"Une capitale restera toujours une capitale" : l'essor de Konya sous l'AKP
Aux élections législative et présidentielle de mai 2023, le Parti de la Justice et du Développement (AKP) a enregistré l’un de ses meilleurs scores à Konya, confirmant le soutien de cette ville centre-anatolienne à l’islam politique turc. Longtemps marginalisée dans un espace provincial peu connecté aux centres de pouvoir, Konya est pourtant devenue avec l’AKP un « tigre anatolien ».
Avec 73 % des voix obtenues lors du deuxième tour de l’élection présidentielle de mai 2023, Recep Tayyip Erdoğan a réalisé dans la province de Konya l’un de ses meilleurs scores, augmentant au passage le nombre de ses électeurs par rapport à 2018 (y compris au premier tour). Ce résultat témoigne du soutien massif de la population locale au gouvernement et au Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkınma Partisi – AKP), alors même que le président se retrouvait pour la première fois mis en ballottage au niveau national, sur fond de mauvaise gestion du terrible séisme de février 2023 et de crise économique rampante. Peu d’analystes prévoyaient un tel succès de l’AKP, largement annoncé comme en recul, y compris dans ses bastions. Or, à Konya, les sièges perdus par le parti d’Erdoğan aux élections législatives sont allés à son allié ultranationaliste, le Parti d’action nationaliste (Milliyetçi Hareket Partisi –MHP) ; autrement dit sans aucun progrès pour l’opposition.
C’est pour mieux comprendre cet ancrage local de l’AKP et de ses alliés que le Programme Turquie/Moyen-Orient de l’Ifri s’est rendu dans la ville de Konya en mai 2023, concomitamment avec le double scrutin présidentiel et législatif : il s’agissait d’y rencontrer, en amont du scrutin, des représentants du secteur économique et des acteurs politiques de la ville pour comprendre les spécificités de cette dynamique. La présente étude, nourrie des observations d’une seconde mission post-élections, est le prolongement de ce travail de recherche. Elle vise à comprendre les raisons du succès ininterrompu de l’AKP dans une province qui lui est fidèle contre vents et marées depuis des décennies, celle de Konya, une ville reculée d’Anatolie centrale (İç Anadolu) moins étudiées que d’autres grandes villes telles que Istanbul ou Ankara. Pourtant, cette province est l’une des plus peuplées de la Turquie, ses 2 300 000 habitants la plaçant en sixième place du classement derrière Antalya et devant Adana. Elle en est également la plus vaste, avec une superficie comparable à celle de la Suisse ou des Pays-Bas (41 000 km2).
Le poids de l’islam politique à Konya, dans laquelle s’inscrit la performance de l’AKP de nos jours, n’est pas nouveau. Le fondateur de l’islamisme turc, mentor d’Erdoğan et premier des Premiers ministres islamistes qu’a connus la Turquie (1996-1997), Necmettin Erbakan, y a été élu député dès 1969, et la mairie métropolitaine de la ville est restée depuis 1989 aux mains du parti islamiste dominant (le Refah, puis le Fazilet, et enfin l’AKP depuis 2002). Ce succès s’explique par la sociologie de la ville connue pour être l’une des plus conservatrices de Turquie, mais aussi par l’alliance au niveau local entre des entrepreneurs efficaces (les « tigres anatoliens ») et les formations politiques islamistes : ces dernières recrutent parmi les dirigeants de petites et moyennes entreprises (PME) et, une fois parvenues au pouvoir, servent leurs affaires en retour grâce aux ressources conférées par l’institution municipale. Les équipes municipales mobilisent par ailleurs les politiques sociales au profit de réseaux clientélistes pour assurer leur maintien au pouvoir. Enfin, le niveau local constitue un marchepied vers des positions institutionnelles nationales pour les partis islamistes, notamment par l’acquisition d’une légitimité gestionnaire et la formation d’un personnel professionnalisé. Ces schémas d’entraide sont la condition d’une métamorphose économique et sociale qui garantit l’ampleur et la solidité de l’ancrage de l’AKP.
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