Moyen-Orient : les nouvelles influences
Au Moyen-Orient, la guerre de 2003 représente un tournant. L'État irakien, failli, peine à se reconstruire. L'interventionnisme américain se tempère. D'autres puissances montent : la Russie et la Chine notamment. Les acteurs régionaux, enfin, multiplient les partenariats à géométrie variable.
Le 10 mars 2023, à Pékin, l'Iran et l'Arabie saoudite signent, sous l'égide de la Chine, un accord rétablissant leurs relations diplomatiques. Le 15 mars, Bachar El-Assad, le président syrien, est en visite à Moscou pour approfondir la coopération avec son grand allié russe. En Irak, le 13 octobre 2022, Mohammed Chia al-Soudani, représentant des partis chiites liés à l’Iran, forme un gouvernement. Ces scènes auraient semblé surréalistes avant 2003. Surréalistes car, avant qu'ils n'envahissent l'Irak, ne le détruisent de l'intérieur et s'en retirent, les États-Unis occupaient une position dominante au Moyen-Orient tant d'un point de vue politique que militaire. L’échec politique de l’invasion américaine de 2003 et plus largement l’aveuglement d’alors de Washington enferré dans un interventionnisme démiurgique jouent un rôle clé pour mieux comprendre cette évolution radicale du paysage géopolitique régional. Et pour cause, l’opération de 2003, censée amener paix démocratique et stabilité économique en Irak et dans tout le Moyen-Orient, a déclenché une série de réactions en chaîne qui permet de mieux comprendre vingt années de remous.
"L’intervention [américaine en 2003] a eu des effets non seulement sur l’Irak mais sur l’ensemble du Moyen-Orient. Les États-Unis ont alors fait un double cadeau à l’Iran. Ils l’ont débarrassé de la menace que représentait Saddam Hussein, celui-là même qui avait déclenché la traumatisante guerre Iran-Irak dans les années 1980. Ensuite, ils ont mis en place, au nom de la démocratie, un pouvoir chiite en Irak. Ceci a ouvert à l’Iran des perspectives en Syrie, au Liban et ce qu’on a appelé l’hégémonie iranienne au Moyen-Orient" analyse Denis Bauchard.
"Il y a également la perte de crédibilité des Etats-Unis auprès des leaders saoudiens, perte de crédibilité qui a commencé il y a déjà quelques temps, notamment lorsqu’Obama a lâché Moubarak du jour au lendemain au moment des printemps arabes et de la place Tahrir, mais également Trump lui-même lorsqu’il est venu en mai 2017 à Riyad faire un discours sur le thème « ne comptez pas sur nous pour défendre votre sécurité » ; et naturellement les relations avec l’administration Biden sont exécrables." ajoute Denis Bauchard.
"Il me semble que les Etats-Unis conservent un intérêt pour le Moyen-Orient au moins sur deux points, c’est la défense de la sécurité d’Israël, et d’autre part c’est de veiller à ce que l’Arabie saoudite, qui est ce qu’on appelle un swing producer, c’est-à-dire qui peut augmenter très facilement sa production du pétrole, continue de jouer un rôle sur l’évolution du cours international du pétrole. Et cela est tout de même une préoccupation qui demeure, comme l’a prouvé le voyage de Joe Biden à Riyad qui a été un camouflet pour lui." décrypte Denis Bauchard.
Avec
- Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à l’Université Paris-I et membre senior de l’Institut universitaire de France
- Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Institut français de relations internationales (IFRI), ancien diplomate, ancien directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères
- Yohanan Benhaïm, responsable des études contemporaines à l'IFEA et responsable Turquie à Noria Research
Retrouvez le podcast de l'émission sur la site de France Culture.
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