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Le Zimbabwe après la nomination du gouvernement d'union nationale : quelles perspectives ?

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L'Afrique en questions n°6. Le Zimbabwe après la nomination du gouvernement d'union nationale : quelles perspectives ?
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Synopsis : Après de nombreuses violences politiques qui se sont exacerbées au moment des élections présidentielles et législatives du 29 mars 2008, et à la suite de longues et âpres négociations, le nouveau gouvernement d'union nationale zimbabwéen a enfin prêté serment le 13 février 2009. Celui-ci met fin à une longue bataille politique entre le régime du Président Robert Mugabe et ses opposants, dont le nouveau Premier ministre Morgan Tsvangirai s'était fait le principal porte-parole. Dans un pays au bord de la faillite économique, le nouveau gouvernement se retrouve face à des défis énormes. L'équilibre économique et social reste précaire tandis que le climat politique reste encore tendu par de nombreuses rivalités. Thierry Vircoulon, chercheur associé du Programme Afrique de l'Ifri commente la crise que connaît aujourd'hui le Zimbabwe, et livre quelques élements de réfléxion sur ce que l'on peut attendre du nouveau gouvernement d'union nationale.

Corps analyses

Thomas Patriota : Pouvez-vous rappeler brièvement les principaux évènements qui ont mené à la situation actuelle au Zimbabwe depuis le début des années 2000 ?

Thierry Vircoulon : Il y a eu deux élections - 2002 et 2008 - qui ont été complètement frauduleuses, avec des violences, des intimidations, des bourrages d'urnes, etc. Tous les observateurs sont d'accord pour dire que si ces élections s'étaient passées de façon régulière, le MDC [1] aurait remporté le pouvoir et le ZANU-PF [2] aurait perdu. On peut rappeler qu'en 2002, le MDC avait déjà obtenu un très bon score, sans être majoritaire, avec 57 sièges contre 62 sièges pour le ZANU-PF. Aux élections de 2008, le MDC aurait donc dû gagner.

En 2000, il y a eu évidemment une réaction qui a déclenché la crise, en tout cas dans sa dimension internationale, c'est-à-dire l'expropriation des fermiers blancs. Il y avait en effet à peu près 7 000 fermiers blancs au Zimbabwe avant la crise. Aujourd'hui, il n'y a plus que 77 fermes détenues par des agriculteurs blancs. Ils ont été expropriés massivement, avec des invasions conduites par des vétérans de la lutte de libération nationale, des violences, etc. Il y a également eu une chute libre de l'économie zimbabwéenne, puisque l'agriculture était, avec le secteur minier, l'un des deux piliers de l'économie nationale. En faisant s'effondrer l'agriculture industrielle, le gouvernement ZANU-PF a miné le secteur qui rapportait beaucoup de devises.

Il y a donc, en plus de cette crise démocratique, une chute libre économique, avec une hyper-inflation. Les économistes se demandaient même à un moment si l'on pouvait arriver à de tels taux d'hyper-inflation [3] ; maintenant ils le savent. Ils avaient des doutes, parce que même en République Démocratique du Congo à la fin des années 1990, ou même dans la République de Weimar, on n'avait pas atteint de tels niveaux d'hyper-inflation. Maintenant, les théoriciens de l'hyper-inflation ont un cas pratique sous les yeux.

Tout cela a conduit à une crise économique, politique et sociale extrêmement grave, qui a culminé en 2008 en une crise humanitaire. D'une part, depuis environ 3 ans, l'aide alimentaire est devenue indispensable pour nourrir la population du Zimbabwe, donc il y a une crise alimentaire. D'autre part, depuis le mois d'août 2008, une épidémie de choléra s'est déclenchée, ce qui reflète la détérioration complète du système sanitaire, et de l'ensemble des services publics zimbabwéens.

Ce qui est important dans la crise zimbabwéenne, qui est une crise longue, qui dure maintenant depuis 8 ans, c'est qu'il s'agit d'une " crise reflet ". En effet, elle reflète, sur plusieurs aspects extrêmement importants, l'évolution du système international. D'abord parce qu'elle met en jeu les relations entre les anciennes puissances coloniales et les pays du Sud, voire entre l'Afrique et l'Europe. Elle met en jeu également le problème du vide du communisme. Le Zimbabwe était un pays communiste. Or, une fois que l'idéologie s'est effondrée, par quel moyen peut-on relégitimer le pouvoir ? Le Zimbabwe illustre bien ce problème du post-communisme : comment des régimes autoritaires réussissent à survivre après le communisme ? Et on peut dire que celui-ci a assez bien réussi.

