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Neutralité carbone en 2050 : « Ce n’est pas une lubie soudaine du Premier ministre japonais »

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interviewé par

  Margaux Lacroux
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Cédric Philibert, de l’Institut français des relations internationales (Ifri), analyse la solidité des annonces du Japon pour se décarboner et ainsi limiter la casse climatique.

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Alors qu’il visait la deuxième moitié du XXIe siècle pour y arriver, le Japon veut désormais être neutre en émissions carbone d’ici à 2050. Le Premier ministre nippon, Yoshihide Suga, l’a officiellement annoncé lundi. Or, la troisième économie du monde est aussi le sixième plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète. Le chantier est ambitieux. Cédric Philibert, chercheur associé au Centre énergie & climat de l’Ifri, décrypte les enjeux et le chemin qu’il reste à parcourir pour le Japon.

 

L’objectif et le timing du Japon semblent-ils réalistes ? 

La neutralité carbone en 2050 n’est pas textuellement dans l’accord de Paris [pour contenir le réchauffement climatique sous la barre des +1,5°C, ndlr], mais cet objectif est en train de se répandre partout dans le monde. Il est inscrit dans la loi en France, au Royaume-Uni, en Suède, au Danemark, en Nouvelle-Zélande… Il est proposé au niveau européen, annoncé en Suisse, Norvège, Islande mais aussi en Afrique du Sud, qui est un pays en développement. Une centaine d’autres pays ont amorcé des discussions à ce sujet. Le Japon suit donc le mouvement. Mais attention, la neutralité carbone ne veut pas dire «zéro émission» mais «zéro émission nette», donc compensée par les captures de CO2, dans les forêts éventuellement. De plus, cette annonce n’est pas une lubie soudaine du Premier ministre japonais. Depuis l’accord de Paris, presque 160 municipalités ou régions ont déjà adopté cet objectif, dont Tokyo. De grandes entreprises comme Sony visent 100% d’énergies renouvelables. Plus récemment la compagnie Jera, le plus gros importateur de charbon par la mer et acheteur de gaz naturel liquéfié au monde, qui fait de l’électricité, a adopté un objectif de zéro émission en 2050.


Quelle nouvelle politique énergétique cela nécessite-t-il ? Le pays est encore très dépendant du charbon…

Au court terme, le Japon compte sur les centrales à charbon, ce qui n’est en effet pas soutenable. Mais dans les prochaines années, cela va permettre d’arrêter plusieurs vieilles centrales à charbon inefficaces, ce qui devrait réduire de 20% les émissions du parc charbonnier : bien sûr, c’est très insuffisant pour atteindre l’objectif. Le pays s’efforce en parallèle de relancer le nucléaire, qui a fourni jusqu’à 25% de l’électricité au Japon avant Fukushima. Cela s’est ensuite effondré. Le chiffre est remonté à 7% actuellement et l’objectif est d’atteindre 20-22% de la production d’électricité au Japon via le nucléaire. Cela est difficilement réalisable à cause des obstacles juridiques et parce que la population n’en veut pas.


Que dire du volet qui repose sur les énergies renouvelables ?

Le Japon était le quatrième investisseur mondial dans ce domaine en 2018, ce n’est pas rien. Seulement, l’énergie solaire japonaise est la plus chère du monde. Car les installations et le raccordement sont coûteux, que le terrain plat manque et qu’il y a un défaut de mise en concurrence pour inciter à faire baisser les tarifs. Donc l’innovation ne doit pas être uniquement technique mais aussi politique. Enfin, le grand domaine d’avenir énergétique pour le Japon est l’éolien flottant. Or cela est nouveau, cela débute en Europe, pour le moment l’éolien maritime est posé sur les fonds marins. Les vents sont bien plus réguliers en mer que ceux à terre, cependant les installations devront être résistantes aux typhons. Le potentiel d’innovation sur l’éolien flottant est loin d’être épuisé.

«La clé est l’innovation», a justement déclaré le Premier ministre japonais en citant aussi l’hydrogène…

C’est un autre élément très important de leur politique. Chez nous, on relie cela aux voitures, et les Japonais ont effectivement des constructeurs automobiles tels que Honda et Toyota qui peuvent faire des voitures à piles à combustibles à l’hydrogène, mais cela est une toute petite fraction de l’hydrogène. Dans leur programme, l’essentiel de l’hydrogène sera consommé dans les centrales électriques. C’est un hydrogène bas carbone : soit «vert» produit avec des renouvelables par électrolyse de l’eau, soit «bleu» produit à partir de combustibles fossiles avec capture et stockage de CO2. Cet hydrogène est importé, car ils n’ont pas assez de ressources renouvelables peu chères pour le produire sur place. Pour faciliter le transport, l’hydrogène est transformé en ammoniac. Il est directement mis dans les centrales à charbon ou à gaz. Cela permet de réduire la quantité de charbon utilisée en la remplaçant par de l’ammoniac. C’est pour cela que la construction de centrales à charbon aujourd’hui n’enferme pas forcément le pays. L’idée est d’aller jusqu’à 100% d’ammoniac importé d’Australie et du Moyen-Orient dans les centrales à charbon. Car même si le nucléaire représente 10% de la production d’électricité en 2050, et les renouvelables 65%, il restera 25% à produire par des centrales thermiques. Il faudra aussi innover pour supprimer les émissions industrielles, un quart des émissions du CO2 du pays, dont la moitié viennent de la sidérurgie. L’hydrogène, pour traiter le minerai, et les fours électriques, pour fabriquer l’acier, devraient remplacer les hauts-fourneaux.


Le Japon mise-t-il aussi sur une politique de sobriété, de réduction de la consommation ?

Ils l’ont déjà fait. C’est peut-être l’économie la plus énergétiquement efficace au monde. Cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter, mais ils n’ont plus beaucoup de marge de progression. Ils ont de très bons transports publics, mais ont encore trop de voitures par exemple.

 

> Lire l'interview sur le site de Libération

 

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Cédric PHILIBERT

Intitulé du poste

Chercheur associé, Centre énergie et climat de l'Ifri