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Coups d'Etat en Afrique : « Les putschistes promettent une deuxième indépendance »

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interviewé par Sarah Diffalah pour

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La multiplication des coups d'Etat au Sahel et en Afrique de l'Ouest, qui fragilise encore un peu plus l'influence de la France sur le continent, signe un inquiétant recul démocratique. Explications avec Alain Antil, de l'IFRI.

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Des militaires qui font irruption dans les locaux de la télévision d'Etat pour annoncer à l'antenne la fin du régime politique et la destitution du président : la scène s'est répétée sept fois ces trois dernières années dans les Etats africains francophones. Après le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, le Niger il y a un mois, c'est le Gabonqui est devenu le théâtre, le 30 août, d'un nouveau coup d'Etat. Le continent africain semble renouer avec les régimes militaires des années de guerre froide, une période - que l'on pensait révolue - marquée par une instabilité politique endémique qui faisait apparaîtrele continent comme structurellement incapable de se démocratiser. Mais la dynamique des coups d'Etat actuels est complexe, et il serait réducteur de les mettre dans le même sac.

En août 2020 puis mai 2021, les colonels maliens ont surfé sur un mécontentement général contre le régimecorrompu d'Ibrahim Boubacar Keïta. Au Burkina Faso, les putschs de janvier et septembre 2022 puisent leurs racines dans des relations tendues entre militaires et pouvoir civil, sur fond de défis sécuritaires importants posés par des insurgés djihadistes qui contrôlent 40 % du territoire. Au Niger, le coup d'Etat contre Mohamed Bazoum ne fait pas suite à des manifestations dans les rues de Niamey, ni à des revers contre les groupes terroristes. La légitimité que le président nigérien tirait des élections de 2021 était loin d'être parfaite, mais elle n'était pas remise en cause. Quant au Gabon, c'est la réélection contestée de l'héritier de la dynastie Bongo - qui règne depuis 1967 - qui y a provoqué le putsch contre Ali Bongo. Une situation qui rappelle celle de la Guinée en 2021, où les militaires des forces spéciales ont déposé Alpha Condé qui avait révisé la Constitution pour effectuer un troisième mandat.

Reste que le retour des treillis au coeur de la vie politique bénéficie d'un indéniable soutien populaire. Profitant de cet état de grâce, les putschistes de ces paysont opéré un rapprochement jusqu'à évoquer une « fédération ». Un axe qui serait capable de relever les défis économiques auxquels leurs propres élites corrompues et leurs partenaires occidentaux n'ont pas su répondre. De quoi, en tout cas, mettre en lumièreun rejet grandissant des valeurs démocratiques et libérales. La Russie de Vladimir Poutine, qui s'en réjouit, apparaît comme la bénéficiaire de l'affaiblissement des Occidentaux dans leur ancien pré carré...

Cette « épidémie de putschs », comme l'a qualifié Emmanuel Macron, va-t-elle s'étendre ? Au Cameroun et au Congo-Brazzaville, les dirigeants sont vieillissants. A Madagascar, la gouvernance laisse à désirer. Au Sénégal, la jeunesse bouillonne contre l'autoritarisme de Macky Sall. Entretien avec Alain Antil, directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des Relations internationales (Ifri).

La position de la France en Afrique est-elle affaiblie ? Avec le Gabon, c'est un de ses piliers historiques qui vacille sous les coups de boutoir des militaires...

Alain Antil : Au Sahel, la relation entre certains pays francophones et la France connaît une crise aiguë. Les relations diplomatiques sont difficiles, les troupes françaises sont sommées de partir, les accords de défense avec l'ancienne métropole sont dénoncés. Mais le déclin de la présence française sur le continent africain est une tendance de fond. Le désengagement militaire n'a pas commencé avec le retrait du Mali et du Burkina Faso. Depuis les indépendances, les effectifs sont passés de 30 000 à un peu plus de 6 000 aujourd'hui.

Emmanuel Macron avait lui-même qualifié en février les bases militaires de « relique du passé ». Les crises politiques actuelles ne font qu'accélérer le processus. Cette présence militaire était contestée par les populations et une partie des élites. Peut-être est-ce l'occasion de bâtir une relation plus apaisée... Par ailleurs, la présence économique française s'est redéployée. Les intérêts français ne sont plus concentrés sur les pays francophones et encore moins les pays sahéliens.

