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À Gaza, une nouvelle phase de la guerre ; au Liban, la menace d’une offensive majeure

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L’extrême volatilité de certaines situations politiques nationales et internationales est-elle la marque de fabrique de la décennie ? Après le retrait des forces américaines de Kaboul en 2021, l’invasion de l’Ukraine en 2022 et les attaques du 7 octobre 2023 en Israël, une nouvelle guerre au Liban menace.
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SiSi la surprise du succès du barrage républicain à l’extrême droite en France a pu éclipser l’actualité au Proche-Orient, celle-ci risque de revenir sur le devant de la scène au cours de l’été, tant la situation dans la région demeure incertaine.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a annoncé le 23 juin, dans une interview accordée à la chaîne 14, que « la phase intense des combats contre le Hamas est sur le point de se terminer ». D’après Israël, des capacités militaires des quatre bataillons du Hamas regroupés autour de Rafah, il ne resterait plus que 40 % (soit près de 600 hommes), avec un armement plutôt léger. L’armée israélienne s’est également félicitée de la destruction de 40 tunnels sur 80, bien que ce chiffre tienne davantage de l’estimation au vu de l’incertitude dans laquelle le renseignement israélien se trouve lui-même sur le nombre exact de tunnels restants.

La situation à Gaza sur le plan tactique vaut pour rappel, s’il en était besoin, de la difficulté à mener des opérations militaires en milieu urbain. En dépit des considérables dégâts provoqués par les bombardements – plus de 38 000 Gazaoui·es ont perdu la vie au cours des neuf derniers mois, une estimation revue à la hausse cette semaine par une étude publiée par The Lancet, tandis qu’une immense partie des infrastructures de l’enclave ont été détruites –, les groupes armés palestiniens demeurent capables de lancer des roquettes, comme ce fut le cas avec une salve de 20 roquettes envoyées par le Jihad islamique depuis Khan Younès le 1er juillet.

Le Hamas, bien que sérieusement affaibli, reste un acteur clé dans le jeu politique palestinien : d’abord parce que 120 otages israélien·nes sont toujours détenu·es dans l’enclave, et ensuite parce qu’il est possible qu’il parvienne à se maintenir au pouvoir par la suite.

[...]

Une nouvelle phase de la guerre

Au nord de l’enclave, l’armée israélienne tente d’empêcher une population désireuse de retourner dans ce qu’il reste de ses habitations. Des échauffourées persistent avec des membres du Hamas profitant des décombres pour se cacher et opérer des opérations de harcèlement des troupes israéliennes, dites de « hit and runs », ce qui montre la tâche de Sisyphe et le découragement que peuvent ressentir certains soldats israéliens à, selon les termes officiels, « nettoyer » des zones pour devoir recommencer quelques semaines plus tard.

Sur le plan tactique, le Hamas contourne quant à lui la friction en évitant le combat. La deuxième phase suggérée par Nétanyahou pourrait donc ressembler à un retour vers la politique dite de « tonte de la pelouse », revenant à conduire des raids réguliers en fonction des renseignements acquis, et visant à « décapiter » l’organisation en éliminant ses cadres dirigeants.

Une illustration pourrait en être donnée avec la frappe qui a visé samedi 13 juillet le camp de déplacés d’al-Mawasi, près de Khan Younès. Le Hamas annonce plus de 70 morts. Israël a admis qu’une frappe a été menée dans une zone « où deux terroristes du Hamas de haut rang et d’autres terroristes se cachaient parmi des civils ». Des médias israéliens ont affirmé que le raid visait le chef de la branche armée du Hamas Mohammed Deif, parmi les responsables les plus recherchés par Israël.

Autre signe que la guerre est entrée dans une nouvelle phase, les installations électriques ont commencé à être réparées par l’armée israélienne. Le motif officiel est la nécessité de rétablir le fonctionnement de centrales de désalinisation pour augmenter les ressources en eau de la bande de Gaza, afin de limiter le risque épidémique, qui augmente à mesure que les températures estivales s’élèvent.

Sur le plan humanitaire, la situation est toujours désastreuse. La population de Gaza, ballottée au gré des consignes données par l’armée israélienne, souffre de sous-nutrition, d’une pénurie de médicaments, en plus des bombardements et des traumatismes psychologiques liés à dix mois de guerre. Le ponton qui devait s’élancer depuis Chypre pour faire arriver l’aide humanitaire a dû être démonté une nouvelle fois face à la houle méditerranéenne. Il est à l’image de l’allié américain dans ce conflit : inopérant.

La mécanique de la haine

La mécanique de la haine ne semble pas s’être enrayée et des vidéos préoccupantes circulent, relayées par Al Jazeera, dont la diffusion est désormais interdite en Israël. On y voit des prisonniers palestiniens le corps ensanglanté, torse nu, utilisés comme « boucliers humains » par des soldats israéliens, c’est-à-dire attachés sur le capot d'une voiture déambulant dans les rues de Jénine en Cisjordanie, ou envoyés faire de la reconnaissance de maisons ou de tunnels à Gaza pour détecter d’éventuels explosifs, sans autre équipement que leur corps.

