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Gagner la guerre est plus facile que gagner la paix

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cité par Marc Semo dans

  Le Monde
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En Afghanistan, en Irak ou en Libye, des conflits armés ont été menés au nom de la paix, sans parvenir à une situation stable. Dans un monde multipolaire, la communauté internationale mesure plus que jamais la difficulté de sa consolidation.

Contenu intervention médiatique

Elle est toujours fragile et toujours menacée, aussi difficile à construire qu’à préserver. « La paix est comme un rêve suspendu », aimait à rappeler le défunt secrétaire général des Nations unies – et Prix Nobel de la paix – Kofi Annan. Une phrase lancée quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, qui marquèrent la fin des illusions iréniques sur l’après-guerre froide. Ce fut le début d’une longue séquence d’interventions armées occidentales pour lutter contre le terrorisme et « de guerres au nom de l’humanité », terrible oxymore analysé par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem), dans Les Guerres au nom de l’humanité (éd. PUF, 2012), un livre devenu un classique. Ce sujet sera au cœur des débats du Forum mondial Normandie pour la Paix, qui se tiendra les 4 et 5 juin à Caen, et dont Le Monde est partenaire.

L’objectif proclamé de ces « guerres au nom de l’humanité » est de protéger les populations civiles des atrocités de masse menées par des régimes assassins. Elles se revendiquaient d’un droit d’ingérence théorisé dès la fin des années 1980 par le juriste français Mario Bettati, qui trouva sa première application en 1991 en Irak avec la création d’une zone kurde au nord du pays sous protection internationale. Le concept est revenu en force comme « responsabilité de protéger (R2P) » entérinée par l’assemblée générale de l’ONU en 2005. Contrairement au « droit d’ingérence », elle a un large spectre – c’est une responsabilité de prévenir, de réagir et de reconstruire –, elle ne se réduit pas à l’intervention militaire qui reste l’ultime recours. Elle implique un feu vert du Conseil de sécurité.

  • « Nous agissons souvent comme les dieux des tragédies grecques, incapables de laisser les humains se prendre en charge, sans néanmoins pouvoir continuer à leur tenir la main. » Jean-Marie Guéhenno, ancien haut responsable des Nations unies

Menées pour un rêve de paix, ces guerres furent militairement gagnées mais sans victoire décisive. Lancées avec mandat de l’ONU (Afghanistan, Libye, Sahel) ou parfois sans (Irak 2003), ces interventions s’enlisèrent dans d’interminables conflits d’attrition suscitant en retour un rejet croissant des opinions publiques occidentales. Les onze ans de guerre civile syrienne, la pire tragédie humanitaire du nouveau siècle, rappellent néanmoins que le prix de la non-intervention peut être encore plus élevé.

Qu’il s’agisse de tentatives de « nation building » comme en Afghanistan ou en Irak, ou seulement d’opérations aériennes pour mettre en échec un dictateur, voire précipiter sa chute, comme en Libye, ces interventions internationales aussi légitimes furent-elles n’ont guère eu de résultats probants. « Nous voulons la paix ; mais nous agissons souvent comme les dieux des tragédies grecques, incapables de laisser les humains se prendre en charge, sans néanmoins pouvoir continuer à leur tenir la main », remarque Jean-Marie Guéhenno, ancien haut responsable des Nations unies, dans ses mémoires The Fog of Peace, dont un extrait a été publié par la revue Commentaire (hiver 2018-2019).

Le fiasco du traité de Versailles

Considérée à raison comme le souverain bien, la paix reste en outre pour le moins difficile à définir. « Une suspension plus ou moins durable des modalités violentes de la rivalité entre unités politiques », résumait Raymond Aron qui, dans son maître ouvrage Paix et guerre entre les nations (éd. Calmann-Levy, 1962), en définissait trois types : la paix d’équilibre entre puissances d’une force équivalente, la paix d’hégémonie quand l’une d’entre elles devient dominante et la paix d’empire quand la plus puissante arrive à soumettre les autres.

Longue de près de quatre siècles, la « pax romana » est le parfait symbole de la paix d’empire. Le congrès de Vienne en 1815, entérinant la fin de l’aventure napoléonienne avec la naissance d’un concert des nations concocté par Talleyrand et Metternich, reste l’archétype d’une paix d’équilibre qui assura la stabilité européenne pendant presque un siècle.

Gagner la guerre est plus facile que gagner la paix. Le traité de Versailles après le carnage de la première guerre mondiale, imposé comme un humiliant « diktat » à l’Allemagne et aux empires centraux vaincus, créa les conditions qui portèrent à la seconde guerre mondiale. C’est pourtant alors que furent posées les bases d’une sécurité collective mondiale avec la Société des Nations, certes impuissante notamment en raison du refus des Etats-Unis d’y participer.

Après 1945, les Alliés surent tirer les leçons de cet échec pour construire l’ONU et le système actuel des relations internationales, aujourd’hui remis en cause par l’administration Trump. Vaille que vaille, il a évité, grâce à l’équilibre de la terreur entre les deux grands pendant la guerre froide, tout conflit majeur au sein du Vieux Continent. C’est aussi à la lumière du fiasco de Versailles que furent lancés d’abord le plan Marshall puis la construction européenne, exemple le plus abouti d’une réconciliation entre anciens belligérants.

Un processus long et hasardeux

Dans un conflit entre Etats, les entités concernées peuvent arriver à la paix même sans une défaite totale de l’un des camps.

  • « Pour qu’une victoire se traduise par une paix prolongée, les forces en présence doivent idéalement considérer leur nouvelle situation comme irréversible mais ne s’opposant pas à leurs intérêts, voire honorable et juste », relève Corentin Brustlein de l’Institut français des relations internationales (IFRI) dans un numéro de la revue Politique étrangère (automne 2018) consacré à la sortie des guerres.

Mais ce cas d’école ne se pose plus guère.

Malgré les tensions croissantes entraînées par le retour des rivalités entre puissances dans un monde devenu multipolaire, voire apolaire, les seuls conflits ouverts aujourd’hui ne sont pas interétatiques mais intra-étatiques, même si souvent les pays voisins, voire les grandes puissances, s’y affrontent par procuration.

« Ces formes conflictuelles sont non seulement tragiques pour les populations concernées, mais deviennent un vrai cauchemar pour les relations internationales, car irréductibles aux paramètres classiques de régulation », relève Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po Paris. Si les diplomates et la communauté internationale peuvent fixer un cadre, déployer des casques bleus pour du « peace keeping » (maintien de la paix) ou du « peace making » (imposition de la paix), sa consolidation nécessite d’impliquer aussi d’autres acteurs et en premier lieu ceux des sociétés civiles.

Le processus est long et souvent hasardeux. Il faut à la fois reconstruire des infrastructures et des institutions. Il est nécessaire de désarmer et de réinsérer les combattants, de retisser les liens de sociétés détruites et de mettre sur pied les mécanismes d’une justice transitionnelle pour juger les responsables des crimes les plus graves. Cela tient de la gageure. Même en Europe où, malgré les moyens mis en œuvre et l’absence de violences, aussi bien la Bosnie que le Kosovo restent plongés dans un interminable après-guerre.

 

Cet article est extrait d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la Région Normandie.

Marc Sémo / Le Monde

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Corentin BRUSTLEIN

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Ancien Directeur du Centre des études de sécurité de l'Ifri