« Il est temps de s'interroger sur la présence militaire française en Afrique » Ces récents putschs à répétition touchent principalement des Etats francophones. Est-ce une remise en cause de la politique française menée depuis la colonisation ?

Oui. Parmi les legs postcoloniaux qui expliquent ce rejet, la présence militaire française est la plus visible. La France est le seul ancien pays colonisateur à avoir maintenu pendant des décennies des bases militaires permanentes et mené une cinquantaine d'opérations. L'interventionnisme militaire, rendu possible par des accords signés peu après les indépendances, est une caractéristique majeure de la politique de la France qui suscite aujourd'hui la réprobation sur le continent. Malgré la baisse des effectifs, il ne s'est pas affaibli au XXI siècle, se manifestant au contraire par la plus ambitieuse des expéditions militaires, l'opération Barkhane [2014-2022].

Ces pays dénoncent aussi une forme de paternalisme dans la façon dont s'expriment les autorités françaises. Le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007, lorsqu'il a déclaré que « l'homme africain n'[était] pas assez entré dans l'Histoire », a été vécu comme une gifle. J'ai le sentiment que nos autorités ne se rendent pas compte du poids de tels propos vexatoires. Encore récemment, Emmanuel Macron a déclaré que le Mali, le Burkina Faso et le Niger « n'existeraient plus » sans les opérations militaires françaises. Sans s'en rendre compte, le président alimente le ressentiment.

Emmanuel Macron et l'Afrique : une politique du « en même temps » difficile à suivre Nombre de ces coups d'Etat ont bénéficié, du moins au début, d'un important soutien populaire...

Face à des régimes jugés corrompus et défaillants, qui n'offrent aucune perspective d'avenir en particulier aux jeunes, il y a une soif de nouvelles voies. Ce « dégagisme » passe parfois par des élections, parfois aussi par des coups d'Etat militaires. Les putschistes et les milieux qui les soutiennent, les néo-panafricanistes, les souverainistes, proposent une nouvelle offre politique, celle d'une « deuxième indépendance ». Ils promettent la rupture avec l'ancien colonisateur, considéré comme coresponsable avec les élites africaines dirigeantes des malheurs de ces pays.


Ils enfourchent le discours souverainiste anti-français et anti-occidental, car c'est leur seul capital politique. Les militaires n'apportent pas de solutions aux problèmes. Mais les opinions publiques leur savent gré de dénouer des crises qui pourraient, sans leur intervention, finir dans des bains de sang. Cela dit, il faut rester prudent sur le degré de soutien à ces coups d'Etat, car on ne dispose pas d'instituts de sondage pour mesurer leur popularité.

Souvent, ces putschistes ont été inefficaces dans leur mission de protection du territoire. Certains ont occupé des fonctions au coeur des pouvoirs rejetés. Or ils apparaissent comme les sauveurs de la nation...

L'armée fait figure d'unique alternance valable pour renouveler la classe politique vieillissante et corrompue. De plus, au Mali et au Burkina Faso, les putschistes ne font pas partie de la haute hiérarchie, qui est aussi détestée que les élites administratives. Ce sont de jeunes officiers qui ont l'expérience du terrain, ne traînent pas de casseroles connues et promettent d'être en phase avec une population jeune.

Alors que les partis politiques sont démonétisés, on voit s'élaborer un nouveau champ politique avec d'autres acteurs : militaires, influenceurs, mouvements citoyens, plateformes de soutien aux putschistes ou, plus classiquement, personnes qui revendiquent des formes de légitimité traditionnelles ou religieuses.

Les militaires qui prennent le pouvoir n'ont aucune compétence pour gouverner, aucune compétence diplomatique pour négocier. Quels sont les risques ?

On a du mal à se rendre compte de ce qui se passe dans l'appareil d'Etat, car ces terrains sont désormais difficiles d'accès pour les chercheurs et les journalistes. Mais on sait que depuis l'arrivée de la junte au Mali, la situation sécuritaire s'est dégradée. L'emprise de l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) a doublé depuis le départ de l'armée française et l'arrivée des mercenaires de [la société russe] Wagner. Le Burkina Faso connaît lui aussi de grandes difficultés sécuritaires, et c'est également ce qui risque de se passer au Niger.

Au Mali, les civils paient de leur vie la présence de la milice Wagner Peuvent-ils apporter plus de démocratie à coups de putsch, dans une forme paradoxale de « printemps africain » ?

