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Guerre en Ukraine : les angles morts de l’aide humanitaire

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Repliées dans l’ouest de l’Ukraine, les organisations humanitaires ont mis du temps à retourner dans les zones où les besoins sont les plus urgents.

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Une babouchka se fraye tête baissée un chemin entre les gravats qui encombrent la chaussée, les façades éboulées et les immeubles en ruine de Lyssytchansk, dans l'est de l'Ukraine. Les canalisations, les conduites de gaz, les câbles électriques et les antennes relais ont explosé. D'autres petites villes industrielles du Donbass, sous les bombes russes, connaissent les mêmes destructions. Les besoins humanitaires y sont énormes et urgents, mais les humanitaires en sont quasiment absents. Pourquoi l'aide colossale consentie pour l'Ukraine ne parvient-elle pas là où elle serait la plus vitale ? Les conditions de sécurité et l'ampleur du conflit n'expliquent pas à elles seules ces dysfonctionnements. Plusieurs rapports pointent l'impréparation et le manque de connaissance du contexte ukrainien.

La guerre et surtout son ampleur ont suscité une sidération au sein de la communauté humanitaire présente en Ukraine. « Je n'avais jamais vu 15 millions de personnes quitter leur lieu de résidence en moins de deux semaines, décrit Pascal Hundt, chef de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en Ukraine. C'est inimaginable. La ligne de front est longue de milliers de kilomètres et elle bouge de manière imprévisible. » Au début de l'invasion, on craint un encerclement de Kiev et une conquête rapide du Donbass. Les ambassades quittent l'Ukraine dans un sauve-qui-peut désordonné et la communauté humanitaire leur emboîte le pas en se repliant vers Lviv.

Le CICR et l'ambassade de Suisse sont partis de concert. Avec le recul, le risque d'un siège de Kiev a été largement surestimé. Relocalisées à Lviv, beaucoup d'ONG mettront du temps à se redéployer dans le pays. Un temps précieux perdu pour mettre en place les structures d'aide adaptées. En raison de ce tropisme, Lviv, bien que très éloignée des champs de bataille, devient d'un coup la capitale humanitaire du pays. Au détriment du Donbass où les besoins sont pourtant bien plus importants.

Une présence humanitaire insuffisante près des lignes de front

Présent dans toute l'Ukraine, le CICR déploie son action, y compris près des combats, explique Pascal Hundt, ce qui en fait la plus grande opération de l'institution basée à Genève. « Dans les zones proches des lignes de front, nous sommes, avec Médecins sans frontières, la Croix-Rouge ukrainienne et les acteurs locaux, un peu seuls. La présence humanitaire y est largement insuffisante en regard des besoins », confirme-t-il.

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Des médicaments, de l'eau potable et de la nourriture sont pourtant indirectement livrés par les agences onusiennes, notamment par le Programme alimentaire mondial, dès le mois d'avril. L'aide passe par le biais de l'administration régionale, mais, faute d'étude de terrain sur les besoins et la logistique, elle manque sa cible. « Des mètres cubes de couches-culottes pour bébés totalement inutiles pour la population en majorité vieillissante qui restait à Sievierodonetsk ont été livrés, évoque Matthias Bruggmann. De même pour la nourriture, des rations sont parvenues jusqu'à Sievierodonetsk, mais les volontaires n'avaient pas les moyens nécessaires pour les distribuer. Il leur manquait des voitures ou de l'essence. »

Inadéquation entre l'aide et la logistique pour l'acheminer

L'inadéquation entre l'aide et les besoins, d'une part, et entre l'aide et la logistique nécessaire pour l'acheminer aux bénéficiaires, d'autre part, constitue l'un des écueils pour la communauté humanitaire, qui ne s'est pas suffisamment appuyée sur les compétences des acteurs locaux issus de la société civile. Un rapport publié en juin par Humanitarian Outcomes, un groupe basé à Londres d'experts et de chercheurs qui évaluent le système humanitaire international, pointe des dysfonctionnements graves de coordination et de préparation. Alors que des sommes importantes ont été levées par les grandes ONG dès le début de la guerre et que les agences onusiennes ont elles aussi débloqué des fonds considérables, l'essentiel (plus de 90 %) de l'aide déployée l'a été par des acteurs locaux sans financement extérieur institutionnel. Par exemple, la Croix-Rouge ukrainienne, très active, a reçu 0,0022 % des fonds.

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Ces nouvelles structures n'ont pas toutes une existence légale, explique Arthur Quesnay, coauteur avec Marie Courraud et Gilles Dorronsoro, d'un rapport sur la stratégie humanitaire en Ukraine publié le 24 juin par l'Institut français des relations internationales (Ifri).

  • « Les grandes institutions ne leur font pas assez confiance et préfèrent gérer elles-mêmes de A à Z la distribution de l'aide humanitaire. Mais elles ne sont pas en mesure de le faire en raison de l'ampleur du conflit et des risques qu'il fait peser sur les équipes déployées dans les zones exposées aux bombardements. »

Au début de la guerre, les agences onusiennes ont plaidé pour coordonner et concentrer sous leur autorité l'ensemble de l'aide disponible. « Mais elles se sont montrées inefficaces et peu réactives, explique Arthur Quesnay. Elles ont prétexté la corruption, le mélange des genres entre administration militaire et civile pour justifier leurs réticences à travailler avec les structures locales existantes. Toutefois, derrière ces fausses raisons, il se trouve certainement aussi les pressions exercées au sein de l' ONU par certains États qui s'opposent à soutenir les Ukrainiens. »

Après quatre mois de guerre, les agences onusiennes tentent de rattraper le temps perdu. Elles ont signé plusieurs accords avec des collectivités locales à Bakhmout et à Dnipro notamment. Mais cela ne concerne qu'une aide marginale, la distribution de nourriture, alors qu'il faudrait renforcer les structures civiles et réparer les infrastructures.

  • « Les ONG locales et la société civile, conclut Arthur Quesnay, sont au bord de la rupture faute de financement approprié. Sans elles, qui aident à la fois les militaires et les civils, la résistance ukrainienne face à l'agression russe pourrait s'écrouler. »

 

> Lire l'intégralité de l'article sur le site du Point (réservé aux abonnés).

 

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