Lancées il y a dix ans, les routes de la soie voulues par Xi Jinping se sont enlisées
En septembre 2013, Xi Jinping lançait en fanfare ses nouvelles routes de la soie. Après des années fastes, mais aussi pas mal de revers, il semble avoir recentré ses ambitions sur les pays du Sud Global, en lançant à leur intention de nouveaux projets. Coup de projecteur à la veille d’un sommet du G20 qui devrait illustrer les tensions entre Occident et Chine.
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Dix ans plus tard, la BRI a perdu une bonne partie de son éclat.
« Le bilan qu’on peut en dresser est en effet plutôt mitigé, pour ne pas dire négatif », analyse Marc Julienne, chercheur et responsable des activités Chine au Centre Asie de l’Ifri (Institut français des relations internationales). « Il y avait de très grandes ambitions. L’Asian Infrastructure Investment Bank avait été fondée à Pékin pour financer un grand nombre de projets de ces nouvelles routes de la soie. Et pourtant, les réalisations concrètes sont finalement assez maigres. Au bout de 10 ans, au lieu d’une montée en puissance de ce projet, qui aurait pu essaimer et conquérir de nouveaux territoires, on assiste au contraire à une marche arrière. Un certain nombre de pays qui avaient signé des partenariats s’en retirent. »
En Afrique subsaharienne par exemple, les investissements dans le cadre des BRI étaient l’an dernier en net repli. Et même à l’arrêt dans 14 pays dont l’Angola. Mais aussi au Sri Lanka, au Népal, au Pérou et même en Russie.
Un port sans bateau
« Un cas d’école, c’est le Pakistan », reprend Marc Julienne. « C’est là qu’ont été annoncés probablement les projets les plus ambitieux : autoroutes, voies ferrées, centrales électriques… Finalement, moins d’un quart ont été réalisés. Ce qui a été effectivement construit, c’est le port en eau profonde de Gwadar, qui devait permettre d’ouvrir un nouveau corridor maritime. Il a coûté 62 milliards de dollars, mais aucun bateau n’y accoste. Car Gwadar se trouve dans la région très instable du Baloutchistan, agitée par des revendications d’indépendance de groupes armés qui n’ont pas hésité à prendre pour cibles et à tuer des Chinois, considérés comme des collaborateurs du gouvernement pakistanais».
Si les routes de la soie marquent le pas, c’est notamment à cause d’une politique étrangère agressive de Pékin, qui a re froidi pas mal de pays, ou de la rupture des chaînes d’approvisionnement provoquée par les confinements excessifs liés à la politique chinoise du zéro covid. Mais une des raisons les plus marquantes, c’est que tous ces beaux projets ont entraîné un endettement extrême des pays partenaires.
Car la générosité de la Chine, qui a déboursé jusqu’à 85 milliards par an, a coûté cher aux bénéficiaires : les «investissements» chinois étaient dans leur écrasante majorité des prêts : ce ne sont pas des entreprises chinoises qui assumaient le risque financier mais bien les pays qui allaient obtenir ces infrastructures. Et elles allaient être construites par des firmes chinoises, employant des travailleurs chinois. C’est en partie pour continuer à leur donner du travail que Xi Jinping avait lancé la BRI. L’autre raison était plus géopolitique : il s’agissait de faire de la Chine le partenaire incontournable du plus grand nombre possible d’Etats.
Mais désormais, deux tiers de ceux qui participaient à la BRI, fragilisés par la pandémie puis par les conséquences de la guerre en Ukraine, sont surendettés. Pékin se retrouve donc avec un stock de la dette évalué entre 500 et 1.000 milliards de dollars. Et est désormais le principal créancier au monde.
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« Entre 2013 et 2016, mes interlocuteurs chinois, universitaires ou membres de centres d’études, ne me parlaient que de ces routes de la soie. Maintenant, ce sujet semble avoir pour eux disparu. Par contre, ils ne cessent de mettre en avant de nouveaux concepts », reprend Marc Julienne.
« Il s’agit de trois Initiatives Globales, en matière de Développement, de Sécurité, et de Civilisation. Des projets qui, surtout pour le troisième, restent assez brumeux. C’est quelque part un aveu d’échec de la BRI, que Pékin cherche à repackager, à réorienter, pour cibler les pays du fameux Sud global, dans lesquels elle a plus de chances de décrocher des succès. Il y a une finalité économique et de développement, mais le but de ces initiatives est aussi éminemment politique et diplomatique. Ces nouvelles initiatives doivent permettre à la Chine d’être plus influente dans les pays du Sud afin de battre en brèche de l ’influence occidentale.»
En Europe, une perte de confiance
Le projet originel des nouv elles routes de la soie était , rappelonsle, de relier la Chine à l’ouest de l’Europe, en traversant l’Asie centrale. Dans les années qui ont suivi le lancement de ce grand projet, de nombreux pays ont célébré avec fierté l’arrivée du premier train arrivant de Chine, estampillé Routes de la soie. En Belgique, ce fut par exemple le cas en mai 2018 à A nvers. Et dès 2015, la Belgique tentait aussi de se positionner pour accueillir une implantation du géant chinois de la v ente en ligne Alibaba. Développer le commerce avec la Chine allait forcément créer plus de prospérité et d’emplois dans nos régions…
« Mais c’est surtout l’Europe centrale et de l’Est qui était l’une des principales cibles de la Chine : elle souhaitait y développer des infrastructures manquantes », détaille Marc Julienne (Ifri). « Pékin avait déjà, en 2012, créé dans ce but un format 16 +1, réunissant autour d’elle seize pays de la région. En 2019, la Grèce a rejoint le groupe. Mais aujourd’hui, le format 17+1 s’est réduit à 14+1. L’enthousiasme des débuts a laissé la place à de très fortes réticences, à une grande méfiance de nombreux pays d’Europe centrale et orientale, qui ont désormais une position plus critique à l’égard de la Chine que l’Europe de l’Ouest. »
C’est la Lituanie qui, la première, a en mars 2021 décidé de quitter le groupe : Pékin avait réagi de façon agressive à l’ouverture d’un bureau de représentation de Taïwan à Vilnius, refusant l’exportationvers la Chine de produits alimentaires lituaniens. En août 2022, les deux autres Etats baltes, l’Estonie et la Lettonie, préféraient eux aussi se désengager du groupe. Et au printemps dernier, c’est le ministre tchèque des Affaires étrangères qui avait déclaré que le groupe 14+1 n’avait « ni substance ni avenir ».
La proximité de la Chine a vec la Russie de Poutine, en pleine guerre contre l’Ukraine, a en eff et choqué ces pays de l’est de l’Europe. Tout comme un certain nombre de projets problématiques, par exemple l’autoroute PodgoricaMatesevo au Monténégro, aussi coûteuse qu’inutile.
Quant à l’Italie, qui avait signé en 2019 un accord « non contraignant » actant sa participation aux nouvelles routes de la soie, elle tente d’en sortir sans pour autant froisser la Chine.
Visiblement, le coeur n’y est plus.
>> Retrouver le dossier en intégralité sur le site de Le Soir
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