Ensuite, cette crise met en jeu la situation économique internationale. Cette crise laisse apparaître un ressentiment très fort dans les rapports Nord-Sud, dans leur dimension économique. Les Zimbabwéens, Mugabe le premier, mais aussi une bonne partie peut-être de l'opinion zimbabwéenne, sont sensibles à cette dimension de la crise. Mugabe développe effectivement la théorie selon laquelle les Zimbabwéens sont opprimés économiquement par les Anglo-Saxons en général et les Britanniques en particulier. Ce discours de Mugabe a un écho assez fort dans l'opinion publique au Zimbabwe, et probablement aussi dans le reste du continent africain.

Enfin, cette " crise reflet " est aussi un test pour les smart sanctions [4] - parce que c'est la stratégie qui a été adoptée par les pays qui veulent isoler le Zimbabwe. Donc, là aussi, on est en train de les tester, de voir si c'est une solution efficace. C'est aussi un test pour les sorties de dictature : comment fait-on un soft landing ? Comment fait-on une transition douce de la dictature à la démocratie ? La question est posée à la fois aux puissances étrangères, occidentales, en l'occurrence, mais aussi aux démocrates de l'intérieur - donc au MDC. C'est toute la question de la stratégie à adopter dans un contexte où vous avez un vieux dictateur qui veut rester au pouvoir et qui s'y accroche avec les moyens que l'on sait : quelle est la meilleure approche, la meilleure stratégie, pour les démocrates de l'intérieur et les démocrates de l'extérieur, pour réussir à le marginaliser, et à le conduire à passer la main, sans avoir une guerre civile, sans avoir des violences à grande échelle ?

Tout cela est en jeu dans la crise du Zimbabwe, ce qui en fait une crise extrêmement importante, une crise qui reflète vraiment l'évolution du système international post-colonial et post-guerre froide.

TP : Quel pouvoir détient la ZANU-PF sur les institutions de l'Etat ?

TV : Depuis la montée en puissance du MDC, par réflexe, le pouvoir s'est resserré, et est devenu beaucoup plus autoritaire. Mugabe a resserré son pouvoir sur les institutions de l'Etat, en nommant aux principaux postes des gens qui lui sont totalement fidèles, et en resserrant aussi son pouvoir sur l'armée. Il y a eu, en effet des phénomènes de dissidence, à la fois dans l'armée et dans la police. Mugabe a donc resserré son emprise sur les services de sécurité, en militarisant à peu près l'ensemble des entreprises publiques, c'est-à-dire en nommant des généraux à la tête de la NRZ [5], de la ZESA [6], etc... Enfin, quasiment toutes les entreprises publiques sont dirigées par des militaires. Mugabe a donc à la fois resserré son emprise personnelle sur les services de l'Etat en nommant des fidèles, et militarisé une bonne partie du secteur public. Cependant, ne pouvant pas s'assurer d'un contrôle total sur l'ensemble de l'appareil d'Etat, il a doublé cet appareil d'Etat de ses propres systèmes d'action : c'est-à-dire, en faisant usage de vétérans qui sont rémunérés, qui ont été utilisés lors de la réforme agraire comme le fer de lance contre les fermiers blancs, et même contre le MDC, ainsi qu'en mobilisant les jeunesses du ZANU-PF qui abriteraient des escadrons de la mort en leur sein.

TP : Ces généraux qui sont à la tête des entreprises sont des dignitaires de la ZANU-PF, des anciens combattants de la lutte de libération ?

TV : Voila, tous les militaires de haut rang là-bas sont des personnes assez âgées qui ont le passé de la lutte, et qui sont en effet ZANU-PF à 120%. Mais ce qui est intéressant de voir, c'est que, même dans ce système ou Mugabe garde un contrôle très fort, et notamment sur les forces de sécurité, il a ressenti le besoin d'avoir des systèmes parallèles de contrôle et de surveillance. Car même dans un système autoritaire, il ne pouvait pas faire entièrement confiance aux institutions de l'Etat.

