De facto, les États-Unis ont quitté l'OMC
Dans la définition de sa politique d'échanges, l'administration Trump ne tient plus aucun compte de son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce, dont elle a été l'architecte et le leader historique. Une rupture majeure dont l'économiste Sébastien Jean explore les conséquences potentielles.

Le programme de « commerce et droits de douane réciproques » que vient de présenter Donald Trump n'est rien d'autre qu'une sortie de facto de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Non pas qu'il se soit distingué jusqu'ici par le respect des engagements de son pays dans ce cadre. Mais les annonces du 13 février sont d'une nature différente, parce qu'elles organisent la politique commerciale américaine à venir autour de la violation des règles les plus fondamentales des accords multilatéraux.
Le traitement de leurs partenaires au cas par cas est l'exact contraire de la clause de la nation la plus favorisée, l'article 1er du GATT. Le relèvement unilatéral des droits de douane enfreint aussi les engagements de plafonnement pris au titre de l'article 2.
Au-delà, la liste des motifs invoqués est délibérément large et vague, entièrement tributaire de la liberté d'interprétation des autorités américaines, et à ce titre contraire au principe même des accords internationaux, reposant sur la souscription conjointe à des règles précises. En somme, ce programme institutionnalise l'incertitude et l'arbitraire comme principes fondateurs de la nouvelle politique commerciale des Etats-Unis.
L'Europe en ligne de mire
Pour l'instant en tout cas, les Etats-Unis restent membres de l'OMC : ils continuent à participer à la vie de l'organisation, y conservant un pouvoir d'influence ; et ils peuvent facilement revenir à une pratique plus conforme par la suite, s'ils le souhaitent. Il n'en reste pas moins que l'administration Trump ne tient plus aucun compte de son adhésion à l'OMC dans la définition de sa politique commerciale : les Etats-Unis se placent désormais en dehors de ce cadre. S'agissant du pays qui a été l'architecte et le leader historique du système commercial multilatéral, c'est une rupture majeure.
La suite est loin d'être écrite. D'abord parce que Trump est imprévisible. La présentation de ce « plan » ne dit pas grand-chose de la façon dont il sera mis en oeuvre. Appliquer la réciprocité dans le détail serait ubuesque : les Etats-Unis comptent près de 12 000 lignes tarifaires et 168 partenaires commerciaux au sein de l'OMC (ils ne sont même pas obligés de traiter tous les pays européens de la même manière, notre politique commerciale commune s'applique à nos importations, pas aux leurs). Il est probable que la concrétisation soit sélective, pour ne pas dire arbitraire.
Les déclarations préalables de Trump, comme les références répétées à la TVA et à la taxe sur les services numériques montrent que l'Europe est dans la ligne de mire. La menace est sérieuse, pour une industrie européenne qui n'a vraiment pas besoin de cela.
Traité et canif
Mais l'enjeu est plus large dans le cas présent. « Où il y a un traité, il y a un canif », disait Talleyrand. De fait, les accords dont l'OMC est la gardienne ne valent que dans la mesure où les signataires acceptent de les appliquer. Pourront-ils effectivement survivre à ce coup de Trafalgar américain, dans un contexte déjà mis sous tension par le mercantilisme chinois ? Rien n'est moins sûr, mais la réponse dépendra en partie de nos réactions.
Les Etats-Unis piétinent les règles parce qu'ils sont convaincus que le rapport de force leur sera favorable. La plupart de leurs partenaires ne partagent pas cette approche. Deux exemples l'illustrent : le partenariat transpacifique, mené à son terme par les autres participants après la sortie des Etats-Unis ; et le système arbitral instauré à l'initiative de l'Union européenne pour pallier la paralysie de l'organe d'appel de l'OMC, auquel ont adhéré la plupart des grands pays, à l'exception notable des Etats-Unis et de l'Inde.
Le risque de s'isoler d'un système fonctionnant sans eux est d'ailleurs l'un des freins que l'on peut espérer opposer aux dérives trumpiennes, à condition de réagir de manière ferme mais cohérente. Au-delà de l'accès au marché américain, c'est la pérennité d'un cadre commercial international fondé sur des règles qui est en jeu. En dépit de ses insuffisances, sa valeur ne saurait être sous-estimée.
> Lire la tribune sur le site des Echos.
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