Oui le principe de la taxe carbone est juste
Qu"on le veuille ou non, la lutte contre le changement climatique nécessite que l"on limite nos émissions de gaz à effet de serre. Les résultats de ces dernières années ne sont pas à la hauteur de l"enjeu et diviser par 4 les émissions à l"horizon 2050, tel que préconisé par le GIEC pour les pays industrialisés, exige des efforts partagés par tous. Parce que la France dispose d"un parc nucléaire important et parce qu"elle produit une électricité faiblement carbonée, un tiers de ses émissions seulement est régulé par le système européen des quotas. Il s"agit donc de s"attaquer aux deux tiers restant, en particulier aux émissions provenant des transports et de l"habitat, secteurs dont les émissions sont en constante augmentation et pour lesquels la solution passe par des modifications de comportements, par des substitutions d"équipement et par l"innovation technologique. Fort de ce constat, seuls la peur et le prix peuvent nous pousser à modifier nos comportements et nous permettre de sortir de la situation existante que nous savons très dommageable pour les générations futures.
Distinguons ce qui est souhaitable pour lutter contre le changement climatique des effets qu"une taxe carbone pourrait avoir sur les ménages ou sur la compétitivité des entreprises. Si ce sont bien les modalités de redistribution des recettes qui faciliteront l"acceptation par la société de cet instrument et qui éviteront aux populations les plus fragiles d"en subir tout le poids, elles ne doivent pas remettre en cause la validité et l"efficacité de " l"outil ". C"est au débat public et aux décideurs de trancher sur la meilleure façon de redistribuer les recettes. Pour rester dans le périmètre de l"efficacité de l"outil, précisons juste qu"il faut privilégier la compensation - qui encourage et récompense les changements de comportements - et éviter les exonérations qui maintiennent les comportements existants. La question des prix de l"énergie et de leur impact sociétal est du reste un enjeu largement partagé : de nombreux pays utilisent en effet la sous-tarification de l"énergie comme un moyen de redistribution alors que la maîtrise de la consommation passe par des prix qui reflètent les coûts réels de l"énergie. Les politiques sociales de redistribution doivent relever d"autres enceintes.
Le signal prix, taxe carbone ou contribution climat énergie, doit être décisif pour déclencher la transition vers une économie moins carbonée. Le transport est un secteur où l"utilisateur est relativement peu réactif au signal prix à court terme puisque l"on raisonne à équipement constant. Néanmoins, sur de plus longues périodes, l"examen des parcs automobiles européens et américains montre qu"une essence fortement taxée a une incidence significative non seulement sur les comportements des utilisateurs, mais aussi sur la conception des véhicules et sur les technologies associées. Par ailleurs, on a pu observer une baisse de la consommation à la suite de l"envolée des prix du baril en 2008, alors même que cette augmentation était amortie par les fortes taxes appliquées en Europe. La hausse des prix à la pompe se répercute donc à la fois par moins de conduite pour le particulier et par des véhicules plus efficaces sur le plan énergétique. L"impact environnemental du signal prix est donc réel.
Les possibilités de substitutions sont inégales selon les personnes. Il existe des catégories de population captives de l"énergie dont il faut tenir compte et pour lesquelles la voiture restera indispensable : les campagnes, où chaque foyer supporte le coût de plusieurs véhicules, la périphérie des grands centres urbains et les personnes aux horaires atypiques ou décalés, qui souffrent d"une offre insuffisante de transports en commun etc…Est-ce à dire que ces utilisateurs n"ont pas d"alternative dans le court terme ? Non, si l"on en croit les chiffres avancés par la Commission Européenne ou par l"ADEME. L"écoconduite pourrait permettre de diminuer la consommation de chaque véhicule jusqu"à 10% et d"atténuer l"impact financier sur les ménages tout en ayant des effets sur le bilan environnemental national.
A moyen terme, la contribution climat-énergie agira de plus en tant que levier pour accélérer les investissements dans les transports collectifs, dans l"isolation thermique de l"habitat, dans des moteurs plus efficients, des voitures hybrides ou électriques, dans des carburants de substitutions, dans des solutions enfin, qui offriront de vrais alternatives aux populations captives de l"énergie. On peut estimer par ailleurs, que plus les recherches avanceront, plus l"éventail de solutions sera large. Naturellement, ceci sera d"autant plus réel si la taxe carbone augmente progressivement.
A long terme, tous les utilisateurs devront payer le coût du CO2 et intégrer son impact environnemental dans leur vie quotidienne.
Bien sûr, il ne faut pas sous-estimer les risques qui pourront peser dans le court terme sur le pouvoir d"achat de certains et sur la compétitivité des PME. Si nos voisins ne prennent pas des mesures analogues, peut-on craindre des distorsions économiques au sein de l"Union Européenne ? De même, il faudra examiner l"articulation de la contribution climat énergie avec le marché européen des quotas.
La lutte contre le changement climatique mérite mieux que des querelles politiciennes qui faussent le débat. Le principe d"une taxe carbone est juste : elle est indispensable à la prise de conscience citoyenne et à la modification des comportements. Elle appartient à une panoplie d"outils qui varient selon les secteurs économiques et les acteurs. Quant aux modalités d"application et en particulier les formes de compensation, il appartient au Parlement de les définir cet automne. Après les premiers cafouillages, il est urgent de saisir cette opportunité pour fournir un réel effort de pédagogie et de transparence et d"expliquer aux citoyens comment ils peuvent contribuer à la réduction des émissions de CO2. Ce n"est qu"à ce prix qu"ils seront prêts à accepter cette nouvelle taxe.
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