TP : Justement, il est intéressant de noter que, malgré tout cela, Mugabe n'a pas pu empêcher que le MDC remporte le premier tour des élections présidentielles de 2008, ou prenne le contrôle de l'Assemblée [7], ce qui atteste peut-être d'une certaine indépendance des institutions de l'Etat.

TV : Cela montre, en fait, que le niveau de coercition, d'intimidation à l'égard des gens, n'a pas réussi à les dissuader à voter pour le MDC en majorité. Cela pose donc la question, en effet, de l'efficacité de la répression, de l'autoritarisme - celui-ci a quand même une limite. Cela est aussi dû au fait qu'il y a une société civile zimbabwéenne qui est très impliquée derrière le MDC. Elle est assez dense, parce que le Zimbabwe est une société qui a une vieille histoire, aussi bien en termes d'Eglises anglo-saxonnes, que de syndicats, d'ONG, etc. Donc il y a une vraie société civile, qui se défend, et qui s'est rangée massivement derrière le MDC. On note également des choses intéressantes dans le domaine judiciaire. Depuis le début de cette crise, il y a des juges zimbabwéens qui ont eu le courage de prendre des décisions contre le gouvernement.

TP : Donc on peut penser que le MDC compte sur une sorte d'infiltration dans les institutions de l'État zimbabwéen…

TV : Il y a quelques poches dans l'administration qui restent non contrôlées par le ZANU-PF. Et le monde judiciaire est assez symbolique de cela, parce que c'est en fait l'ancien monde judiciaire britannique, où, traditionnellement, le juge a une grande indépendance par rapport à l'exécutif. La tradition juridique britannique confère une grande indépendance au pouvoir judiciaire, beaucoup plus que la tradition francophone. On le voit dans les anciennes colonies britanniques, c'est quelque chose qui est resté.

TP : Cela nous permet peut-être maintenant de voir quelles sont les possibles dissensions au sein du ZANU-PF. Celui-ci est-il uni, ou y a-t-il beaucoup de dissensions en son sein ? Quels sont les éléments (dans le parti, dans la société) qui restent fidèles à Mugabe, et pourquoi ?

TV : On a l'habitude de dire qu'au sein du ZANU-PF, il y a deux clans. Il y a le clan de Joyce Mujuru, qui est la vice-présidente du ZANU-PF, et dont le mari, Solomon Mujuru est un ancien général de l'armée de l'air à la retraite. C'est lui qui, depuis quelques années, incarne à l'intérieur du ZANU-PF, l'opposition à Robert Mugabe. Son ennemi étant Emerson Mnangagwa, actuel Ministre de la Défense, qui est le fidèle d'entre les fidèles de Mugabe. Donc, on estime qu'il y a ces deux clans, mais que Mugabe reste l'arbitre suprême de leur bataille, dans une stratégie que l'on comprend aisément.

Il y a eu quelques indices de la bataille de ces deux clans dans l'armée. Il y a eu en effet des épurations d'un certain nombre d'éléments qui étaient plus sympathiques à Mujuru. En avril 2007 notamment, il y a eu une tentative extrêmement discrète de coup d'Etat, lors d'une absence de Mugabe, qui est rentré très rapidement à Harare à ce moment là, et les éléments militaires qui avaient tenté de s'insurger ont été éliminés. Dans la police aussi il y a eu des signes de dissensions, dans la mesure où on a retrouvé chez des membres du MDC du matériel qui venait de la police, et qui leur avait été donné. Donc, certains indices montrent que, derrière la façade d'unité, il y a des dissensions au sein même des services de sécurité. Après, entre les deux clans Mujuru et Mnangagwa, il y a aussi des batailles financières et économiques, des batailles pour le contrôle d'un certain nombre d'entreprises, etc.

Mais le ZANU-PF reste uni, malgré cette crise, qui est extrêmement longue et grave pour le Zimbabwe. C'est d'ailleurs un fait assez remarquable que l'unité du ZANU-PF soit maintenue. Elle s'est maintenue parce que, à la fois, c'est un système de clientèle, où la nomenklatura du ZANU-PF est remerciée financièrement, et d'autre part, ils savent aussi que, le jour où Mugabe s'effondre, eux-mêmes peuvent avoir des problèmes judiciaires extrêmement sérieux. Tout cela fait que le ZANU-PF tient encore.

