Guerre en Ukraine : « L’affrontement sanglant doit prendre fin »
Des anciens diplomates français et des spécialistes des relations internationales, parmi lesquels Dominique David ou Michel Foucher, expliquent, dans une tribune au « Monde », que, pour sauver l’Ukraine, il faut prendre l’initiative d’une véritable conférence internationale à Genève qui commencerait par un cessez-le-feu immédiat sur le terrain.
Au lendemain de l’élection de Donald Trump, une courte transition s’ouvre durant laquelle les combats en Ukraine risquent de redoubler de violence, chaque partie cherchant à prendre des gages avant qu’un éventuel sommet Trump-Poutine ne tente de mettre fin au conflit. On peut espérer que Trump refusera de se ranger aux exigences de Vladimir Poutine, qui signifieraient, outre la capitulation de l’Ukraine, l’acceptation du diktat de la force, l’imposition d’un régime politique par les armes, la réduction des relations internationales aux rapports de force et aux zones d’influence, bref, une géopolitique brute touchant, bien au-delà de l’Europe, les États-Unis, et le monde entier.
Mais il faut se confronter au réel. L’Ukraine recule devant la masse russe. Kiev n’a pas les moyens humains d’une guerre prolongée. L’aide américaine s’érodera, d’une manière ou d’une autre, dans un avenir proche. Et il est permis de se demander si les Européens pourront et voudront assurer seuls l’aide militaire et civile à l’Ukraine en guerre. Pour toutes ces raisons – et d’abord une raison humaine : l’affrontement sanglant doit prendre fin −, il faut trouver le moyen d’interrompre les hostilités de terrain, sans brader ni nos principes ni nos intérêts, qui sont largement ceux de l’Ukraine.
La France, membre permanent du Conseil de sécurité [des Nations unies], qui entend promouvoir une « autonomie stratégique européenne », ne peut rester silencieuse, et doit être une force de proposition. Tout d’abord, rien ne peut être tenté sans l’accord des Ukrainiens. Volodymyr Zelensky a organisé, en juin, un « sommet pour la paix en Ukraine » à Bürgenstock [en Suisse], qui a concentré ses travaux sur quelques secteurs spécifiques : la sûreté des installations nucléaires − sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) −, la sécurité alimentaire − donc, la liberté de navigation en mer Noire et en mer d’Azov −, la libération des prisonniers de guerre, le retour dans leurs familles des enfants ukrainiens kidnappés par les Russes.
Le président ukrainien avait le projet d’organiser un nouveau « sommet pour la paix en Ukraine » avant la fin de l’année, et accepté d’y inviter, cette fois, la Russie, ce qui entraînerait, logiquement, la participation de la Chine. Narendra Modi, premier ministre indien, qui s’est rendu à Kiev au mois d’août et avait envoyé un diplomate de haut rang à la réunion de Bürgenstock, a insisté pour que la Russie participe à la prochaine réunion.
Un cessez-le-feu immédiat
A partir de ce projet, estompé par les élections américaines, la France pourrait très rapidement se concerter avec le gouvernement ukrainien pour examiner la possibilité de prendre, avec quelques autres pays intéressés, européens ou non, l’initiative d’une véritable conférence internationale à Genève. Celle-ci devrait approfondir les thèmes de Bürgenstock, en y joignant celui de la sécurité énergétique, qui a déjà fait l’objet d’une tentative de médiation du Qatar.
Dans sa première réunion, la conférence pourrait décider d’un cessez-le-feu immédiat, garanti par des observateurs internationaux – par exemple des casques bleus de l’ONU [Organisation des Nations unies] −, de manière à permettre l’ouverture de véritables négociations sur la définition des modalités, notamment territoriales, pouvant conduire à un véritable accord de paix, dans le respect du droit international. Cette même conférence de Genève devrait également examiner les garanties de sécurité demandées par les deux belligérants.
La tenue de cette conférence, sans limite de durée a priori, introduirait une période de transition durant laquelle, les combats ayant cessé, on discuterait des statuts des territoires conformément au droit international. Il ne s’agirait donc en aucun cas de reconnaître un nouveau « conflit gelé ».
Couper court aux menaces nucléaires
D’ores et déjà, des contacts pourraient être pris avec les pays ayant les mêmes idées, comme l’Inde, pour faire progresser ce schéma. Un certain nombre d’acteurs présents à la conférence de Genève pourraient d’ailleurs aussi confirmer leur engagement à participer à la reconstruction de l’Ukraine.
Un tel schéma permettrait de couper court aux menaces nucléaires réitérées du Kremlin, destinées avant tout à freiner, voire à empêcher, la montée en gamme des armes fournies par les États-Unis et les autres pays occidentaux à l’Ukraine. Il permettrait également de conforter le rôle de l’AIEA. Ses observateurs ont déjà accès à la centrale de Zaporijia à l’arrêt, mais ils sont toujours soumis aux autorisations des militaires russes occupant la centrale.
Moscou a fait appel à l’AIEA pour protéger la centrale nucléaire de Koursk, quand certaines rumeurs ont fait croire qu’elle pourrait constituer un objectif pour l’armée ukrainienne qui venait de pénétrer dans le territoire sud de l’oblast de Koursk.
Un cessez-le-feu réglerait par ailleurs la question de la médiation avortée du Qatar pour limiter les tirs ukrainiens sur les raffineries russes − un tiers de la capacité de production y a été endommagé − ainsi que les tirs russes sur les infrastructures de production et de distribution électrique ukrainiennes − la moitié de leurs capacités a été détruite.
Les intérêts de Kiev sont aussi les nôtres
La sécurité des voies d’exportation des céréales russes et ukrainiennes par la mer Noire pourrait également être renforcée. Tous les enfants ukrainiens déportés et placés dans des familles ou des institutions russes devraient être rapatriés en Ukraine. Et les prisonniers de guerre, comme les dépouilles des soldats tués de part et d’autre, devraient revenir à leur pays d’origine.
L’objectif premier de cette « conférence de Genève » serait donc d’enrayer les tentatives d’effacement de l’identité ukrainienne poursuivies avec une grande constance par Poutine. Elle pourrait aussi éloigner les tentatives de déstabilisation de la Géorgie et de la Moldavie et, a fortiori, des trois pays baltes, couverts, eux, par la garantie de sécurité de l’OTAN [Organisation du traité de l’Atlantique Nord] et membres de l’UE [Union européenne].
Cette conférence affirmerait le caractère mondial – et non pas seulement européen, ou bilatéral du conflit ukrainien. Elle permettrait à la fois de suspendre les hostilités et d’engager un processus multilatéral dans lequel les Européens, confirmant leur soutien multiforme à Kiev, pourraient faire entendre une voix propre. Le temps presse : dans les semaines qui viennent, les évolutions militaires sur le terrain, ou les contournements politiques, peuvent gravement affecter les intérêts de Kiev, qui sont aussi les nôtres.
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Les signataires de ce texte sont membres du Club des Vingt : Claude-France Arnould, ancienne ambassadrice ; Denis Bauchard, ancien ambassadeur ; Claude Blanchemaison, ancien ambassadeur en Russie et en Inde ; Hervé de Charette, ancien ministre des affaires étrangères ; Dominique David, conseiller du président de l’Institut français des relations internationales ; Michel Foucher, ancien ambassadeur en Lettonie ; François Gouyette, ancien ambassadeur ; Marc Perrin de Brichambaut, ancien secrétaire général de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
>Lire la tribune sur le site du Monde
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