Pourquoi certains investissements américains dans la technologie chinoise posent problème
Les Etats-Unis s’apprêtent à limiter les investissements américains dans la technologie chinoise, et invitent l'Europe à faire de même. En cause, certains financements qui serviraient à développer le secteur militaire chinois, révèle une étude de Mathilde Velliet, chercheuse au Centre géopolitique des technologies à l’Institut français des relations internationales (Ifri), publiée le 3 juillet.
En pleine guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, et sur fond de tensions géopolitiques, certains investissements d'entreprises américaines dans les technologies chinoises posent question. C'est ce que rappelle une étude publiée le 3 juillet par Mathilde Velliet, chercheuse au Centre géopolitique des technologies à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Intitulée « Financer son rival. Quand les États-Unis et l'Europe investissent dans la tech chinoise » et publiée le 3 juillet sur le site de l’Ifri, l'étude s'appuie sur des données récoltées par Crunchbase, une plateforme d'information sur les données commerciales des entreprises privées et publiques. Elle se concentre sur les investissements américains en Chine dans quatre secteurs technologiques clés : l’IA, les biotechnologies, les semi-conducteurs et le quantique.
Quatre secteurs qui sont visés par un nouveau décret américain qui entrera en application dans les prochains mois, et exige des entreprises américaines qu’elles notifient dorénavant le département du Trésor de leur investissement «lorsque les applications sont utilisées pour renforcer les capacités chinoises dans la cybersécurité, le renseignement et l’action militaire. Avec une potentielle portée extraterritoriale», précise la doctorante.
Une rupture dans la politique américaine
Mathilde Velliet estime que cette mesure représente une nouvelle étape dans la politique américaine, qui s’était davantage concentrée, ces dernières années, sur la restriction des investissements chinois dans les technologies de pointe américaines. En 2018, une loi, The John McCain National Defense Authorization Act, avait notamment durci les barrières aux deux équipementiers chinois des télécoms, Huawei Technologies et ZTE, en mettant tous les contrats conclus avec eux sous le contrôle du gouvernement.
Pour les investissements sortants, les mesures concrètes n’ont commencé à arriver qu’en 2022, avec le Chips and Science Act adopté à l’été. Cette disposition, qui alloue une subvention massive au secteur des semi-conducteurs (39 milliards de dollars), impose des conditions qui empêchent certains bénéficiaires d’investir dans de nouvelles capacités de fabrication dans les «pays préoccupants» en particulier la Chine.
Avec le décret présidentiel signé par Joe Biden le 9 août 2023 sur les "investissements américains dans certaines technologies de sécurité nationale chinoises", l’exécutif américain a clairement voulu aller plus loin. «Le Congrès a multiplié les propositions de loi sur ce sujet, y compris depuis le décret présidentiel» pointe en outre Mathilde Velliet.
Des investissements dans des sociétés chinoises sous sanctions
Les investissements dans ces quatre secteurs technologiques clés que sont l’IA, les biotechnologies, les semiconducteurs et le quantique, qui étaient quasiment nuls en 2009 en Chine, ont grimpé jusqu’à 45 milliards de dollars en 2017, avant de fluctuer depuis entre 20 et 40 milliards annuels. Entre 2003 à 2023, la part prise par les occidentaux reste modeste, et tend même à décliner. En effet, les trois quarts des investissements sont effectués par des acteurs chinois, tandis que les européens et américains ne sont présents que dans 12% des cycles d’investissement. Les investissements en provenance des États-Unis sont très majoritaires, (1 602 entre 2003 et 2023), contre 49 transactions depuis 2003 pour l’Allemagne, et 36 pour la France, les deux principaux investisseurs européens en Chine.
Mathilde Velliet pointe sept financements problématiques, «dans des entreprises chinoises sous sanction ou liées à l’écosystème militaire ou de surveillance chinois» réalisés par les dix premiers investisseurs américains en Chine. Elle cite notamment la contribution du fonds d'investissement américain Walden International aux levées de fonds de l’entreprise chinoise Intellifusion, spécialisée dans la reconnaissance faciale, qui avait obtenu le prix de "la meilleure entreprise de sécurité" au Xinjiang en 2017. Une société soumise à des sanctions américaine en juin 2020. Ou encore des investissements de plus de 15 millions de dollars depuis 2019 du fonds GGV dans l’entreprise chinoise Megvii, spécialisée dans la reconnaissance faciale et les technologies de vision par ordinateur. Des technologies utilisées au Xinjiang.
En Europe, «seules deux transactions (italienne et allemande) ont été identifiées comme potentiellement suspectes : l’une visant une entreprise du secteur quantique, lié à l’écosystème militaire chinois, l’autre à destination de l’entreprise SJ Semi, inscrite sur les listes de sanctions américaines pour ses liens avec l’armée chinoise», détaille la chercheuse. Alors que "de moins en moins de données sont rendues publiques sur des bases telles que Crunchbase", pointe Mathilde Velliet, l'objectif de Washington est donc de forcer les entreprises américaines à davantage de transparence. L’Europe, moins concernée, est-elle prête à suivre ?
Lire l'article sur le site de l'Usine Nouvelle.
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