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Claude Meyer : « L’Europe ne doit céder ni à l’angélisme ni à la diabolisation dans sa relation avec la Chine »

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  Le Monde
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La visite du président Xi Jinping en France, du 24 au 26 mars, intervient à un moment délicat pour la Chine : sa croissance faiblit et elle fait l’objet de critiques de plus en plus virulentes en Europe et aux Etats-Unis. Affaire Huawei, « nouvelles routes de la soie », etc. : de nombreuses voix dénoncent, à travers ces cibles emblématiques, un expansionnisme chinois qui menacerait nos économies, notre sécurité et même nos valeurs.

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Face à ce défi, les relations de l’Europe avec la Chine risquent donc de devenir très tendues, si nous ne maintenons pas avec elle un dialogue constructif, qui puisse échapper à un double écueil, la diabolisation obsessionnelle du géant chinois et à l’opposé, un angélisme aveugle sur les ambitions impériales de Pékin. Nos relations avec la Chine devraient donc concilier deux objectifs : la défense résolue de nos propres intérêts et valeurs mais aussi la mise en œuvre de coopérations ambitieuses pour améliorer la gouvernance de ce monde miné par les inégalités et les conflits.

Dans quels domaines conduire un tel dialogue ? Les échanges culturels sont essentiels comme source de respect mutuel et de connaissance réciproque. Ils sont d’autant plus nécessaires que le dialogue économique se heurte à deux difficultés majeures : un déséquilibre insoutenable de nos échanges commerciaux et des difficultés récurrentes d’accès au marché chinois pour les entreprises européennes.

Les demandes répétées de l’Union européenne (UE) pour une meilleure réciprocité sont restées lettre morte : le déficit commercial européen se creuse de plus en plus et a atteint 184 milliards d’euros en 2018. Sans mesures vigoureuses de protection contre les pratiques anticoncurrentielles de la Chine, entre 1,7 et 3,5 millions d’emplois pourraient être menacés en Europe, selon certaines estimations.

Dialogue totalement bloqué

Même déséquilibre au niveau des investissements : de nombreuses sociétés européennes se plaignent de discriminations en Chine et même de transferts forcés de technologies, alors que dans l’autre sens les portes de l’UE sont largement ouvertes. Les entreprises chinoises en ont profité pour acquérir de nombreuses sociétés européennes, notamment pour rattraper leur retard dans des technologiques avancées. La Chine ambitionne en effet le leadership dans dix secteurs de pointe, conformément à son plan Made in China 2025.

Du côté de l’UE, la prudence devrait donc être de mise dans la vente de fleurons technologiques, qui met en péril la compétitivité européenne. De surcroît, pour des raisons de sécurité, une extrême vigilance s’impose dans le cas de technologies à double usage, civil et militaire, ou du contrôle d’installations stratégiques.

  • Sans mesures vigoureuses de protection contre les pratiques anticoncurrentielles de la Chine, entre 1,7 et 3,5 millions d’emplois pourraient être menacés en Europe

Face à ces risques, l’UE vient de mettre en place un cadre européen pour le filtrage des investissements extracommunautaires, mais les intérêts des Etats membres sont souvent divergents à cet égard. Divisée, l’Europe l’est aussi à l’égard du projet phare de Xi Jinping, les « nouvelles routes de la soie ». Beaucoup d’Etats membres y voient le fer de lance de l’expansionnisme chinois tandis que d’autres – pays de l’Est, Grèce, Portugal et tout récemment l’Italie – l’accueillent à bras ouverts.

S’il est déjà difficile sur le plan économique, le dialogue est totalement bloqué au niveau politique. Deux modèles s’affrontent : la Chine vante son modèle « méritocratique » face aux dérives de la démocratie représentative et l’Occident dénonce les graves travers du régime léniniste de Pékin. La question des droits de l’homme, notamment, reste une pierre d’achoppement insurmontable. Cependant, ce blocage ne doit pas faire obstacle à la mise en œuvre de coopérations innovantes pour améliorer la gouvernance mondiale. C’est le cas notamment dans deux domaines, l’avenir de l’Afrique et le dérèglement climatique.

L’Afrique, un enjeu mondial

La population du continent africain devrait doubler à 2,5 milliards d’habitants en 2050 : le développement de l’Afrique est donc un enjeu mondial. Il faudrait une croissance d’au moins 7 % par an pour que le continent puisse décoller, on en est très loin. La coopération de l’UE et de la Chine pourrait être bénéfique pour stimuler la croissance en Afrique, compte tenu de leurs atouts respectifs : puissance économique et financière pour la Chine, « soft power » et longue expérience du terrain pour l’Europe, la France notamment.

Deuxième domaine où l’UE et la Chine devraient unir leurs forces, le leadership dans la lutte mondiale contre le réchauffement climatique. La Chine, en tant que chef de file des pays émergents ou en développement, et l’Europe comme leader des pays avancés pourraient jouer un rôle crucial pour inciter l’ensemble des signataires de l’accord de Paris à mettre en œuvre leurs engagements.

  • La coopération de l’UE et de la Chine pourrait être bénéfique pour stimuler la croissance en Afrique, compte tenu de leurs atouts respectifs

Echanges culturels, dialogue économique et coopération sur les grands dossiers multilatéraux : tels sont les grands axes d’une relation fructueuse avec la Chine. Il reste que face à Pékin, la priorité pour l’Europe doit être la défense vigoureuse de ses valeurs et de ses intérêts. Deux décisions prises le 12 mars vont dans ce sens. Le Parlement européen a adopté le règlement sur la cybersécurité, avec le groupe chinois de télécoms Huawei en ligne de mire. Le même jour, la Commission présentait dix mesures destinées à rééquilibrer les relations avec Pékin ; elles devraient être examinées par le Conseil européen avant le sommet UE-Chine du 9 avril.

Ces signes de fermeté sont bienvenus mais le défi chinois pose une question beaucoup plus large, celle de l’avenir du projet européen. Pour que l’UE puisse parler à la Chine d’une seule voix, de puissance à puissance, et conjurer les éventuelles tentations hégémoniques de Pékin, il lui faudra approfondir et renforcer son intégration. C’est tout l’enjeu des prochaines élections européennes.
 

Claude Meyer est conseiller au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et professeur à PSIA-Sciences Po. Il est l’auteur de « L’Occident face à la renaissance de la Chine. Défis économiques, géopolitiques et culturels » (Odile Jacob, 2018).
 

>Lire l'article sur le site du Monde

 

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Claude MEYER

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Anciennement Conseiller au Centre Asie de l'Ifri