TP : Morgan Tsvangirai et Robert Mugabe ont, depuis l'investiture du nouveau gouvernement, multiplié les appels à l'aide internationale. Le gouvernement d'union nationale peut-il ramener la confiance des investisseurs et de la communauté internationale ?

TV : Il était prévu par l'article 3 de l'Accord Politique Global (APG) que dès que le gouvernement serait formé, il présenterait un plan de relance économique. C'est ce qu'ils ont fait récemment, aussi bien le Président que le Premier Ministre. Il faut savoir que, très judicieusement, le poste de Ministre des Finances est revenu au MDC - le MDC a le contrôle sur la partie économique du gouvernement, avec cette idée qu'en effet, si cela avait été des membres du ZANU-PF, les donateurs ne seraient jamais revenus.

TP : Même si la Banque Centrale reste avec Gideon Gono, du ZANU-PF...

TV : Alors voilà, le problème c'est que le gouvernement zimbabwéen a présenté une demande de 2 milliards de dollars d'assistance d'urgence à la Southern African Development Community (SADC). La réponse à demi-mot de la SADC était qu'elle n'avait pas les moyens de trouver ces 2 milliards de dollars pour soutenir le Zimbabwe. Les Sud-africains - ce sont surtout eux dans la SADC qui jouent le rôle de pivot dans ce genre de situation - ont pris contact avec les britanniques et les américains, et d'autres, pour les convaincre d'aider le Zimbabwe, en leur disant que la région SADC était trop pauvre pour faire cela. Pour le moment, cela n'a pas produit de résultats.

Ce que le nouveau gouvernement zimbabwéen avait proposé, c'était le Short Term Emergency Recovery Programme (STERP), qui est prévu pour couvrir toute cette année. Mais, d'une part, la SADC a dit qu'elle était trop pauvre. D'autre part, la réponse du côté des anglo-saxons a été : " nous souhaitons qu'il y ait des réformes plus profondes engagées au Zimbabwe ", et, les Britanniques, notamment, ont demandé à voir disparaître certaines personnalités du système de pouvoir de Mugabe. C'est le cas, en effet, du gouverneur de la Banque Centrale, mais aussi du Procureur Général de la République [8]. Ils ont donc conditionné leur aide à un vrai changement de personnel.

Je pense qu'il y a deux choses : premièrement, quand on voit le texte, le STERP est en fait extrêmement léger. Celui-ci porte beaucoup sur les fins mais peu sur les moyens, donc on voit difficilement comment le gouvernement va mettre en œuvre son programme économique. Deuxièmement, le FMI est actuellement à Harare - le FMI a stoppé son appui à la balance des paiements depuis 1999 - pour une tentative de reprise du dialogue. Mais, d'après les observateurs, il semble que le FMI ne bougera pas, ou, en tout cas, ne reprendra pas de relations formelles, pour le moment.

Toute la question de la normalisation des relations avec les institutions financières internationales passe par Londres et Washington. Parce que les américains ont le Zimbabwe Democracy and Economic Recovery Act (ZIDERA) passé en 2001, qui stipule que dans toutes les institutions internationales où ils seront présents, les Etats-Unis bloqueront toute assistance au Zimbabwe. Donc, comme ils sont au Conseil d'Administration du FMI et de la Banque Mondiale, cela signifie qu'aucune de ces institutions ne peut accorder d'aide structurelle au Zimbabwe.

Il faut donc d'abord convaincre Washington et Londres, qui sont en fait dans une position wait and see, d'attentisme, parce que, très logiquement, ils observent l'installation du nouveau gouvernement de cohabitation. Ils veulent voir si Tsvangirai va véritablement avoir un espace de manoeuvre dans ce gouvernement, ou si Mugabe va encore garder complètement la main. Ils se décideront donc en fonction de cette évolution. Mais, pour le moment, c'est encore prématuré, Tsvangirai vient juste de prendre son poste de Premier Ministre.

TP : On a vu pourtant que, malgré cette position, l'Australie a renouvelé son apport d'aide au Zimbabwe.

