L'insertion des néo-urbains dans le jeu politique : L'exemple du Sénégal
Une note rédigée l'an dernier concernait les " émeutes de la faim[1] " en Afrique subsaharienne, et avait permis, entre autre, de pointer l'extrême difficulté des pouvoirs en place à contrôler des populations urbaines, en particulier celles des capitales, qui sont à la fois plus revendicatrices et plus proches, géographiquement, du pouvoir, et donc plus dangereuses. La " maîtrise " ou le containment politique et électoral des populations des capitales est et sera de plus en plus l'une des principales clés de la stabilité des régimes africains.
En effet, en analysant les " émeutes de la faim ", nous nous étions rendu compte que, d'une part, le déclencheur n'était pas forcément la faim, ensuite, que la totalité des " émeutes " comportait une critique de la gouvernance, et enfin qu'un nombre important de ces manifestations, en particulier au Sénégal, avaient eu comme éléments moteurs des personnes issues des quartiers périphériques où l'on trouve une forte proportion de néo-urbains. D'ailleurs, d'un point de vue plus spécifiquement électoral, les résultats enregistrés en Afrique subsaharienne ces dernières années laissent souvent apparaître (Conroy Krutz : 2006) une plus grande difficulté des pouvoirs en place à gagner dans les villes ou tout du moins à réaliser des scores aussi importants que dans les espaces ruraux.
Les projections démographiques actuelles concernant l'Afrique subsaharienne prévoient toutes une augmentation très rapide de la population mais aussi un accroissement encore plus spectaculaire des populations urbaines. Un nombre important de personnes, en plus du croît naturel des populations urbaines qui est désormais au Sénégal le principal moteur de la croissance démographique de Dakar, quitte régulièrement les espaces ruraux pour s'installer dans les villes et, en particulier, dans les quartiers périphériques des villes. Ces populations et ces quartiers seront - ils le sont d'ailleurs déjà - au cœur des transformations sociales (affaissement de l'encadrement communautaire, essor de l'individualisation et de nouvelles formes de " communautarisations ") et des enjeux politiques (en raison de leur nombre surtout et de leur capacité à revendiquer et parfois se révolter). Aussi, nous paraît-il important de comprendre comment ces populations de néo-urbains[2] se socialisent, se solidarisent, se mobilisent ou sont mobilisées et comment ces processus s'insèrent dans la redéfinition du champ politique local.
Au Sénégal, le vote de ces populations, qui se combina d'ailleurs au vote des jeunes nés en ville, lors des élections de 2000 a largement contribué à la défaite d'Abdou Diouf et à la victoire d'Abdoulaye Wade. Néanmoins, il faut évidemment avoir conscience que cette analyse du cas sénégalais n'épuise pas le sujet et surtout pas la très grande pluralité de situations nationales au sud du Sahara.
C'est pourquoi, après avoir dressé un rapide tableau démographique de l'avenir du continent, nous nous arrêterons en détails sur l'exemple sénégalais. Nous tenterons de repérer les dynamiques et les " nouvelles " formes de mobilisations et/ou les nouveaux vecteurs de solidarité qui socialisent les individus dans les quartiers ainsi que leurs capacités à transformer les mobilisations sociales en mobilisations électorales. Ensuite, nous développerons rapidement deux contre-exemples qui montrent que l'évolution sénégalaise, si elle suggère des questions généralisables à tout le continent, offre des réponses ou une trajectoire qui lui sont propres. Nous dresserons dans un dernier temps, conclusif, un certain nombre de constats qui peuvent être précieux pour décrypter les évolutions actuelles et futures des pays au sud du Sahara.
[1] Cf. Alain Antil & Sylvain Touati : Crise alimentaire, " émeutes de la faim " et enjeux agricoles en Afrique subsaharienne, note de consultance pour le CAP, année 2008, 33 p.
[2] Notons que la catégorie " néo-urbains " fait débat chez les spécialistes de la ville, qui trouvent en fait ce terme trop flou (jusqu'à quand est-on encore néo-urbain ?) et soulignent que la question de la relégation et de la contestation sociale urbaine concerne davantage les catégories d'urbains pauvres que les seuls néo-urbains. Néanmoins, nous utiliserons ce terme dans ce texte qui n'a pas d'ambition heuristique ou théorique. De plus, nous désirons surtout pointer le phénomène de l'exode rural massif en cours et de l'impact politique de cet exode rural, ce terme nous paraît donc adéquat, même si le concept pose problème dans le champ scientifique.
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