Autre problématique, celle des prisons israéliennes, surpeuplées par l’afflux de détenus palestiniens depuis le 7 octobre. Le directeur de l'hôpital Al-Shifa, le docteur Mohamed Abu Salmiya, a été relâché : un « sérieux problème et une faillite morale » selon le bureau du premier ministre, qui n’a pas approuvé cette décision. Benny Gantz a quant à lui tweeté à son endroit : « Celui qui a pris cette décision devait être viré aujourd’hui. » 

L’annonce de cette libération a suscité une grande controverse en Israël, qui porte non pas sur la pertinence d’arrêter un directeur d’hôpital et de le détenir sans qu’il soit jugé, ou encore sur les conditions de détention terribles et les allégations de torture dans la base de Sde Teiman, mais sur le bien-fondé de le relâcher – et ce en dépit de l’avis favorable émis par l’armée israélienne et par son service de renseignement militaire, le Shin Beth.

Le jour d’après ?

Cette deuxième phase de la guerre annonce-t-elle l’arrivée d’un « jour d’après », qui déciderait de l’épineuse question du mode de gouvernance de la bande de Gaza après la guerre menée dans le cadre de l’opération Glaive de fer ?

Israël se trouve aujourd’hui confronté au même dilemme qu’en 1967 : que faire des territoires conquis ? Et, comme en 67, plusieurs visions s’affrontent. L’échelon politique, aujourd’hui incarné par le clan Nétanyahou et ses alliés Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, ne songe pas à se désinvestir des territoires pris.

Plusieurs plans sont ainsi envisagés. Le premier, dit des « bulles », consisterait en une « cisjordanisation » de la bande de Gaza, qui se trouverait divisée entre des zones où la population gazaouie serait confinée et d’autres où certaines personnes pourraient transiter, et d’autres enfin constituées d’emprises militaires auxquelles seul·es les Israélien·nes pourraient accéder. Cela nécessiterait donc un tri massif de la population gazaouie, rendu possible à l’aide de logiciels utilisant l’intelligence artificielle, tels que Lavender, qui attribue une note de sécurité à chaque Gazaoui·e se présentant à des checkpoints. La reconnaissance faciale serait alors mise à contribution pour aider ce triage, comme c’est déjà le cas en Cisjordanie.

Le deuxième consisterait à créer dans la largeur de la bande de Gaza une fortification d’où Tsahal pourrait mener des raids. Cela semble toutefois peu probable, au vu du défi logistique d’une telle solution.

Les généraux, dont Benny Gantz, Gadi Eisenkot et Yoav Gallant, voient de leur côté le risque pour l’armée israélienne de se lancer dans l’occupation de Gaza, ce qui aurait pour conséquence de fixer en permanence des troupes pourtant peu nombreuses dans l’enclave, au détriment des nombreux autres fronts : celui de l’Iran bien sûr, mais aussi ceux de la Syrie, des houthis en mer Rouge, et enfin du Liban.

La stratégie n’est jamais que l’allocation des moyens en vue d’une fin : or, pour des raisons stratégiques, l’occupation de la bande de Gaza serait désastreuse pour les capacités opérationnelles de l’armée israélienne. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la démission de Benny Gantz, le 9 juin, qui renverse les équilibres au sein du gouvernement. L’annonce récente d’intégrer Ben Gvir au cabinet de guerre, réelle instance de décision dont il était jusqu’à présent exclu, est en ce sens inquiétante.

Pour les généraux, la moins pire des options serait de confier la bande de Gaza à l’Autorité palestinienne, version Mohammed Darlan, un technocrate, ou version Marwan Barghouti pour la rue palestinienne, toujours retenu dans les geôles israéliennes.

Au Liban, la guerre aura-t-elle lieu ?

Cette deuxième phase annoncée de l’opération Glaive de fer est-elle le signe d’une bascule de l’effort de Tsahal vers le nord, où l’attend le Hezbollah ?

Pour les renseignements américains, l’offensive israélienne pourrait avoir lieu dès la deuxième quinzaine de juillet. En effet, Israël pourrait être tenté d’utiliser la fenêtre ouverte par la guerre à Gaza, ainsi qu’un contexte international perçu comme permissif (faiblesse de Joe Biden, Otan focalisée sur la guerre en Ukraine, contextes électoraux volatils en France et en Allemagne…) pour régler son compte au Hezbollah, et faire oublier l’échec de 2006.

