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Nabucco et South Stream : des gazoducs trop politisés ?

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Nabucco et South Stream : des gazoducs  trop politisés ?
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Nabucco et South Stream sont sans aucun doute les projets de gazoducs les plus politisés du moment. Sont-ils concurrents ou vont-ils vers une synthèse? Et est-ce que la politisation des projets qui devraient être surtout commerciaux est justifiée? C"est surtout le facteur " Russie ", Gazprom ", qui est mis en avant dans les reportages. Est-ce que les médias sont en retard sur le changement de position qu"on constate aujourd"hui à Bruxelles, et qui prétend que Nabucco et South Stream sont conciliables ? Le débat bat son plein. Cet éditorial résumera les faits et arguments.

Carte : Gaz vers l"Europe: Nabucco/ South Stream

 

Les faits

L"invention de Nabucco

En 2006, à la suite des conflits gaziers Russie-Ukraine, l"UE a intégré Nabucco dans la liste de ses projets prioritaires. Long de 3300 kilomètres, d"un investissement estimé à environ six milliards d"euros avec une mise en service prévue pour 2012, ce gazoduc vise à approvisionner l'Europe occidentale en gaz d'Asie centrale, de la Caspienne et du Moyen-Orient tout en évitant le territoire russe. Le tracé prévu le fait passer par la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie jusqu"à Baumgarten, en Autriche et le branche enfin au réseau gazier européen. Nabucco pourrait devenir la quatrième source d'approvisionnement de l'Union européenne avec 30 milliards de m³, soit 7 % de la demande gazière en 2010, si l"on veut croire les opérateurs et l"UE. Compte tenu de l'intérêt stratégique de cette infrastructure, la Commission a décidé de nommer un coordonnateur, l"ancien ministre des affaires étrangères néerlandais van Aartsen qui doit surveiller sa mise en place. La société Nabucco, menée par le groupe autrichien OMV, comprend à part égales le hongrois MOL, Transgaz, Bulgargaz, et le groupe turc Botas, ainsi que l"allemand RWE. GDF a été écarté du projet fin 2007. Si le groupe français a expliqué qu"il avait d"autres priorités, notamment africaines, les analystes insistent sur le facteur turc : Ankara aurait émis son véto à cause des mauvaises relations franco-turques(1). Une petite remarque soit permise quant à la poésie des intitulés de gazoducs et oléoducs : La dénomination Nabucco, version italienne de Nabuchodonosor, roi babylonien, fait plus rêver que le plus technique et sobre South Stream.

L"arrivée surprise de South Stream

À la surprise générale, Gazprom fit connaître mi-2007 un projet avec l"ENI sur la construction d"un gazoduc(2) sous marin dans la Mer Noire, suivi d"un accord intervenu en novembre sur une étude de faisabilité à achever en 2008. Le projet a su se doter du soutien et du concours de la majorité des pays du projet Nabucco : de la Bulgarie(3), de la Hongrie(4) dont la société MOL est par ailleurs menacée d"une OPA par la société autrichienne OMV(5) et en plus la Serbie, ou la Russie a récemment repris la société nationale énergétique NIS. Les marchés énergétiques serbes et bulgares sont de fait contrôlés par Gazprom(6). Ce gazoduc partira de la station de compression russe Beregovaja sur 900 km vers Varna en Bulgarie puis pour l"aile sud par la Grèce vers l"Italie du Sud, et pour l"aile nord par la Roumanie, la Serbie, la Hongrie et la Slovénie vers l"Italie du Nord, avec une branche vers l"Autriche. La capacité présumée de ce gazoduc s"élève à 30 milliards de m³, sa capacité étant égale à celle de Nabucco. Il pourrait entrer en service dès 2013 et aurait comme Nord Stream l"avantage de contourner tant la Biélorussie que l"Ukraine, en plus de la Turquie. Nord Stream comme South Stream renforceront la position dominante de Gazprom sur le marché européen.

 

Tableau comparatif : Nabucco vs. South Stream
 

Gazoduc Trajet Pays de jonction Propriétaire / Opérateur Longueur (km) Mise en service estimée Coût estimé
Nabucco Frontière Géorgie/ Turquie et/ou frontière Iran / Turquie - (Baumgarten) Autriche Turquie, Bulgarie, Roumanie, Hongrie OMV 20 %, MOL 20 %, Transgaz 20 %, Bulgargaz 20 %, Botas 20 % env. 3300 2012 env. 5 milliards d'€ (site web Nabucco 5,3-5,8 milliards $ (EIA)
South Stream Beregovaya (Russie) - Mer Noire - Varna (Bulgarie) - Italie et Autriche Bulgarie, Grèce, Albanie, Mer Ionienne ou Roumanie/Hongrie/ Slovaquie ou Ex-Yougoslavie Gazprom, ENI 900 (offshore) 2013 12 milliards $ (Brower 2007), 10 milliards $ (Global Insight) 10 milliards d'€ (Platts)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le débat sur Nabucco/ South Stream


Plusieurs interrogations apparaissent quant au projet Nabucco : l"approvisionnement gazier, l"apport réel pour la diversification européenne, l"attitude des pays-membres de l"UE, comme l"Italie, la Bulgarie, l"Autriche et la Hongrie, mais aussi la Serbie, ainsi que la relation avec la Russie.

L"argument de l"approvisionnement

À l"heure actuelle, seuls environ trois millards de m³ de l"Azerbaidjan sont disponibles à partir de 2015 pour remplir Nabucco- mais aucun accord n"a été paraphé jusqu"ici avec Bakou… Le gaz du Turkménistan tout comme celui du Kazakhstan nécessiterait la mise en place d"infrastructures sous la Mer Caspienne (la Transcaspienne) qui paraît compromise pour le moment. Le gaz de ces deux pays nécessiterait de plus une priorité accordée à l"UE au détriment de la Russie. Or, depuis 2007, cette hypothèse ne paraît plus crédible. Les approvisionnements à partir de l"Iran se heurtent, quant à eux, aux incertitudes de production, d"orientation de cette production (Europe ou Asie ?), de la relation irano-russe et enfin du climat international avec une hypothèse persistante des sanctions. Le gaz iranien, pour résumer, n"arrivera pas vite dans les tuyaux de Nabucco. Le gaz irakien est encore plus improbable, tout comme celui égyptien, qui nécessiterait tout d"abord de nouvelles découvertes. Ainsi, ironiquement, le gaz transporté par le gazoduc Nabucco devrait venir du pays qu"il cherche à contourner : de Gazprom et de la Russie(7).

L"argument de la diversification

Quant à l"argument de la diversification des approvisionnements européens, lié à la question des origines du gaz, il faut insister sur le fait que Nabucco ne remplira initialement que quelques 6-8 % des importations gazières européennes, estimées à 400-500 Mrd m3 à l"horizon 2020, un tableau qui changera seulement si l"Iran participait.(8) Potentiellement, l"Iran pourrait devenir alors le troisième fournisseur de gaz de l"Europe après la Russie et l"Algérie. Mais les priorités iraniennes sont tout sauf claires à l"heure actuelle, le gaspillage énergétique est très important, le pays est importateur lui-même et une préférence pour l"Asie est possible (Chine, Inde, Pakistan) et ce en plus d"une coopération gazière avec la Russie(9).

