Taïwan après les élections
Changement de décor à Taiwan : la victoire du candidat du Parti Nationaliste (Kuomintang), Ma Ying-jeou, a été sans appel. Le 22 mars il a réuni plus de 58 % des suffrages face au candidat du parti au pouvoir (Parti Démocrate Progressiste). Le Kuomintang avait déjà enlevé plus des deux tiers des sièges lors des élections législatives de janvier dernier, et contrôle la vaste majorité des gouvernements locaux. Il est donc très solidement installé à tous les postes du pouvoir pour au moins les quatre prochaines années. Il retrouve le pouvoir qu'il avait dû abandonner en 2000 avec la victoire du pro-indépendantiste Chen Shui-bian.
Si ce dernier a réussi à renforcer et affirmer l'identité taïwanaise, sa fermeture au monde extérieur, les risques pris souvent inutilement dans sa confrontation avec le grand voisin chinois, les scandales qui l'ont touché ainsi que son entourage, l'absence d'une politique sociale pour enrayer les inégalités croissantes (malgré des performances économiques d'ensemble très honorables) sont autant de facteur qui ont contribué au grand retour du Kuomintang. Les Taïwanais ont décidé ne pas lui tenir rigueur d'être encore associé au régime autoritaire qui a tenu l'île sous sa coupe de 1947 à la fin des années quatre-vingt. Il est vrai que le Kuomintang a, à sa façon, et de manière très ambiguë, contribué aussi à la démocratisation du pays.
Ce que les Taïwanais attendent d'abord et avant tout de Ma Ying-jeou, c'est un redémarrage économique et social. Ils placent leur espoir dans l'établissement de directes aériennes avec la Chine, dont n'a jamais vraiment voulu le gouvernement précédent. Il faudra encore que Pékin se montre accommodant et n'exige pas de Taipei des concessions politiques rapides que Ma n'est pas prêt à consentir. Il a simplement déclaré être disposé à revenir au principe d' ' une Chine, deux interprétations ', lequel signifie un accord sur le fait qu'il n'y a ' qu'une seule Chine ', tout en acceptant que chacune des parties définisse ' la Chine ' comme bon lui semble… Ma ne peut revenir sur la souveraineté de fait de Taiwan. Il est vraisemblable que Pékin se contente dans un premier temps de la victoire symbolique que représente le retour au principe d'une seule Chine. Les discussions de fond, les pressions politiques et économiques se produiront dans un deuxième temps.
La victoire de Ma Ying-jeou était attendue. La vraie question est désormais de savoir ce que le nouveau président va faire de sa victoire. La réussite a ses exigences et ses conditions, et il est bon de rappeler quelques-unes unes d'entre elles. D'autant que le nouveau président ne dispose que de peu de temps. Il sera largement jugé sur ses premières actions, qui auront une grande portée symbolique.
La première condition du succès, c'est de ne pas effectuer un retour au passé, une ' restauration ' du vieux régime Kuuomintang, mais bien de signaler l'entrée dans une nouvelle ère. Tout en essayant de suppléer aux manques et failles de la politique poursuivie ces huit dernières années, il faudra reconnaître aussi ses acquis. Concrètement, cela veut dire que l'équipe gouvernementale mise en place ne doit pas être marquée par des figures trop connues, trop vieillies, mais qu'elle doit plutôt révéler de nouveaux talents, peu liés à un parti et une époque. L'inauguration du nouveau président est prévue pour le 20 mai, et, pour l'instant, rien n'a filtré de la composition du nouveau gouvernement.
La seconde condition découle de la première : si l'équipe est jeune et nouvelle, il lui sera plus facile d'être une équipe de réconciliation. Le nouveau gouvernement devra respecter la diversité des sensibilités et préoccupations qui se sont exprimées ces derniers mois. L'ampleur de la victoire de Ma ne doit pas cacher le fait qu'elle repose largement sur la conquête du centre, et que l'électorat taïwanais est extrêmement volatile.
Ce qui nous amène à la troisième condition : l'action de la nouvelle équipe devra mettre en valeur la participation des citoyens, des gouvernements locaux, des associations. Le contrôle par un seul parti de la présidence, de plus des deux tiers de l'assemblée et de la majorité des gouvernements locaux comporte un risque. Ce risque devra être jugulé en faisant un effort particulier pour intégrer le maximum d'opinions dans le processus de délibération. C'est donc un nouveau style politique qui doit être trouvé, développant la démocratie locale et la participation citoyenne. Or, la démocratie locale reste encore le point faible de la transition politique poursuivie par Taiwan depuis vingt ans maintenant.
L'insistance sur la participation citoyenne conduit directement à la dernière des conditions à réunir : peu d'idées nouvelles se sont exprimées au cours de cette campagne ; pourtant, Taiwan a un besoin urgent de mettre en place un nouveau modèle écologique et social. Le nouveau gouvernement ne devra pas simplement rechercher une relance du taux de croissance, il lui faut d'abord chercher une croissance qualitative et humaine. Si Taiwan, comme il le peut et comme il dit le souhaiter, inaugure un modèle asiatique de développement durable, son poids moral sur la scène internationale en sera accru d'autant. Les défis rencontrés par la nouvelle équipe ne sauraient donc se résumer au simple face à face avec le voisin continental.
Benoît Vermander est directeur de l'Institut Ricci de Taipei. Il est chercheur est professeur.
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