La fin de l'optimisme stratégique
Définitivement adoptée le 13 juillet 2023, la prochaine loi de programmation militaire (LPM) prévoit une enveloppe de 413 milliards d’euros pour les forces armées durant la période 2024-2030. Elle représente un effort financier important dans un contexte macroéconomique marqué par le retour de l’inflation et le niveau d’endettement public (110 % du produit intérieur brut). Emmanuel Macron a fait de la relance de la dépense militaire un des marqueurs forts de son double mandat alors que ses prédécesseurs s’étaient employés, à des degrés divers, à la comprimer.
Au niveau mondial, les dépenses militaires s’élevaient à 1 139 milliards de dollars, en 2001, et à 2 240 milliards, en 2022. Relativement stables entre 2009 et 2017, ces dépenses se sont depuis développées à un rythme accéléré, avec une augmentation annuelle moyenne supérieure à 3 %. Les États-Unis (877 milliards de dollars en 2022), la Chine et la Russie représentent 56 % de l’ensemble. En 2024, cette dernière prévoit d’augmenter son budget militaire de 70 % pour atteindre 6 % de son produit intérieur brut.
Ces quelques chiffres reflètent un phénomène mondial qui concerne directement les Européens : l’apparition d’une nouvelle course aux armements qui porte à la fois sur les armements les plus sophistiqués, avec un retour des problématiques nucléaires, et sur les munitions les plus rudimentaires. En Ukraine, on s’interroge sur le nombre d’obus dont disposeront les deux belligérants en 2024. En mer de Chine, on suit les capacités navales de Pékin et les armes hypervéloces. Les drones sont devenus indispensables pour obtenir la « transparence » du champ de bataille sur tous les théâtres d’opérations. Un pays comme la France alloue des ressources très significatives à ses grands programmes et, en particulier, à la modernisation de sa force de frappe. Sa lecture de l’environnement stratégique reste tributaire de son statut de puissance dotée.
Au risque de surprendre, cette lecture se révèle avoir été bien optimiste. La LPM a été construite sur un scénario géopolitique susceptible d’être maîtrisé. Or, depuis son vote, plusieurs ruptures majeures sont intervenues. En premier lieu, l’évolution de la guerre en Ukraine, considérée comme un conflit qui allait s’éteindre de lui-même. L’échec de la contre-offensive ukrainienne oblige à reconsidérer les horizons de temps, ainsi que les buts de guerre de Kiev. Ceux de Moscou restent inchangés : asservir l’Ukraine et mettre en échec l’« Occident collectif ». Le conflit semble désormais suspendu au résultat des élections présidentielles américaines. Inutile de dire combien Vladimir Poutine mise sur un retour de Donald Trump à la Maison blanche. Comme d’habitude, ce dernier a annoncé vouloir régler la situation « en vingt-quatre heures ». À cela s’ajoute le retournement de la communication stratégique ukrainienne, évidemment exploitée par la Russie.
En deuxième lieu, la situation en Afrique subsaharienne oblige la France à repenser les modalités de sa présence militaire, ainsi que les priorités de son aide au développement. Face à « l’épidémie de coups d’État » évoquée par Emmanuel Macron à la fin août 2023, Paris doit sortir d’un pays comme le Niger, deux ans après la fin officielle de l’opération Barkhane (février 2022). En fin de compte, la France ne sera pas parvenue à associer pleinement ses partenaires européens à ses tentatives de stabilisation de la bande sahélo-saharienne. Son engagement s’est retourné contre elle : dans l’espace informationnel, sa présence a été assimilée à un néocolonialisme avec un effet néfaste sur son image internationale. Reste que la stabilisation de la région est loin d’être acquise et que des pays aussi importants que la Côte d’Ivoire et le Sénégal présentent un certain nombre de risques.
En dernier lieu, les attaques terroristes du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, ont ravivé le conflit israélo-palestinien avec des effets sur l’ensemble de la région. La férocité de la réponse de Tsahal provoque une crise humanitaire de grande ampleur dans la bande de Gaza, qui oblige Paris à réagir. Là encore, la violence du conflit fait envisager sa possible extension régionale, notamment au Liban. Derrière le Hamas se tient la République islamique d’Iran, qui accélère ses programmes nucléaire et balistique, tout en resserrant ses liens avec Moscou.
À travers la LPM s’est jouée notre préparation stratégique à l’horizon de 2030. Disons simplement que nous n’avons pas pris la pleine mesure des périls qui nous guettent.
> Voir la chronique sur le site de la revue Études
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