Union européenne : quand Commission et gouvernements jouent aux quilles avec les grands producteurs d’électricité
RWE, EON, EDF, ENGIE et quelques autres sont en difficultés financières. Ce résultat qui eût paru invraisemblable il y a vingt ans est le fruit combiné de mal gouvernances publiques au sein de l’Union et d’évolutions extérieures mondiales.
Il est utile d’analyser les unes et les autres.
Commençons par les mal-gouvernances, ces lignes étant écrites par un pro-européen de toujours. L’Union adopte en matière d’électricité une stratégie qui tient en quelques propositions.
(1) L’unbundling, c’est-à-dire la séparation du système électrique en trois strates :
des entreprises de production d’électricité en concurrence qui écoulent leur production sur un réseau de transport à haute tension,
ce réseau est constitué de réseaux nationaux connectés entre eux,
des entreprises de distribution s’alimentant au réseau de transport et fournissant du courant aux consommateurs.
(2) La reconnaissance de la liberté de chaque État membre de définir les sources de production nationale d’électricité.
(3) La création d’un marché européen de l’électricité à haute tension avec libre échange aux frontières.
(4) La création de droits de tirage de gaz carbonique et susceptibles d’être échangés avec apparition d’un prix du carbone, compte-tenu des demandes et des droits disponibles.
(5) La recommandation de l’octroi, dans chaque cadre national, de subventions aux énergies renouvelables pour que leurs coûts de production baissent et qu’elles deviennent plus rapidement concurrentielles.
Cette stratégie, en apparence de bon sens, s’est avérée incohérente. Mais avant d’en étudier les conséquences, il faut examiner – sans pour autant plaider pour un retour au passé – comment devait fonctionner en théorie le système de monopole public astreint à servir l’intérêt général dans un pays (c’est quelque peu vers un tel système que tendaient les pays européens dans les années 1960 à 1990).
Le monopole public, qui ne chercherait pas à prélever des rentes sur ses clients, s’efforce de mettre en harmonie les éléments suivants :
(1) Les courbes futures de monotones de puissance qu’il aura à satisfaire (y compris les puissances de pointe, sauf éventuellement les hyperpuissances pour lesquels il accepte d’être défaillant).
(2) Le volume des investissements de production par technologie (ou en termes actuels des capacités dont il disposera) pour satisfaire la demande.
(3) La décision de faire appel à tout instant aux sources disponibles en fonction de leur coût marginal à court terme.
(4) Le calcul des dépenses minimales actualisées d’investissement et d’exploitation pour satisfaire la demande et l’élaboration des tarifs qu’il faut appliquer pour que la recette couvre le supplément des dépenses.
(5) La vérification que ces tarifs sont cohérents avec les hypothèses faites sur la demande.
Revenons maintenant aux problèmes que Commission et gouvernements n’ont pas appréhendés au niveau national et au niveau entre États membres au sein de l’UE.
Au niveau national, ils ont oublié que dans un système de concurrence entre producteurs, aucun d’eux n’a intérêt à s’équiper pour couvrir la pointe. Dans ces conditions, sans mesures gouvernementales il y aura un déficit de capacité en pointe[i]. Plus sérieusement, aucun producteur d’électricité ne peut évaluer la rentabilité d’un investissement correctement compte-tenu de l’incertitude future sur les tarifs de gros.
Il devient alors nécessaire de mettre en place des marchés de capacité, si l’on veut rationaliser les investissements de production électrique.
De plus, les gouvernements ont voulu accorder aux énergies renouvelables, mais pas aux énergies décarbonées une subvention ou des garanties de prix d’achat sous forme d’une contribution payée par tous les consommateurs d’électricité. C’est donc en fait l’administration qui fixe le rythme de développement des renouvelables.
Mais, la durée des subventions s’est révélée supérieure au temps de maturation technique pour certaines énergies renouvelables (photovoltaïques notamment). La crédibilité des États membres interdit tout arrêt des subventions. Dans ces conditions, il n’y a plus de concurrence entre producteurs et c’est l’administration qui gère de fait les autorisations d’investissement.
[i]. Fort heureusement, la révolution numérique permettra peut-être de remplacer une partie de la pointe par effacement de la demande.
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