C'est parfois le cas. La démocratie est advenue au Mali en 1991 après des manifestations populaires réprimées dans le sang, qui ont fini par la chute de la dictature de Moussa Traoré après le coup d'Etat d'Amadou Toumani Touré. Celui-ci s'est retiré après une courte transition, avant de se présenter à la présidentielle en 2001. Au Niger, l'ancien président Mahamadou Issoufou a été élu après un coup d'Etat en 2010 et une transition menée par de jeunes officiers autour du commandant Salou Djibo...

Aujourd'hui, il est difficile de dire si ces putschs vont mener à une ouverture démocratique. En Guinée, les putschistes ont annoncé qu'ils ne resteraient pas au pouvoir. Au Mali, certains des colonels se voient un avenir politique, mais Bamako n'est pas engagé dans un processus de retour à des élections transparentes. Au Burkina Faso, la situation est si catastrophique sur le plan sécuritaire que parler de fin de la transition est illusoire. Au Niger, la junte a évoqué une transition de trois ans. Au Gabon, il est encore trop tôt pour se prononcer [le général Brice Oligui Nguema, nouvel homme fort du pays, a prêté serment lundi 4 septembre sans fixer la durée de la transition, réitérant la promesse de « remettre le pouvoir aux civils en organisant des élections libres, transparentes et crédibles »].

Ces coups d'Etat sont-ils le signe que la vague de démocratisation qui a balayé l'Afrique subsaharienne au début des années 1990 s'est brisée ?

De 1990 au milieu des années 2010, l'Afrique subsaharienne a connu globalement des progrès démocratiques, avec des trajectoires nationales très différentes. Au Sénégal, par exemple, on a eu une transition démocratique. Mais l'Afrique centrale est restée, comme au temps de la guerre froide, avec des gouvernements kleptocratiques et autoritaires. Depuis le milieu de la décennie 2010, on observe une régression,même dans des pays où il y a eu des progrès. Au Bénin, qui était avec le Sénégal à la pointe des processus de démocratisation, des opposants sont arrêtés. On est dans une phase globale de dégradation de la démocratie. Parallèlement, au sein des populations, en particulier dans la jeunesse, on trouve de moins en moins de forces sociales prêtes à tout sacrifier pour la démocratie. Cela s'explique par le sentiment que cette démocratie promue par les Occidentaux a échoué,qu'elle n'a pas apporté le développement.

Sénégal : les révoltés de Casamance Y a-t-il une tentation de l'autoritarisme ?

Ces pays ont une longue histoire de pouvoirs militaires, de partis uniques répressifs et violents. Pendant la guerre froide, les militants pro-démocratie vivaient dans la clandestinité. Puis, au début des années 1990, ces régimes se sont effondrés. Dans son discours du 20 juin 1990 à La Baule, lors d'un sommet France-Afrique, François Mitterrand ébauche l'idée de lier les aides économiquesau respect de critères démocratiques. Des forces sociales organisées et puissantes ont alors poussé pour une ouverture démocratique, pour créer des partis, des médias et des associations. On est aujourd'hui dans une phase inverse.

Une partie des populations africaines, déçues par la démocratie telle qu'elle a été mise en oeuvre, constatent que d'autres pays se sont développés grâce à des régimes autoritaires et sont tentés de les imiter. Ils veulent remplacer le « consensus de Washington » des années 1980 par le « consensus de Pékin » et explorer d'autres modèles vendus par la Russie, la Chine, les pays du Golfe ou la Turquie. Ces derniers ne sont pas aussi exigeants que les partenaires occidentaux en matière de progrès démocratique et de défense des droits de l'homme. Les régimes au pouvoir se montrent donc moins enclins à progresser sur ces questions. Mais cette analyse est à relativiser. Un régime fort ou répressif ne suffit pas pour développer un pays. Il faut aussi un Etat fonctionnel. La Chine ne s'est pas développée parce que c'était une dictature, mais parce qu'elle a un Etat puissant, interventionniste et efficace. Il en va de même au Rwanda. Pour de nombreux régimes autocratiques en Afrique, c'est loin d'être le cas.


BIO EXPRESS

Alain Antil est chercheur et le directeur du Centre Afrique subsaharienne de l'Institut français des Relations internationales (Ifri). Il enseigne à l'Institut d'Etudes politiques de Lille, à l'université Paris-I et a publié de nombreux articles sur le Sahel. Il est l'auteur d'une étude intitulée « Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone » [PDF].

 

> Voir l'interview sur le site de L'OBS

 

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Alain ANTIL

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Directeur du Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri