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Traité nucléaire: "Le retrait américain va affecter l'Europe"

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interviewé par Romain Rosso dans

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Donald Trump a annoncé samedi que les Etats-Unis prévoyaient de sortir d'un important traité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire, signé en 1987. "La Russie n'a pas respecté le traité; nous allons donc mettre fin à l'accord et développer ces armes", a annoncé le président des Etats-Unis lors d'une visite à Elko, dans le Nevada (sud-ouest). Directeur du Centre des études de sécurité de l'Institut français de relations internationales (IFRI), Corentin Brustlein explique la portée de cette décision. 

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L'EXPRESS. Pourquoi le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) est-il important? 

Corentin Brustlein : Le FNI a été conclu en 1987, par Ronald Reagan, président des Etats-Unis, et le dernier dirigeant de l'Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev. Ce traité bilatéral interdit à ces deux Etats de tester, produire et de déployer des missiles sol-sol (balistiques ou de croisière) d'une portée comprise entre 500 et 5500 kilomètres.  

Entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, Moscou avait pris un avantage stratégique en Europe en installant des missiles SS-20 à têtes nucléaires qui pouvaient atteindre aussi bien l'Europe occidentale que l'Asie et le Moyen-Orient. Ces armes mobiles et performantes permettaient de mener des attaques surprises en profondeur à partir du territoire soviétique. Cette crise dite des "Euromissiles" avait provoqué une grande inquiétude dans les capitales européennes. A l'époque, l'Alliance Atlantique avait riposté à la menace soviétique en déployant des missiles balistiques et de croisière américaines au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas.  

Ce traité FNI a amorcé la fin de la guerre froide: plus de 2500 de ces armes ont été détruites, dans le cadre d'une procédure de vérification mutuelle. La première du genre.  

Pourquoi Donald Trump veut-il aujourd'hui se retirer de ce traité?  

Cela fait des années que les Etats-Unis accusent la Russie de tricher : ils la soupçonnent d'avoir testé, puis déployé une version terrestre de certains missiles de croisière navals du type Kalibr, entre autres, que l'on a vus à l'oeuvre en Syrie contre l'opposition à-Bachar el-Assad. Les Russes ont réalisé d'énormes progrès dans les missiles de croisière conventionnels ces dernières années.  

De son côté, Moscou accuse Washington de violer ses engagements pour d'autres raisons, qui ont notamment trait à la défense antimissile en Europe. Au sein de la communauté de défense américaine, certains considèrent, dès lors, que les Etats-Unis auraient tort de se contraindre de manière unilatérale. En première analyse, la déclaration de Trump peut être lue comme reflétant l'ambition de ramener la Russie dans le giron du traité. Mais, dans son discours, le président américain a aussi visé la Chine, alors qu'elle n'en est pas signataire !  

Pour quelles raisons ? 

La compétition stratégique grandissante avec Pékin préoccupe l'administration américaine. Depuis la fin des années 1980, l'armée chinoise a développé plus d'un millier de missiles de portée intermédiaire, qui tomberaient dans la catégorie interdite par le traité. Les Américains sont conscients que la Chine a beaucoup d'options pour frapper, avec des charges conventionnelles, les bases américaines stationnées dans la région Asie-Pacifique. Alors que Washington va devoir investir, dès à présent, des sommes considérables pour ne perdre l'avantage militaire face à la Chine, tout instrument de maîtrise des armements est perçu comme une contrainte inutile, une concession gratuite à des adversaires potentiels. 

Pourquoi l'annonce a-t-elle été faite maintenant ?  

Le timing est relativement surprenant, car Washington avait adopté, début 2018, une stratégie de pression sur la Russie se donnant plus de temps pour aboutir. La décision a pris de court les capitales européennes. Elle marque probablement un changement d'équilibre interne au sein de la Maison Blanche. Durant la première année du mandat, Rex Tillerson, à la tête du Département d'Etat, ou le général McMaster, ancien conseiller à la sécurité nationale, étaient plus soucieux de rassurer les alliés, notamment européens.  

Ces modérés ont cédé la place aux partisans d'une ligne plus dure, en particulier John Bolton, le nouveau conseiller à la sécurité du président, dont on voit l'influence grandir. Bolton prône le démantèlement des traités limitant les capacités américaines. Les partisans de ce courant de pensée estiment que les Etats-Unis ont d'excellents atouts pour remporter la nouvelle compétition stratégique qui s'engage avec Moscou et Pékin, avec un avantage comparatif économique, militaire et industriel. Face à la Russie, c'est évident : son économie n'est pas capable de rivaliser. Face à la Chine, c'est une autre histoire.  

Est-ce la fin de la limitation des forces nucléaires ? 

C'est un pas de plus vers le démantèlement de ce qu'on appelait l'architecture de maîtrise des armements. Héritée de la Guerre froide, elle reposait sur plusieurs piliers, des traités essentiellement bilatéraux. En 2001, les Etats-Unis sont déjà sortis du traité ABM, signé en 1972, qui limitait la défense antimissile, en arguant du fait que le texte les empêchait de faire face à la menace posée par les Etats proliférants régionaux.  

Si le traité FNI disparaît, il ne reste que le traité New START sur les armements stratégiques de puissance et de portées supérieures. Ce texte est censé expirer en 2021 mais il peut être prolongé pour cinq ans. Les Etats-Unis sont en train d'examiner la pertinence d'une telle décision. Alors que les deux pays modernisent leurs arsenaux, un tel traité a une valeur essentielle pour comprendre les capacités nucléaires de chacune des parties et conserver un minimum de transparence réciproque.  

Les Européens doivent-ils s'inquiéter ? 

Ce retrait va affecter la sécurité de l'Europe, c'est certain. La plupart des Européens tiennent à ces traités et s'inquiètent de voir les Etats-Unis se défaire de leur propres engagements sans se soucier des préoccupations de sécurité de leurs partenaires. Des questions commencent à surgir... Comment les Russes vont-ils réagir ? L'Europe accueillera-t-elle de nouveaux systèmes d'armes américains, conventionnels ou nucléaires ? L'Alliance risque d'être divisée sur ces questions. Des divisions que la Russie ne manquera pas d'exploiter. 

Propos recueillis par Romain Rosso

Lire l'article sur le site de L'Express.

 

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Corentin BRUSTLEIN

Intitulé du poste

Ancien Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri