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Mali : « Barkhane vient clore un cycle de trente années d’opérations extérieures de la France en Afrique »

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  Le Monde
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Elie Tenenbaum, chercheur à l’IFRI, revient, dans un entretien au « Monde », sur le bilan de l’action de la France au Mali, qu’il juge « négatif ». L’opération antiterroriste « Barkhane » a achevé son retrait du Mali, le 15 août, mais « la France reste engagée au Sahel, dans le golfe de Guinée et la région du lac Tchad », a répété l’Elysée dans un communiqué publié le même jour.

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Pour Elie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (IFRI), cette transition doit être l’occasion, pour Paris, de changer de paradigme militaire en Afrique de l’Ouest.

Le spécialiste des questions défense, auteur d’un rapport intitulé « Après “Barkhane” : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », publié en mai, revient pour Le Monde sur les leçons à tirer des neuf dernières années d’opérations au Mali et les voies à emprunter pour mieux répondre aux défis sécuritaires dans la région.

Quel bilan tirez-vous de l’action menée par « Barkhane » au Mali, entre 2014 et 2022 ?

Par-delà l’opération Barkhane, qui n’est qu’une opération militaire, il faut se pencher sur le bilan de l’action de la France au Mali, et il est évidemment négatif. Il s’agissait initialement d’endiguer la progression du djihadisme au Sahel et de développer un partenariat fort avec l’armée malienne pour la faire monter en puissance. Or, aujourd’hui, ce partenariat stratégique est réduit à néant, Bamako a dénoncé tous les accords de défense signés avec Paris, « Barkhane » est parti et le djihadisme n’a cessé de s’étendre dans la région et de s’enraciner dans les sociétés. Le Burkina Faso continue à sombrer, avec une absence totale de contrôle étatique. La situation dans l’ouest du Niger reste préoccupante. Le nord du Bénin est dans une phase de djihadisation avancée. Les points d’inquiétudes sont forts au Togo et en Côte d’Ivoire. Quant au Ghana, la situation est moins sereine que les autorités le prétendent.

Certes, le contre-terrorisme a produit des résultats en neuf ans. Il y a eu une véritable attrition dans les rangs des djihadistes et des chefs importants ont été éliminés. Mais nous savons très bien que cela ne suffit pas. Les leaders ont été remplacés, les groupes se sont adaptés aux modes d’action de « Barkhane » et ont continué à recruter. Au Mali, au Burkina Faso comme en Afghanistan, le djihadisme se nourrit des problèmes de gouvernance locale, d’une justice corrompue ou inexistante, de l’absence de services de base et d’une attitude prédatrice des forces de sécurité. Tant qu’aucune réponse n’aura été apportée à ces questions de fond, le mouvement continuera à progresser.

Etait-ce à « Barkhane » de le faire ?

Les militaires français ont toujours été conscients qu’ils n’avaient ni les moyens ni la légitimité pour s’attaquer au fond du problème. A un niveau stratégique, l’objectif de l’opération était de donner du temps aux acteurs locaux pour qu’ils règlent ces problèmes de gouvernance, de projet politique et même de société. Mais rares sont les partenaires africains à vouloir entendre parler de gouvernance, ce qui empêche les succès militaires de porter leurs fruits. On l’a vu au Mali : les soldats français ont accompagné au combat une armée qui est restée en souffrance sur le plan organisationnel et gangrenée par le clientélisme et la corruption.

Au Mali, le président Emmanuel Macron a suspendu les opérations militaires conjointes après le deuxième coup d’Etat de mai 2021, pour tenter d’obtenir de la junte des garanties sur un retour des civils au pouvoir. Que pensez-vous de cette conditionnalité posée par Paris ?

Exercer une forme de chantage au départ en expliquant aux dirigeants d’un pays dans lequel nous sommes militairement présents qu’ils doivent agir comme bon nous semble sinon nous partirons est une manœuvre délicate qui peut vite s’avérer contre-productive. Une logique de conditionnalité trop poussée crée de la défiance, jusqu’à aboutir à un effondrement de la relation. C’est une leçon à tirer de notre expérience au Mali. A un moment, si on contraint des Etats fondés sur le népotisme et la corruption à se réformer, soit on fait sauter le régime, soit ce dernier se défend en faisant sortir d’autres acteurs du système. Il est extrêmement difficile de lutter contre de telles tendances de fond, et ce, d’autant plus que la compétition stratégique mondiale est désormais plus intense. Si la France ou l’Europe posent des conditions trop strictes en politique intérieure, le partenaire peut être tenté d’aller voir ailleurs : des pays comme la Russie, la Turquie ou la Chine n’en posent que très peu, voire pas du tout.

Cette conditionnalité a contribué à dégrader l’image de la politique française en Afrique…

Absolument. La France pose des conditions politiques intérieures à son aide, ce qui peut être perçu comme une forme d’ingérence. Par ailleurs, cette conditionnalité est à géométrie variable, comme l’a montré le cas du Tchad, où la France n’a que peu mis la pression sur le régime d’Idriss Déby et semble avoir consenti à la transition fort peu constitutionnelle imposée par son fils à la mort de celui-ci, en avril 2021.

Comment améliorer cette image ?

C’est une question complexe, car les ressentiments viennent de loin. Au lendemain des indépendances, la France avait une relation clientéliste avec les pouvoirs africains, auxquels elle offrait des garanties de sécurité. Même si ce modèle de relation « France-Afrique » est loin derrière nous, il reste ancré dans les mentalités sur le continent. A tel point qu’aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, critiquer la France est aussi devenu une manière détournée de vilipender ces élites locales que Paris a soutenues dans le passé. Pour changer les perceptions, c’est un peu la quadrature du cercle : la France devra prendre de la distance par endroits, tout en rétablissant la confiance avec certains gouvernants, mieux interagir avec les sociétés africaines, tout en respectant les souverainetés nationales. C’est loin d’être évident.

Le plan censé reformuler la présence militaire française hors du Mali annoncé par Emmanuel Macron tire-t-il leçon de ces failles ?

Même si nous avons encore une vision très limitée de son contenu, ce qui en a été dit me semble aller dans le bon sens. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il ne s’agit pas de refaire au Niger ce qui a été fait au Mali. On ne s’oriente pas vers une bascule d’une partie du théâtre à une autre, mais vers une réelle réduction de l’empreinte militaire. L’objectif est aussi de mettre en place à partir de Niamey un dispositif plus agile, moins fixé sur quelques grosses bases, et donc capable de se reconfigurer plus rapidement. Sur le plan politique, une opération moins visible est aussi moins susceptible de jouer les irritants en politique intérieure. Mais l’ambition, elle aussi, sera moindre : on sait que le djihadisme est là pour rester et le dispositif à venir ne pourra guère que contraindre son expansion, pas le refouler.

[...]

> Lire l'entretien intégral sur le site du Monde

 

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Élie TENENBAUM

Élie TENENBAUM

Intitulé du poste

Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri