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Prix de l'électricité , tarif régulé et "rente nucléaire" supposée : une clarification

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Prix de l'électricité , tarif régulé et \"rente nucléaire\" supposée : une clarification
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Le prix réel de l"électricité sur le marché de gros a doublé depuis 2004. Le cours des titres d"Electricité de France a presque triplé depuis leur introduction en bourse. Le gouvernement français refléchit à haute voix sur une cession partielle de la quote part de l"Etat... Ce contexte est favorable à une discussion sur l"existence et l"utilisation, voire la re­distribution, d"une supposée " rente nucléaire ", résultat d"un effort collectif passé, dont les fruits reviendraient maintenant de nouveau à la collectivité. Un exemple récent de cette discussion est le point de vue du Professeur David Spector dans Les Echos, qui met en garde contre une utilisation hâtive de la rente nucléaire mais ne met pas en question la fiction de son existence.

Corps analyses

Quelques considérations de base

Pour bien comprendre l"enjeu ­­ qui est de taille ­­ et les mécompréhensions qui l"entourent, il est utile de remonter à quelques principes de base. Une rente est le profit généré par une ressource ou un facteur de production en offre fixe. Dans le contexte des ressources naturelles, notamment la terre, le coût de création pouvait souvent être considéré comme égal à zéro. Ce n"est évidemment pas le cas pour un outil industriel telle une centrale nucléaire, qui est tout sauf une une donnée de la nature. Pourtant, le fait que le coût de l"investissement initial dans le parc nucléaire français remonte à plusieurs années, voire à des décennies, sème la confusion. Soixante-dix pour cent du coût complet de l"énergie nucléaire sont constitués par le coût fixe de l"investissement. Cette dépense initiale doit s"amortir, dûment ajustée pour son coût d"opportunité intertemporel, tout au long de la durée de vie de la centrale, c‘est-à-dire sur quarante, voire soixante ans. Pendant tout ce temps, une centrale nucléaire doit dégager des " sur-profits ", i.e. doit avoir des recettes supérieures aux coûts variables. 

Et c"est bien évidemment le cas. Le coût variable du parc nucléaire français (coûts dits d"opération et de maintien) est confortablement en dessous du prix de l"électricité de base[1]. Economiquement, ceci est possible car d"autres technologies, par exemple les turbines de gaz à cycle combiné, avec des coûts variables beaucoup plus élevés, déterminent le prix pendant de longues parties d‘une journée. Mais le nucléaire dégage-t-il pour autant une rente, i.e. un retour sur investissement au-delà du coût de remplacement ? Nullement. Prendre les coûts variables comme base de l"argument revient à confondre coût marginaux du court terme et coûts marginaux du long terme[2]. La différence entre les deux sert à payer les dépenses passées, et à constituer les fonds nécessaires aux centrales qui viendront remplacer les centrales existantes.


 

Le rôle des tarifs régulés

On ne reprendra pas ici l"étendue et la complexité du débat sur les tarifs régulés dans le secteur de l"électicité en France et en Europe. Les contorsions autour du droit de retour au tarif, le TARTAM, ont pourtant montré que les Français, ou au moins la classe politique parlant en leur nom[3], restent attachés au droit de recevoir l"électricité à un coût non purement déterminé par le marché. C"est évidemment un choix légitime. Il faut cependant rappeler les conséquences qu"un tel choix implique :

  • Historiquement, le tarif régulé fut un moyen d"optimiser l"utilisation d"un parc dans une situation de monopole national isolé. En taxant les consommateurs au coût marginal sur le long terme on pouvait espérer lisser la courbe de charge et minimiser le coût total du parc. Dans un marché européen libéralisé, avec le jeu de la concurrence internationale et des interconnexions importantes, le tarif perd cette fonction. Aujourd"hui, ce sont les prix flottants du marché de gros, déterminés par le coût variable des moyens marginaux et les décisions entrepreneuriales de moyen et long termes qui assurent cette fonction. Paradoxalement, les tarifs régulés - déconnectés des nouvelles réalités économiques - sont maintenant devenus un élément perturbateur dans un contexte qui complique les décisions stratégiques des entrprises, et en tout premier lieu les décisions concernant l"investissement.
  • Implicitement, le tarif régulé, notamment quand il était en dessous du prix du marché, pouvait être considéré comme un moyen de faire profiter le plus grand nombre de la supposée rente nucléaire. Dans la perspective ci-dessus décrite, il est clair que des tels tarifs - majorés par l"incertitude concernant leur cadre légal - constituent un surcoût pour les entreprises. Comment un électricien récupérera-t-il ce surcoût ? En retardant les nouveaux investissements, ce qui, face à une demande croissante et inélastique, revient à créer des prix plus élevés sur le marché de gros. Cette situation a pour effet de créer des barrières d"entrée importantes pour des entreprises désireuses de s"établir dans le métier de fournisseur-distributeur, comme Poweo ou Direct Energie qui sont contraints de revendre à perte sur le marché de détail, plafonné par le tarif régulé, l‘électricité qu"ils achètent cher sur le marché de gros. Les conséquences juridico-institutionnelles de cette situation intenable n"ont pas encore fini de perturber le marché, retardant ainsi le développement de services électriques et de mesures promouvant l"efficacité énergétique.
  • Finalement, dans une situation ou la France, la Commission européenne et certains autres pays membres s"apprêtent à créer les conditions d"une relance de l"énergie nucléaire en Europe, il n"y a pas meilleur moyen de décourager les investisseurs potentiels à qui on demande d"engager leurs fonds pour quarante ans ou plus, que de plafonner durablement leur prix de vente.


Même en suivant de près les coûts énormes en termes d"investissement, il est indéniable que le parc nucléaire français et européen constitue aujourd"hui un outil industriel et commercial de grande qualité. Mais cet état des choses n"a rien de naturel. Il résulte d"une série de décisions prises dans les dernières trente-cinq années. Pour la France, Marcel Boîteux[4] a rappelé dans un article récent dans la revue Futuribles le carcatère entrepreneurial de ces décisions, qui dans le contexte de leur époque demandaient un grand courage et une vision résolument de long terme. 

Toute société doit se choisir la structurelle industrielle et les arrangements de distribution qui lui conviennent. On doit seulement rappeler que ces choix doivent être faits dans le respect des règles de la logique ou, plus prosaïquement, qu"on ne peut avoir le beurre et l"argent du beurre. Le choix du nucléaire a apporté à la France, dans le passé, une haute sécurité de l"approvisionnement électrique, et des prix avantageux. Aujourd"hui dans un contexte radicalement différent, ce même choix donne à son principal électricien les moyens d"investir dans le parc du futur. On peut parfaitement admettre que la situation de transition actuelle soit caractérisée par des contradictions et des incohérences. Tout en gardant les atouts du passé il faut en sortir en regardant vers le futur.



[1] Disons à titre purement indicatif que le coût variable ne dépasse pas les 20 Euros par MWh, et que le prix de l"électricité de base tourne le plus souvent autour des 50 Euros par MWh.
[2] De manière equivalente, on peut dire que la confusion concerne les coûts marginaux d"une centrale individuellement considérée, et les coûts marginaux une extension du parc, voire les coûts moyens d"une nouvelle centrale. Plus précisément, une centrale nucléaire dégage une " quasi-rente ", concept marshallien désignant les profits d"une installation industrielle supérieurs aux coûts variables servant à financer le coût fixe initial. Tout étudiant en économie peut vérifier facilement ces choses dans le graphique canonique de la firme avec courbe des coûts moyens dite en " U ". Quoique les prix soient supérieurs aux coût marginaux sur tout le domaine de la production, la firme produisant avec un investissement initial important, se trouve en fin de compte dans un équilibre avec un profit total de... zéro. 
[3] La distinction n"est pas anodine. Dans le cadre des PME par exemple le nombre de clients demandant la sortie du tarif est actuellement nettement plus élevé que le nombre de ceux qui demandent un retour au tarif. 
[4] " Les ambiguïtés de la concurrence ", Marcel Boîteux, Futuribles, juin 2007, No 331

 

 

 

 

 

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Le Centre énergie et climat de l’Ifri mène des activités et recherches sur les enjeux géopolitiques et géoéconomiques des transitions énergétiques. Il travaille à la fois sur les enjeux de sécurité énergétique, de compétitivité, de maîtrise des chaînes de valeur, et d'acceptabilité. Spécialisé dans l’étude des politiques européennes de l’énergie et du climat, et des marchés de l’énergie en Europe et dans le monde, ses travaux portent aussi sur les stratégies énergétiques et climatiques des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde. Il offre une expertise reconnue, enrichie de collaborations internationales et d'événements à Paris et à Bruxelles, notamment.

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