Pourquoi les États-Unis veulent limiter leurs investissements technologiques vers la Chine
Joe Biden a annoncé en août de nouvelles restrictions sur les investissements américains dans les technologies chinoises (semi-conducteurs, quantique, intelligence artificielle).
ENTRETIEN - « L’enjeu est également la protection du leadership technologique américain », explique Mathilde Velliet, chercheuse en géopolitique des technologies.
Par un décret du 9 août dernier, Joe Biden a annoncé de nouvelles régulations sur les investissements américains en Chine. À quoi répond cette volonté américaine ?
Elle s'inscrit dans la continuité d'un grand nombre de restrictions qui ont commencé à être mises en place à partir de la deuxième partie du mandat Trump. Jusqu'à présent, les exportations étaient contrôlées, les investissements entrants, notamment pour les entreprises critiques, l'étaient également. Désormais, les États-Unis veulent contrôler les investissements sortants pour éviter que des capitaux américains ne contribuent au développement des capacités militaires chinoises, et plus largement, au renforcement des capacités technologiques chinoises.
Quels sont les enjeux d'un tel contrôle des technologies ?
Par-dessus tout, la protection du leadership technologique américain, qui est explicitement mentionné dans le document du Trésor accompagnant le décret présidentiel du 9 août. Les Américains veulent limiter le développement militaire de la Chine, considérée comme un adversaire potentiel. L'administration Biden, néanmoins, veut justifier la légitimité de ces restrictions en soulignant qu'elles ciblent des technologies militaires.
Ce décret du 9 août s'inscrit-il dans une continuité avec l'administration Trump ?
D'une certaine manière, oui, dans la volonté d'imposer des restrictions sur les flux vis-à-vis de la Chine. C'est également une rupture, car les États-Unis sont traditionnellement le champion d'un environnement mondial d'investissement libre et ouvert. Ce décret, et c'est sa spécificité, n'inscrit plus les restrictions dans une logique de listes d'entreprises chinoises : ce sont des sous-secteurs entiers qui sont ciblés, peu importe l'entreprise chinoise destinataire.
Pourquoi certains acteurs au Congrès, comme Pat Toomey ou Patrick McHenry, ont-ils changé de point de vue sur ces restrictions ?
L'administration Biden a mené un long travail pour convaincre ces acteurs, mais aussi pour convenir d'un périmètre d'action du décret qui conviendrait à un maximum de personnes. Les partisans d'un environnement économique libre et ouvert s'inquiétaient d'une mesure trop large et trop restrictive ont été rassurés par la délimitation plutôt étroite de sous-secteurs. Et les 'faucons' (tenants d’une politique dure à l’égard des adversaires de l’Amérique et interventionnistes, NDLR) se réjouissent d'un « petit pas dans la bonne direction ».
Comment la Chine appréhende-t-elle ces annonces américaines ?
Ces mesures étant débattues depuis plusieurs mois, ce n'était donc pas une surprise. Néanmoins, il demeure plusieurs paramètres indéfinis puisque la règle officielle n'a pas été publiée. Elle est attendue pour début 2024. Mais, il est certain qu'elle confirme, dans le débat intérieur chinois, une certaine rhétorique d'un endiguement de la Chine par les États-Unis.
De telles régulations peuvent-elles freiner la croissance technologique chinoise ?
C'est l'objectif ! Au moins dans les secteurs visés de l'Intelligence artificielle, du quantique et des semi-conducteurs avancés. Mais cela dépendra du niveau d'application de ces restrictions. Pour l'heure, nous n'avons pas assez de données permettant de savoir dans quelle mesure des investissements américains financent le développement militaire chinois. Les États-Unis essayent progressivement de couper les flux jugés problématiques - de technologies, d'investissements, de recherche - pour freiner le développement technologique au moins dans ces secteurs sensibles.
L'Union européenne, et la France, songent-elles à prendre des mesures similaires ? Pourquoi ?
Nous assistons à un début de réflexion européenne et française. Pour l'heure, il s'agit surtout de mesurer l'effet des mesures américaines sur les entreprises françaises et européennes. Par exemple, si certaines sanctions peuvent être extraterritoriales. L'Union européenne a aussi annoncé une « initiative » d'ici la fin de l'année, pour réfléchir à la pertinence de créer de nouveaux outils pour contrôler les investissements sortants.
> Lire l'interview sur le site du Figaro.
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