L"attitude des pays participants, dont notamment l"Italie, la Bulgarie, l"Autriche et la Hongrie

À la grande surprise communautaire, des pays moteurs de Nabucco se sont retrouvés à la fois du côté du projet South Stream, moyennant des ententes et projets de contrats les liant à Gazprom et à la Russie et engagés sur Nabucco. L"entreprise autrichienne OMV est parvenue le 25 janvier 2008 à un accord avec Gazprom portant sur l"exploitation et le développement de Baumgarten avec Gazprom(10), constituant plus généralement une base stratégique de l"expansion de Gazprom en Europe, ce qui aura ironiquement comme conséquence que le gaz contournant la Russie arrivera de nouveau dans une infrastructure qu"elle contrôle à moitié.
La Hongrie, quant à elle, dont la société nationale MOL craint une OPA d"OMV, s"est liée à Gazprom en soutenant tant Nabucco que South Stream. Budapest a confirmé formellement en décembre 2007 sa participation dans le projet South Stream(11). La Serbie, dont la compagnie nationale NIS ne participe pas à Nabucco, a signé un accord en décembre 2007 sur un partenariat énergétique avec Gazprom. D"après les termes de ce dernier, Belgrade recevra du gaz russe par South Stream qui passera par la Serbie en échange d"une participation de la Russie dans NIS et de facilités de stockage en Serbie(12). La participation stratégique d"ENI, dont le PDG a intitulé South Stream " le troisième pilier de l"accord stratégique avec Gazprom ", est encore plus parlante(13). Un important lobbying italien est en cours pour convaincre les pays de Nabucco, comme la Roumanie, d"adhérer à South Stream(14). Le contexte politique régional, dont l"indépendance du Kosovo, a renforcé l"influence de la Russie, notamment en Serbie mais aussi en Roumanie et en Bulgarie(15).

White Stream, encore une nouvelle variante ?

Le premier ministre ukrainien, Julia Timoshenko, est revenu début 2008 sur un autre projet, le gazoduc blanc, ou " ukrainien "(16). Ce projet a été présenté à Bruxelles comme alternatif à Nabucco, passant de la Géorgie par la Crimée vers l"Ukraine puis vers l"UE. Un raccordement au gazoduc Iran-Arménie est également évoqué bien que ce gazoduc ouvert en 2007 ne fonctionne que de manière très réduite. Néanmoins, White Stream partage nombre de problèmes avec Nabucco, comme notamment la problématique de l"approvisionnement.

 

Qu'en penser ? Vers une synthèse des deux projets ?

Il est peu probable, vu l"évolution du débat et du contexte, que Nabucco soit réalisé sous sa forme initiale : l"argument de l"approvisionnement, ainsi que le manque de loyauté des participants pèsent trop lourds. S"y rajoute le comportement de la Turquie, qui essaye de faire pression sur d"autres dossiers en utilisant sa capacité de faire obstacle à ce projet (17). Un scénario possible est en revanche le branchement de South Stream, par exemple en Bulgarie, dans Nabucco, pour l"approvisionner. Ce projet synthèse arriverait de toutes les manières dans un hub russo-autrichien, à Baumgarten. Nabucco augmenté de sa branche South Stream deviendrait ainsi un investissement pour un avenir ou un Iran démocratique et coopératif pourrait prendre une place importante dans l"approvisionnement gazier européen.

Un projet tellement modifié ramène vers la question initiale, de la relation énergétique Russie-UE. Est-ce qu"il y a convergence sur l"attitude face aux pays de transit ? Substituer cette fois-ci l"Ukraine à des pays de l"Europe du Sud Est ? Est-ce que l"échec de Nabucco sous sa forme initiale doit être considéré comme un échec pour la politique énergétique européenne ? L"incapacité de tisser des alliances et d"engendrer la loyauté au sein du consortium fait sans doute mal. Et la labélisation hâtive de Nabucco comme projet prioritaire de l"UE a été une erreur. Enfin, il ne faut pas oublier que ce sont des entreprises et non des états qui financent et opèrent les gazoducs, même si leur longévité et l"interdépendance qu"ils engendrent les fait toujours relever d"une double logique commerciale et politique.