TV : Oui, mais là il faut voir ce que l'on appelle par " aide ", parce que, malgré la crise politique, le Zimbabwe continue à être aidé. Cependant, ce qu'ont fait tous les donateurs, les uns après les autres, lorsqu'ils ont commencé à durcir le ton vis-à-vis de Mugabe, c'est d'arrêter toute aide au développement pour la transformer en aide humanitaire. C'est ce que fait par exemple l'Union Européenne : il n'y a plus d'aide du Fonds Européen de Développement (FED), mais il y a de l'aide humanitaire. C'est ce que fait également Londres en bilatéral. Le but n'étant pas non plus de mettre le pays à genoux, on convertit l'aide structurelle en aide humanitaire [9].

Je reviens sur la question du retour de la confiance : il y a un facteur temps, et Washington et Londres veulent voir comment va s'équilibrer le nouveau pouvoir zimbabwéen. Il y a la grande foire internationale de Bulawayo, qui se tient traditionnellement en cette saison, et, d'après ce que j'ai entendu, aucune entreprise étrangère ne s'y est enregistrée. L'année dernière, il y avait 7 entreprises ; elles venaient toutes d'Extrême-Orient. Donc, on peut dire que la confiance, aussi du côté des investisseurs privés, est loin d'être revenue, et ceux qui étaient là l'année dernière ne sont plus là cette année. C'est donc un vrai problème, et cela va essentiellement dépendre de l'attitude de Washington et Londres au cours du deuxième semestre 2009.

TP : Indépendamment de la vision de Washington et de Londres, on peut tenter de s'interroger maintenant sur la stabilité du dispositif de partage de pouvoir, vu de l'intérieur. Est-ce que le dispositif de partage de pouvoir entre le MDC et le ZANU-PF est durable ? Sera-t-il efficace ?

TV : Ce gouvernement a été créé par l'Accord Politique Global, qui a été signé l'année dernière, et a été parrainé par la SADC, et notamment Thabo Mbeki. C'est un accord extrêmement intéressant et original, car c'est évidemment un accord de compromis, qui établit un gouvernement de cohabitation entre deux frères ennemis. Quand on reprend ses articles, on voit bien qu'il y a des articles MDC, des articles ZANU-PF - donc il y a une sorte d'équilibre, chacun a fait des compromis. C

et Accord Politique Global instaure un gouvernement de cohabitation où Mugabe a deux vice-présidents ZANU-PF, et où le MDC a le poste de Premier ministre, et a aussi deux postes de vice-Premiers-ministres. Donc il y a un espace présidentiel qui est " ZANU-PF-isé " et un espace Premier ministre qui est " MDC-isé ". Cet accord a créé un gouvernement immense - 52 ministres : le ZANU-PF a une majorité de ministres, ensuite c'est le MDC- Tsvangirai, et enfin le MDC-Mutambara, qui est issu d'une scission du MDC [10].

On voit aussi qu'il y a un double système de gestion de l'accord : il y a, d'un côté, un forum de médiation interne, zimbabwéen, le Joint Monitoring Implementation Committee (JOMIC), qui regroupe les trois parties qui sont au gouvernement. En plus de cela, la SADC se porte garante de la légitimité de l'accord, et, en cas de divergence entre les parties, c'est elle qui sera saisie de nouveau pour essayer de trouver une solution. Donc il y a un double système de médiation, un interne et un externe.

En plus, l'Accord Politique Global crée un gouvernement de cohabitation, mais transitoire, en disant notamment que l'allocation des portefeuilles ministériels pourra être revue dans 6 mois. D'autre part, il instaure un horizon à 2 ans, en disant qu'il faudra préparer un projet de Constitution pendant ces 2 ans, que l'on soumettra à un référendum. Donc, il s'agit vraiment d'un gouvernement de transition et de cohabitation entre des frères ennemis, avec un système d'équilibre. La façon dont le gouvernement doit fonctionner au niveau gouvernemental est basée sur le consensus, dans les consultations entre le Président et le Premier ministre.

Or, dans la série des batailles entre le MDC et le ZANU-PF, Mugabe a répliqué du tac-au-tac en nommant les secrétaires généraux des ministères sans consulter le MDC. Cela donne déjà une indication très ferme que Mugabe n'a pas l'intention de consulter et de prendre les décisions par consensus, comme cela est prévu, avec son Premier ministre. Il y a une bataille : évidemment le MDC a dit que ces nominations étaient scandaleuses, tandis que le ZANU-PF a opposé une réponse juridique qui consiste à dire, " prenez les textes en vigueur, et vous verrez que le président a le droit de nommer les secrétaires généraux dans les ministères ". Dans la bataille de ce gouvernement, il y a donc clairement un échelon de ministres MDC, mais en-dessous, Mugabe met déjà ses fidèles à la tête de tous les ministères, en plus des ministres qu'il a déjà lui-même.

Il est aussi mentionné dans l'accord, que les postes de gouverneur de la Banque Centrale et de Procureur Général seront renommés après la formation du gouvernement. C'est ce qui s'est décidé au moment des négociations sous le parrainage de la SADC, parce que c'étaient des points contentieux. Evidemment, le MDC voulait se débarrasser du Gouverneur de la Banque Centrale et du Procureur Général, qui sont vraiment des postes clés du système Mugabe.

Donc, on voit bien dans le pouvoir de nomination des gens, que cet accord a créé un semblant d'équilibre, mais qu'immédiatement, des tensions surgissent. En fait, on retrouve ce système de gouvernement transitoire et de cohabitation ailleurs en Afrique - c'est le même qu'au Kenya, ou au Burundi : face à des gens qui ne veulent pas lâcher le pouvoir, on réussit à créer un espace pour l'opposition, au sein du gouvernement, à les mettre ensemble, à faire cette cohabitation forcée, puis à réaliser une élection.

C'est la meilleure des moins mauvaises formules que l'on trouve pour éviter la violence. Mais, il est douteux que des gouvernements pareils réussissent à relever leurs pays, donc il y a un risque dans les deux ans, de lassitude, voire même de dé légitimation du MDC. Donc l'opposition prend aussi un risque en entrant dans ce type de logique. C'est évidemment le choix du pragmatisme, mais il y a eu beaucoup d'aigreurs au sein du MDC lorsque Tsvangirai a accepté. En effet, le MDC voulait conditionner son acceptation à entrer dans le gouvernement à la libération de tous ses activistes qui sont en prison, ce qui n'a pas été obtenu au cours des négociations. Au lieu de rester sur cette position, Tsvangirai a fait le choix du pragmatisme, et a décidé finalement de signer malgré tout. C'est la raison pour laquelle l'une des premières batailles du MDC, depuis son arrivée au pouvoir, c'est de faire libérer un certain nombre d'activistes du MDC. Ils ont sorti un certain nombre de cas, et Tsvangirai s'est présenté lui-même à l'entrée d'une prison pour aller sortir des gens du MDC, dès qu'il a été nommé Premier ministre.

TP : On a vu même le Vice-Ministre de l'Agriculture, Roy Bennett, qui a été emprisonné puis relâché…

TV : Ce système de gouvernement d'équilibristes donne lieu immédiatement a des tensions. Celle de Roy Bennett est bien connue, mais le maire adjoint de Mutare a aussi été arrêté. Donc, du côté du ZANU-PF, les tentatives d'intimidation continuent. Elles n'ont pas cessé, et connaissant Mugabe, on peut se douter qu'elles ne cesseront pas. Ce gouvernement de cohabitation va être un gouvernement de combat, sur tous les dossiers. Il sera donc difficile de trouver l'équilibre.

TP : On peut penser notamment au Ministère de l'Intérieur, dans lequel il y a vraiment une division des rôles…

TV : L'attribution de la police entre le MDC et la ZANU-PF était l'un des grands points contentieux. Dans un premier temps, ils se sont mis d'accord sur l'idée que, finalement, ils pourraient présider, tous les 6 mois, l'un et l'autre, le Ministère de la Police. Puis, ils sont revenus sur cette formule, et ont décidé de le co-présider chacun, ce qui va donner lieu à des batailles assez sévères. C'est déjà le cas avec l'un des premiers dossiers mis sur la table par le MDC : le Ministre des Affaires Intérieures du MDC, Giles Mutsekwa a mis sur la table le dossier de Joseph Mwale, agent des services secrets zimbabwéens (Central Intelligence Organisation), qui avait été condamné en 2006, pour avoir tué deux activistes du MDC. Malgré sa condamnation, il n'a jamais été arrêté et vit en pleine impunité. Le Ministre MDC de la police a demandé à ce qu'on l'arrête. C'est évidemment un signal fort de confrontation envoyé à l'establishment du ZANU-PF, et aux services de sécurité, en disant : " maintenant, on va vous arrêter, et surtout, si on avait le pouvoir, on vous aurait déjà arrêtés ".

