. En moins d'un an, la Russie aura ainsi connu les Jeux olympiques de Sotchi, I’annexion de la Crimée, les opérations au Donbass et la dépréciation du rouble de plus de 50 %. Sans le reconnaître ouvertement, elle est désormais engagée dans une guerre limitée, tout en subissant une violente crise économique liée à la baisse du pétrole de presque 50% entre juin et décembre 2014. Intervient simultanément une recomposition violente du Moyen-Orient avec l'irruption de Daesh. Fondamentalement, le schisme russo-occidental trouve son origine dans les rapports compliqués, entretenus par Washington, Londres, Paris et Moscou avec les pays arabes, l'Iran, la Turquie et Israël. C'est une vieille histoire qui repose la « question russe » et la « question d'Orient » en imbriquant les enjeux de sécurité de l'Europe et ceux du Levant. Ces deux théâtres sont reliés, les ondes de choc passant de l'un à l'autre. Avec soudaineté, cette interpénétration non linéaire redistribue les cartes entre Russes, Américains et Européens, tout en bénéficiant aux Chinois, qui poursuivent leur montée en puissance sans s'impliquer directement. Autrement dit, le schisme russo-occidental provoque des effets paradoxaux dont on mesure mal la portée sur le fonctionnement du système international.
Article paru dans la Revue des deux mondes, février 2015
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