L’Otan à nouveau face à Trump : « L’Europe doit montrer ses muscles, elle a aussi des moyens de pression »
Si l'ombre d'un désengagement américain de l'OTAN plane depuis la seconde élection de Donald Trump, elle n'annonce pas pour autant une catastrophe pour les Européens. Lorsque Donald Trump est devenu président des États-Unis en 2016, les craintes d'une tragédie pour l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ont rapidement émergé.
En effet, au cours de ce premier mandat, la relation entre l’Organisation et le magnat de l’immobilier a été marquée par des sommets tendus… mais aussi une forme de continuité avec l’administration Obama, assure auprès du « Nouvel Obs » Amélie Zima, docteure en science politique, responsable du programme sécurité européenne et transatlantique de l’Institut français des Relations internationales (Ifri).
Pourtant, la présence de 100 000 soldats américains en Europe, un record depuis la guerre froide, ne doit pas faire oublier le désengagement à moyen terme du premier contributeur de l’Alliance. Raison de plus, selon Amélie Zima, pour que l’Europe ne se laisse pas faire.
Que nous a appris le premier mandat de Donald Trump sur son rapport à l'Otan ?
Le premier mandat ne nous permet pas de dire que le deuxième sera catastrophique pour les Européens. Certains, certains sommets ont été extrêmement tendus et difficiles mais Donald Trump a tenu tous ses engagements envers l'Organisation. Par exemple, à l'été 2016, les États-Unis de Barack Obama promettent de faire partie d'une force de dissuasion dans les pays Baltes et en Pologne ; Donald Trump mettra bien en œuvre cet engagement.
De la même manière, le programme European Deterrence Initiative (EDI) d'aide et de coopération militaire à destination de l'Europe, lancé par l'administration Obama après l'annexion de la Crimée en 2014, connaît même son apogée pendant l'administration Trump, et décline depuis sous Biden. Des nouvelles relations bilatérales hors Otan ont même été consolidées, à l'image d'un accord de sécurité avec la Pologne en 2019.
L'arrivée de Mark Rutte comme nouveau secrétaire général de l'Otan, une personnalité qui servait de médiateur lors de sommets très houleux et qui a su cadrer Trump, permet également d'être plus rassuré.
Pourtant, le futur 47ème président des États-Unis n'a pas été tendre avec l'Otan lors de sa campagne...
Il y a une différence entre ses paroles et ses actes. Malgré ses critiques, Donald Trump n'a jamas remis en cause l'article 5 du traité, c'est-à-dire la garantie de sécurité collective. Il n'a pas non plus entamé des démarches pour sortir de l'Otan ou de son commandement intégré. Pendant la campagne, son colistier J. D. Vance, martelait que l'Otan n'est pas un club social et que les pays européens devaient payer plus. Mais cette accusation n'est plus pertinente. Elle l'était pendant son premier mandant, lorsque peu de membres du traité dépensaient 2% de leur PIB dans la défense, comme l'Otan le requiert. Mais l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 a été un électrochoc. Actuellement, 23 États sur 32 dépensent plus du 2% dans la défense.
Ce qui se dégage, ce n'est donc pas un Trump qui quitte l'Otan mais plutôt un président qui fait une division entre les bons et les mauvais alliés. L'Allemagne est particulièrement visée, comme souvent par Trump, car c'est un État économiquement puissant qui ne dépense pas. Lors de son premier mandat, il assurait qu'il n'aurait aucun problème à défendre la Pologne, qui dépense plus de 4% de son PIB dans la défense, et même de déplacer des forces américaines présentes en Allemagne vers la Pologne.
Que pensez-vous de la nomination du sénateur de Floride Marco Rubio au poste de secrétaire d'État ?
L'arrivée de Marco Rubio, tout comme Mike Waltz comme conseiller à la sécurité nationale, est un signal assez positit pour l'Alliance car ils ont tous les deux déclaré ne pas vouloir sortir d'une alliance forte comme l'Otan. Marco Rubio est considéré comme un très bon expert des relations internationales et les deux ont condamné l'invasion de l'Ukraine en 2022 et semblent défendre une paix qui n'est pas celle des conditions poutiniennes.
Surtout, le sénateur de Floride était, à l'hiver dernier, le co-initiateur d'une loi qui oblige le président américain à avoir l'accord du Sénat pour pouvoir quitter l'Otan. Ce qui nous donne une personnalité à la fois expérimentée dans les relations internationales et à l'initiative d'un garde-fou institutionnel qui protège le lien des États-Unis avec l'Otan.
Quelle attitude pourraient adopter les Européens face à l'hypothèse d'un désengagement américain de l'Otan ?
Tous les Européens pensent qu'un désengagement américain aura lieu. Mais quand ? L'espoir, notamment en Europe centrale, reste qu'il n'ait pas lieu avant la fin de la guerre en Ukraine. Pour l'instant, il y a 100 000 soldats américains en Europe, un record depuis la fin de la Guerre Froide.
Donald Trump fonctionne avec un logiciel transactionnel, c'est-à-dire qu'avec lui, on marchande. Mais les Européens peuvent aussi marchander. Les États-Unis peuvent dire "on arrête de vous défendre, on va partir", mais l'Europe a aussi des moyens de pression. Les États-Unis ont besoin des sites de maintenance et de logistique en Europe pour leurs actions militaires internationales.
Par exemple, une flotte américaine basée à Naples leur donne un moyen de contrôle sur la Méditerranée, pas inutile avec ce qu'il se passe au Proche-Orient. Couper l'accès à Naples embêterait bien les États-Unis. Il faut que les Européens montrent aussi leurs muscles et arrêtent de se poser uniquement comme des consommateurs de sécurité et en position inférieure face aux États-Unis.
Les États-Unis ont besoin d'alliés. Si l'administration Trump coupe ses liens avec l'Otan et se désengage de façon bilatérale, ce serait aussi une sorte d'échec politique, symbolique, militaire et stratégique. Ils ne peuvent mener tous les projets internationaux sans alliés.
Néanmoins, ça ne pourra pas empêcher le désengagement qui aura de toute façon lieu à moyen terme. Depuis l'administration Obama, et c'est une constante, il y a un pivot vers l'Asie. Plus inquiétant encore, les enquêtes révèlent une baisse du sentiment d'appartenance à l'Europe. Entre la génération 50-60ans et 18-25ans, il y a même une différence de 20 points. Ces jeunes générations, qui n'ont pas l'expérience commune de la Seconde Guerre mondiale ou de la Guerre Froide, font craindre un délitement du sentiment de destin commun entre les États-Unis et l'Europe.
> Lire l'article sur le site du NouvelObs
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