Depuis le 7 octobre a lieu une guerre qui ne dit pas son nom. Plus de 4 500 frappes ont été conduites par l’armée israélienne au sud du Liban, des survols de drones israéliens de la frontière sont quotidiens, alors qu’ils constituent une violation de la souveraineté libanaise dûment observée par la Finul, les Casques bleus de l’ONU positionnés à la frontière ; plus de 300 membres du Hezbollah ont été tués. 100 000 Libanais·es sont déplacé·es, et du côté israélien, plus de 80 000 personnes ne peuvent retourner chez elles, ce qui représente un coût colossal pour l’État hébreu.

Cependant, l’équation stratégique pour Israël est plus complexe qu’il n’y paraît. Depuis 2006, le Hezbollah n’a fait que renforcer ses capacités militaires aussi bien que son emprise politique sur le Liban. Une confrontation avec lui équivaudrait à une guerre déclarée avec tout le pays, et on voit mal comment Tsahal pourrait se limiter au Sud-Liban sans aller jusqu’à Beyrouth.

La Haute Cour de justice a pris une décision historique, ouvrant le pas à la mobilisation des ultraorthodoxes.

Les stratèges de l’État hébreu ont ainsi bien conscience que se lancer dans une offensive terrestre équivaudrait à une guerre régionale. En outre, le Hezbollah dispose d’un arsenal de 100 000 à 150 000 roquettes et de missiles balistiques fournis par son parrain iranien. Si l’on postule que le Dôme de fer, le système de défense aérienne israélien, serait saturé par des salves de 5 000 roquettes par jour, les villes d’Israël seraient donc touchées beaucoup plus durement que jamais.

À l’inverse, si on se livre à un rapide calcul, en un peu plus d’un mois, le stock de munitions du Hezbollah serait écoulé, la recomplétion de ce dernier par l’Iran posant au régime des mollahs de sérieux défis logistiques. L’armée israélienne peut donc prendre le parti d’essouffler son ennemi depuis le 7 octobre jusqu’à aujourd’hui, et de lui porter un coup fatal en le conduisant au préalable, comme c’est le cas aujourd’hui, à vider son stock de roquettes pour des petites actions sans importance tactique.

Devant ces nombreuses menaces, et pour faire face aux besoins de l’armée israélienne en termes de conscrit·es, la Haute Cour de justice a pris une décision historique, ouvrant le pas à la mobilisation des ultraorthodoxes. Ces derniers bénéficiaient depuis 1948 d’une exemption donnée par Ben Gourion, devant le besoin de recréer le vivier spirituel d’Israël après l’extermination des juifs d’Europe lors de la Shoah. En 1948, cette exemption concernait moins de 400 personnes : elle s’applique aujourd’hui à plus de 66 000.

Cette guerre qui ne dit pas son nom au nord d’Israël comporte aussi une dimension psychologique importante : le Hezbollah publie des vidéos mettant en scène sa connaissance précise du territoire israélien.

Il a par exemple largement communiqué sur son ciblage d’une batterie du Dôme de fer. De même, il publie des cartes localisant les sites stratégiques israéliens, pour faire la démonstration de la qualité de son renseignement et de sa capacité de mener des frappes de précision.

Quelles conséquences pour la France ?

Depuis Paris, la tentation est de penser qu’Israël n’ira pas jusqu’au bout, et que les déclarations alarmantes de Benyamin Nétanyahou ne sont que des rodomontades destinées à restaurer une posture dissuasive vis-à-vis du Hezbollah. Cependant, en cas d’offensives terrestres, les forces armées françaises devront se mobiliser pour organiser l’évacuation des ressortissantes et ressortissants français des deux pays, extrêmement nombreux.

Dans cette hypothèse, les porte-hélicoptères seraient probablement mis à contribution, ce qui pourrait fixer une partie de la flotte française et poserait un défi logistique important. En outre, qu’adviendrait-il du contingent français de 700 soldats qui compose la part majoritaire de la Finul ?

Les conséquences sur les autres États de la région seraient également potentiellement structurantes. L’Égypte et la Jordanie souffrent de l’absence des revenus liés au tourisme. Leurs sociétés civiles sont scandalisées par la situation humanitaire des Gazaoui·es, ce qui alimente une contestation de ces régimes, qui ont tous deux signé une paix avec Israël. Une guerre au Liban serait-elle la goutte d’eau qui contribuerait à un bouleversement des équilibres régionaux ?

L’ensemble des acteurs est donc très prudent et regarde avec inquiétude la situation se tendre à la frontière nord. Une étincelle – une erreur de ciblage par exemple – pourrait contraindre l’un ou l’autre à passer à l’étape supérieure, ce que tous redoutent, au vu des enjeux.

De quels leviers d’action dispose Paris pour dissuader Israël d’employer la force ? La reconnaissance d’un État palestinien aurait probablement des effets – minimes – sur l’arbitrage en cours au sujet du « jour d’après », sans plus. Force est de constater qu’un boulevard s’offre donc à Benyamin Nétanyahou, ce qui accroît un peu plus la volatilité d’une situation déjà très incertaine.

 

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Amélie FÉREY

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