Vers un nouveau régime politique en Afrique subsaharienne : Des transitions démocratiques dans l'impasse
L’Afrique subsaharienne est revenue sur les espoirs de démocratisation qu’avait suscités la fin de la guerre froide et des régimes de parti unique. L’heure est à la désillusion. Même les pôles de stabilité qu’étaient le Sénégal (depuis l’indépendance en 1960) et l’Afrique du Sud (depuis 1994) sont aujourd’hui menacés d’une dérive autoritaire.
Les récents événements en Mauritanie et en Guinée Conakry ne doivent cependant pas induire en erreur. Ces deux pays ne sont pas représentatifs. Sur le reste du continent, la tendance lourde est à une diminution du nombre de coups d’États réussis ou avortés, y compris dans des pays comme les Comores et le Nigeria, qui s’en étaient fait une spécialité et qui détenaient des records mondiaux en la matière.
Dans la plupart des cas, les populations africaines sont en réalité gouvernées par des régimes qui ne sont ni des dictatures militaires ni vraiment des démocraties parlementaires. Ils évoluent dans une sorte de zone grise entre guerre et paix, victimes d’une insécurité quotidienne qui met en évidence la grande fragilité d’États en devenir.
Des chercheurs américains parlent à ce propos " d’anocracies ", un terme qui désigne des États plus ou moins faillis, se caractérisant par :
- une autorité centrale inexistante ou purement virtuelle (Somalie, République centrafricaine) ;
- des gouvernements toujours menacés par la reprise d’une guerre civile (Sierra Leone, Liberia, Guinée-Bissau, Burundi et peut-être même l’Angola) ;
- des niveaux de corruption élevés qui appauvrissent les services publics, alimentent les frustrations et aggravent les inégalités sociales quand ils ne permettent pas d’assurer une redistribution équitable et informelle des ressources (Nigeria, les deux Congo) ;
- des pouvoirs mal légitimés et de plus en plus contestés (Zimbabwe), parfois avec des tensions régionales non résolues (Cameroun, Éthiopie)
- des régimes parlementaires qui n’en sont pas vraiment, avec des fraudes et des processus de cooptation et de sélection en guise d’élections (Nigeria, Éthiopie, Rwanda), etc.
De fait, beaucoup de pays africains demeurent des zones de non-droit qui ne favorisent ni l’investissement ni la consolidation de relations de coopération. Les impasses de la démocratisation démontrent en outre les échecs des modèles d’exportation des puissances occidentales en la matière. Il importe à cet égard de revenir sur les présupposés de la communauté internationale : une focalisation excessive sur le moment des élections au détriment des pratiques du politique au quotidien ; des illusions quant à une corrélation entre développement, démocratisation, prévention des conflits et stabilité politique ; des certitudes trompeuses sur les mérites des ONG et de la société dite " civile ".
Marc-Antoine Pérouse de Montclos est chargé de recherche à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et docteur en sciences politiques. Il travaille sur les conflits armés en Afrique subsaharienne. Diplômé de l’IEP de Paris (Institut d’études politiques), il a vécu plusieurs années au Nigeria, en Afrique du Sud et au Kenya et accomplit régulièrement des missions d’études en Afrique. Il a publié plusieurs ouvrages, notamment sur le Nigeria, l’Afrique du Sud, la Somalie et les enjeux de l’aide humanitaire.
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