Prolifération et dissuasion, les deux faces d'une même pièce ?
L'invasion de l'Ukraine a ravivé, au sein du grand public, une crainte que l'on pensait d'un autre temps : celle d'une guerre nucléaire entre l'OTAN et la Russie. Dans cet épisode, Héloïse Fayet, coordinatrice du programme prolifération et dissuasion de l'Ifri, revient sur les fondamentaux théoriques et stratégiques qui sous-tendent cette crainte.
A quoi les termes de dissuasion et de prolifération renvoient-ils exactement ? Quels Etats possèdent aujourd'hui l'arme nucléaire ? Que prévoit le traité de non-prolifération et dans quelle mesure celui-ci a-t-il été efficace ? Et surtout, l'invasion de février 2022 a-t-elle fondamentalement changé la donne ?
Qu'est-ce que la dissuasion ?
"Au sens du dictionnaire, répond Héloïse Fayet, la dissuasion c'est : faire renoncer quelqu'un à son intention de faire quelque chose et de l'en détourner. Cela peut s'appliquer évidemment dans les relations internationales pour empêcher votre adversaire d'agir contre vous par exemple. Ce concept de dissuasion a pris un sens très particulier lors des premières réflexions sur l'arme nucléaire, dès la première utilisation de l'arme atomique en août 1945 sur Hiroshima et Nagasaki, car dans les années qui ont suivi on a vu l'émergence de réflexions sur l'emploi ou le non-emploi de l'arme nucléaire, tout simplement car si vous affrontez un État qui détient l'arme nucléaire, les conséquences d'un emploi de l'arme sont évidemment dramatiques."
"C'est à la naissance de l'arme nucléaire qu'est apparue la dissuasion nucléaire. Dans ce cas très spécifique, c'est : empêcher votre adversaire de vous attaquer en le persuadant que, s'il vous attaque, les représailles qu'il subira seront égales, voire supérieures, aux dégâts qu'il vous aura causés", poursuit la chercheuse.
Et "prolifération nucléaire", qu'est-ce que c'est ?
"La prolifération nucléaire, c'est tout simplement le fait que des États qui n'ont pas l'arme nucléaire s'en dotent. On distingue deux types précis de prolifération nucléaire : la prolifération verticale et la prolifération horizontale. Généralement, quand on parle de prolifération, on pense plutôt à [la seconde], c'est-à-dire quand des États qui n'ont pas l'arme nucléaire l'acquièrent, cela a été évidemment le cas de la France dans les années 50 et ensuite de la Chine, de l'Inde, du Pakistan, d'Israël et de la Corée du Nord (sachant qu'avant il y avait les États-Unis et l'URSS) [...]. Puis, la prolifération verticale qui elle concerne l'augmentation de la taille des arsenaux des pays qui sont déjà dotés de l'arme nucléaire", explique Héloïse Fayet.
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On sent intuitivement que les stocks nucléaires des États-Unis ne sont en aucun cas comparables à ceux de la Corée du Nord ou à ceux de la France, par conséquent quand on est un "petit", comment est-ce qu'on envisage l'emploi de cette arme ?
"Vous avez au sens large deux grands types de doctrine : celle d'emploi en premier et celle de non-emploi en premier. [La seconde], comme son nom l'indique, considère que même si le pays est attaqué par une arme nucléaire, la seule façon pour ce pays d'utiliser l'arme nucléaire sera pour des représailles, donc il n'y aura pas d'emploi en premier et les pays qui exercent cette doctrine considèrent que c'est moins escalatoire qu'une doctrine d'emploi en premier. Ce n'est pas le cas de la France, ce n'est pas non plus le cas de la Russie ni des États-Unis, [...] et on se rend compte que [ces acteurs] ont en soi des doctrines qui sont assez similaires, c'est-à-dire qu'à chaque fois vous allez retrouver des cas somme toute assez précis d'emploi possible de l'arme nucléaire. Pour la Russie, c'est notamment en cas d'attaque balistique avérée contre le territoire russe ou ses alliés [...] ; on retrouve à peu près la même formulation chez les Américains, mais avec un vocabulaire un petit peu moins précis", indique Héloïse Fayet.
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