L'Union, ou les institutions de la diplomatie sans la diplomatie ?
L'optimisme généré par la ratification finale du traité de Lisbonne ne pouvait être que modéré, fugace... Certes le traité garantit que l'Union continuera à fonctionner tout en poursuivant l'élargissement vers les Balkans. Mais a minima : nul ne pense que le dispositif de Lisbonne puisse redonner à l'UE le souffle qui lui fait défaut. Pour son fonctionnement interne, et pour son poids extérieur.
Dans les grands défis diplomatiques de la planète, l'Union est absente (Iran, Moyen-Orient...), ou impuissante (Copenhague...) ; et le poids global de sa PESC/PESD demeure au mieux marginal. Face au gigantesque défi posé par la double crise économique et financière, l'Union a peut-être sauvé la face, mais chacun sait qu'elle a réagi en ordre dispersé, au fil des intérêts des plus lourds de ses membres. Et au moment de la nomination des deux " stars " de Lisbonne - le président permanent et le responsable de l'action extérieure -, nul n'a été surpris de la désignation de personnes fort honorables mais peu susceptibles de couvrir de leur ombre les poids lourds des diplomaties d'Etats.
Dans ce contexte, le dispositif de Lisbonne ne permettra pas à l'UE d'occuper à l'international un espace correspondant à ses intérêts communs, à ses moyens, à ses savoir-faire. L'Union entre sans doute dans un nouveau tunnel. Ce que l'on peut espérer, c'est que la stabilité des institutions aidera à modeler des habitudes de travail commun en matière diplomatique, des méthodes plus efficaces, et à mettre sur pied un appareil pouvant, le jour venu, être mis au service d'une volonté politique commune. Nul ne peut décréter une volonté qui n'existe pas. Et en matière diplomatique, ou de défense, cette volonté ne peut naître de l'entraînement des institutions. Mais ces dernières peuvent créer, entraîner et conserver des moyens utilisables le jour venu. A cet égard, on doit donc suivre avec intérêt et exigence la mise en place du service d'action extérieure : elle est sans doute la composante majeure du cahier des charges du nouveau secrétaire général du Conseil - plus que la représentation et la promotion d'une politique étrangère commune dont le contenu demeure difficile à identifier...
S'il est peu probable que l'UE puisse rapidement peser comme telle sur les défis internationaux, le dispositif en cours de redéfinition pourrait déjà avancer dans deux directions. Tout d'abord un travail de prospective fondamentale. Vingt ans après la mutation du système international qu'ont impulsée l'effondrement de la bipolarité et l'accélération de la globalisation, nous peinons toujours à imaginer les dynamiques internationales qui structureront le siècle, et en particulier sa géographie conflictuelle : quelles nouvelles géographies de puissance, et donc quelles nouvelles divisions du monde ? Quelles dynamiques démographiques ? Quelles constitutions identitaires d'acteurs internationaux ? Quelles mutations technologiques, avec quels effets sur la coexistence des collectivités humaines ? Quelles ébauches de gouvernance, aux niveaux régional ou global...? Certes, ces questions agitent déjà chancelleries ou institutions de recherche. Mais l'UE n'est pas mal placée, par sa nature même, avec ses forces propres, entourée des think tanks nécessaires, pour mener la réflexion plus loin que ne pourraient le faire de simples logiques nationales.
Enfin, au niveau diplomatique, et en dépit de perspectives concrètes souvent décevantes pour l'Union, trois urgences semblent s'imposer. La première est la structuration de la relation avec Moscou. La Russie n'entend évidemment pas parler avec l'UE seule. Mais cette dernière devrait néanmoins occuper toute sa place dans le dispositif triangulaire Etats-Unis-Otan/UE/Russie : une place singulière et décisive. Que les vagues propositions Medvedev se concrétisent ou non, il faudra bien redéfinir l'architecture institutionnelle de la coexistence sur le continent, et l'UE est un élément clé de cette architecture. Il faut souhaiter que l'Union réussisse à formaliser une position spécifique vis-à-vis de Moscou, au moins dans les domaines dont elle a la charge, et à relancer un partenariat global. La deuxième priorité est l'organisation des relations avec l'Alliance atlantique. Qu'on s'en réjouisse ou non, et pour des raisons fort diverses (la pâleur de la PESC, les difficultés en Afghanistan, le " retour " de la France...), l'Alliance s'est replacée au centre du dispositif de sécurité en Europe, et des discussions sur ce dispositif. Cette Alliance-là est nouvelle, même si son efficacité reste contestable, et l'Union doit définir ses relations institutionnelles et politiques avec elle. Enfin, dernier domaine d'urgence, la consolidation de la coopération en matière de sécurité intérieure : cette dernière est évidemment, au moins en raison des incertitudes sur le développement des phénomènes terroristes, un défi de politique extérieure.
La construction européenne s'est trop peu souvent montrée à la hauteur des enthousiasmes qu'elle pouvait provoquer. A l'inverse, elle a toujours " déçu en bien " les pessimistes. En combinant moyens nouveaux, pragmatisme, et projection sur des problématiques d'avenir, l'UE pourrait accumuler dans les années qui viennent les éléments d'un rebond - un rebond qui ne dépendra pourtant jamais des institutions européennes elles-mêmes, mais de la volonté politique des Etats.
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