 

Susanne NIES, politologue, chercheur au sein du Programme Energie de l'Ifri "Gouvernance européenne et Géopolitique de l'Energie", Ifri Bruxelles
 

 


(1) GDF retire sa candidature du projet Nabucco, www.euractiv.fr, 19.2.2008

(2) Fin 2007 ont été signés entre Gazprom et ENI les Memorandum of Understanding pour procéder à une première étude de faisabilité du projet

(3) Dempsey, J., Pipeline ciments Russia"s hold on Europe"s gas supply, New York Times, 19.1.2008; Troev, T., Bulgaria backs Putin"s plans for gas pipeline to rival EU"s, Financial Times, 19/20.1.2008

(4) Wagstyl,S., Hungary backs Russian Pipeline, Financial Times 26.2.2008; Ria Novosti, Gas: La Hongrie deviant le maillon clef de South Stream, 28.1.2008

(5) L"autrichien OMV notifie son intention de rachat du hongrois MOL, AFP 1.2.2008

(6) MacDonald, Neill, Gazprom raises offer for Serbia oil and gas group, Financial Times 16.1.2008;; Mongrenier, J.? La Serbie, point d"appui de la politique balkanique de la Russie; www.fenetreeurope.com

(7) Laying the Pipes : Petroleum Economist October 2007 :13

(8) Goetz 2007 B :24

(9) cf réunion des ministres iraniens et russes de l"énergie en décembre à Moscou, accords sur le nucléaire civil etc. Travaux de C Therme, IFRI

(10) cf Austria"s OMV Deal with Gazprom threatens Nabucco project, Eurasia Daily Monitor, Vol 4, 215. Baumgarten est actuellement le troisième hub gazier de l"UE, possédé par la société CEGH (Central European Gas Hub), 100% OMV. La proposition consistait à faire entrer Gazprom à 50% dans le capital ; Arnaud, Michel, La stratégie Gazprom, dans Valeurs actuelles, 22.2.2008

(11) Zoe Grainge, Hungary Officially Joins Gazprom and Eni"s South Stream Line. Global Insight 10.12.2007. Pour la position et politique énergétique hongroises cf aussi la publication de Fischer 2007

(12) Salle Boggle, Serbian Energy Partnership Agreement with Russia for South Stream Pipeline, Storage, Global Insights 14.12.2007 13 cité d"après Petroleum Economist, Laying the Pipes, october 2007

(13) pour l"accord cf Gazprom, Eni move South Stream step closer, Platts Oilgram News, 23.11.2007.

(14) Conférence 11 janvier 2008 avec le ministre des affaires étrangères de la Roumanie, Adrien Ciorianu, IFRI Paris. Le ministre évoquait les réunions du début janvier avec le ministre des affaires étrangères italien d"Alema aussi sur ce sujet, ainsi que la conférence South Stream du 15 janvier 2008 à Sofia.

(15) Certains observateurs parlent du retour de la Russie dans les Balkans ; Russia"s Return to the Balkan, Eastt Week 3/112, 23.1.2008, Varsovie ; Martens, M., Gasprom kommt, Die Russifizierung des serbischen Gasmarkts, FAZ 28.1.2008

(16) Gaz : Timochenko préconise un " Ukrainian Stream ", Ria Novosti, 30.1.2008 ; " Wir brauchen neue Transitwege für Ga ", Interview de la FAZ avec Mme Timochenko, 30.1.2008

(17) Crooks, Ed., Turkey pressed to fall into line over gas project, Financial Times 11.2.2008

 

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ISBN / ISSN

978-2-86592-277-2

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Le Centre énergie et climat de l’Ifri mène des activités et recherches sur les enjeux géopolitiques et géoéconomiques des transitions énergétiques. Il travaille à la fois sur les enjeux de sécurité énergétique, de compétitivité, de maîtrise des chaînes de valeur, et d'acceptabilité. Spécialisé dans l’étude des politiques européennes de l’énergie et du climat, et des marchés de l’énergie en Europe et dans le monde, ses travaux portent aussi sur les stratégies énergétiques et climatiques des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine ou l’Inde. Il offre une expertise reconnue, enrichie de collaborations internationales et d'événements à Paris et à Bruxelles, notamment.

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