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À quoi ressemblerait le monde en cas de conflit nucléaire ?

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interviewée par Marie Lombard pour

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Les menaces sont répétées, et l'hypothèse est soulevée : et si l'humanité devait faire face à une attaque nucléaire, sur fond de guerre ukrainienne ? Pour examiner la potentialité d'une telle catastrophe, et son impact, GEO a interrogé Héloïse Fayet, chercheuse à l’Ifri, coordinatrice du programme de recherche "Dissuasion et prolifération".

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Illustration guerre nucléaire
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Une vaste volute grisâtre et arrondie, champignon toxique qui écrase le ciel et avale tout sur des kilomètres et des kilomètres, maisons, rues, arbres, Hommes. Ce tableau, c’est celui de la ville d’ Hiroshima, devenue sur une décision américaine le 6 août 1945 le linceul brûlant de dizaines de milliers de Japonais.

Depuis, l’image de cette destruction hante les générations et terrorise ceux qui, n’ayant pas le pouvoir de décision sur la répétition d'une telle catastrophe, pourraient pourtant avoir à la subir. Seul "gain" de la double hécatombe d’Hiroshima et Nagasaki, dont le bombardement atomique est intervenu 3 jours plus tard : le tabou de l’arme nucléaire qui, depuis lors, n’a pas trouvé d’Homme assez fou pour le lever (et il s’en est parfois fallu de peu, comme lors de la crise des missiles de Cuba, en 1962).

Pourtant les alertes sont fréquentes, et répétées, dans la bouches de dirigeants qui jouent volontiers au yoyo avec l’idée d’une attaque nucléaire, et la paix mondiale. Il y a tout juste un an, Vladimir Poutine disait vouloir déployer des armes nucléaires "tactiques" (à différencier de "stratégiques", les plus puissantes) sur le territoire de son allié biélorusse, proche du champ de bataille ukrainien, en plein cœur de l’Europe.

(...)

La dissuasion nucléaire, équilibre vital

C’est là le principe même de la dissuasion nucléaire, concept né dans les années 1950, retrace Héloïse Fayet, chercheuse à l’Ifri, coordinatrice du programme de recherche "Dissuasion et prolifération" : 

"la dissuasion marche dans les deux sens. La Russie est dissuadée d’étendre le conflit ukrainien en dehors des frontières de l'Ukraine, car elle sait que les pays de l'OTAN sont protégés par la dissuasion nucléaire américaine et otanienne".

De même que si "Moscou sait que les États de l’Otan ne vont pas attaquer le territoire russe, c’est justement parce que ces États sont dissuadés par les armes nucléaires russes." Un équilibre au bord du gouffre qui semble pourtant tenir car, comme le rappelle la spécialiste, "l’arme nucléaire n’a pas été utilisée depuis le 9 août 1945, et pourtant le monde s’est déjà retrouvé pendant la Guerre froide dans des situations de tensions bien plus élevées que maintenant".

En attendant, les têtes nucléaires sont légions : selon le dernier rapport de la Federation pf American Scientists (FAS), la Russie détiendrait 5 580 ogives (dont 1 710 armes stratégiques déployées) contre 5 044 (dont 1 670 armes stratégiques déployées) pour les Etats-Unis. La France en aurait 290 et le Royaume-Uni 225. À eux seuls, les États-Unis et la Russie possèdent 90 % des armes nucléaires mondiales.

Selon Héloïse Fayet"il n’y a aucun signe probable ou même possible d’emploi d’une arme nucléaire de la part de la Russie, sur le théâtre ukrainien, et encore moins contre un pays de l’Otan", la doctrine nucléaire russe étant très claire à ce sujet. Elle prévoit l'usage de l'arme ultime si l'existence de la Russie est menacée ou en cas "d'atteinte à notre souveraineté et à notre indépendance", a réaffirmé Vladimir Poutine lui-même il y a quelques jours.

La destruction de 20 % des sous-marins stratégiques russes équipés de missiles balistiques, de 30 % des sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire, d'au moins trois croiseurs, de trois aérodromes ou la frappe simultanée des centres de commandement côtiers principaux et de réserve font partie des éléments déclencheurs, selon des documents consultés par le Financial Times, dont nous vous parlions récemment.

Donc, résume Héloïse Fayet"toute la rhétorique nucléaire de la part de Vladimir Poutine est une posture déclaratoire, sur le terrain on ne voit pas du tout de mouvement concernant les armes nucléaires russes".

Et en cas d'attaque nucléaire ?

Ces éléments étant posés, GEO a quand même tenu à explorer le scénario d’une utilisation, tant les fantasmes autour de l’arme nucléaire sont nombreux en ces temps de guerre. "Le scénario le plus probable dans ce monde improbable, c’est ce qu’on appelle le nucléaire tactique : ce sont des armes de "faible puissance"", concède Héloïse Fayet. Des armes de faible puissance, toujours plus puissantes que celle qui a rasé Hiroshima. Ainsi il est estimé que la bombe Little Boy était dotée d’une puissance d’explosion d’environ de 15 kilotonnes, quand les armes tactiques développées par les Etats nucléaires aujourd’hui ont une puissance allant de 1 à 100 kilotonnes (1 kilotonne = 1000 tonnes de TNT, Ndlr) . "Ce sont des armes conçues pendant la Guerre froide à des fins d’emploi sur le champ de bataille et la Russie en a encore en stock", précise la spécialiste.

(...)

Vers des "réactions en chaîne" ?

Voilà pour les projections dans ce monde de l’improbable. Car "c’est le propre de la dissuasion nucléaire", insiste Héloïse Fayet : "les conséquences sont tellement inenvisageables que c’est finalement ça qui dissuade. C’est comme ça que ça fonctionne, mais on serait certainement sur quelque chose de beaucoup plus terrible que ce qui s’est passé en 1945."

Mais, ajoute-t-elle, "si jamais il y a un emploi de l’arme nucléaire en Ukraine, on aura des préoccupations plus graves que d’estimer à combien de fois cela à équivalu à Hiroshima (...) Ca voudrait dire que le tabou nucléaire qui prévaut depuis 1945 est brisé, qu’il y a des répliques de très grande ampleur qui peuvent être mises en place."

(...)

Des conséquences… nucléaires ? "Nous devons nous sentir particulièrement protégés", estimait encore Emmanuel Macron la semaine passée lors d’une allocution devant les Français. "Notre capacité nucléaire donne une sécurité aux Français". Devant l’inenvisageable, la dissuasion nucléaire reste la meilleure barricade.

Toutefois, "la rhétorique nucléaire est de plus en plus décomplexée, et c’est ça qui est inquiétant", s'alarme Héloïse Fayet.

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Héloïse FAYET

Héloïse FAYET

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Chercheuse, responsable du programme dissuasion et prolifération, Centre des études de sécurité de l'Ifri