Le combat a commencé le lendemain, voire la minute même ou Tsvangirai est devenu Premier ministre au sein de ce gouvernement. L'équilibre institutionnel va être très difficile à trouver.

TP : On va tenter de voir justement si le pays peut redevenir plus ou moins gouvernable dans ces conditions, notamment par rapport aux politiques publiques qui doivent être mises en oeuvre. En premier lieu, peut-on s'attendre à ce que des mesures soient bientôt prises pour faire face à la crise humanitaire, dont l'épidémie de choléra est le dernier épisode ?

TV : D'après l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l'épidémie de choléra semble en déclin. Il y a eu, depuis août 2008 jusqu'en mars 2009, 91 000 cas de contamination, et environ 4 000 morts. Maintenant l'OMS dit qu'on est passé de 8 000 cas d'infections par semaine au début du mois de février, à 2 000 en mars, donc il semble que le cycle de l'épidémie soit à la baisse. Il est clair que le nouveau pouvoir prend déjà des mesures. Mais, là-dessus, je n'ai pas beaucoup d'informations.

TP : Il est donc difficile d'attribuer cela à un début de fonctionnement des services publics ?

TV : Non, là je ne pense pas que l'on puisse attribuer cela à une remise en fonctionnement des services publics zimbabwéens, parce qu'ils sont financièrement à genoux. Donc tant qu'il n'y a pas de reprise de l'aide, il n'y aura pas de remise en fonctionnement possible.

TP : Avec une hyper-inflation de plusieurs millions de pour cent, et un taux de chômage avoisinant les 90%, quelles solutions peut-on attendre de la part du nouveau gouvernement pour tenter de remédier à la situation économique ?

TV : La solution qui a été apportée par le gouvernement, le Short Term Emergency Recovery Programme, est complètement dans la main de décisions étrangères. Donc, là aussi, le salut économique du Zimbabwe ne peut que venir de l'étranger. Ce qui est évident, et l'Accord Politique Global le mentionne également, c'est qu'il faut relancer l'agriculture zimbabwéenne, pour que les gens puissent manger, et que le Zimbabwe revienne au niveau de l'autosuffisance alimentaire auquel il était il y a des années. En plus, compte tenu de l'évolution des cours mondiaux de l'alimentation, il n'est pas question qu'ils achètent sur le marché international. C'est la question vraiment fondamentale, mais ce n'est pas simple, parce que tous les agriculteurs commerciaux sont partis. Il faudrait qu'ils reviennent, avec du capital.

Il y a des travaux, notamment faits par le Center for Global Development, sur les mesures nécessaires pour relancer l'économie zimbabwéenne. La gestion de l'hyper-inflation est quelque chose que les spécialistes des questions monétaires savent faire, mais après, il faudra relancer l'appareil de production, et donc réinjecter du capital dans l'agriculture. Dans le secteur minier, c'est un peu différent, en tout cas cela dépend beaucoup des cours mondiaux. Il y a simplement un manque d'argent évident, qui fait que la solution se trouve forcément à l'étranger, dans l'injection massive de fonds internationaux.

TP : Par rapport à l'hyper-inflation, certains ont mentionné une possible introduction du dollar américain ou du rand sud-africain comme monnaie d'échange officielle, pouvant être utilisée en parallèle du dollar zimbabwéen afin de stabiliser la monnaie nationale…

TV : Ce qui se passe dans ce genre de situations - on a pu le voir en RDC aussi - c'est que, la monnaie nationale ne valant plus rien, c'est le dollar qui fait foi. Il y a donc une " dollarisation " dissimulée de l'économie zimbabwéenne actuellement dans tous les secteurs - les frais de scolarité, le paiement pour obtenir un passeport, les salaires : tout le monde demande des dollars. Les administrations aussi demandent des dollars. In fine, tout se paye en dollars, puisque le dollar zimbabwéen ne vaut plus rien. Donc il y a une " dollarisation " de fait, ce qui n'est pas nouveau dans les cas d'hyper-inflation. Là aussi, l'article 3 de l'Accord Politique Global concerne l'économie, et on voit bien que c'est un article qui est marqué du sceau du MDC. En effet, le MDC demandait un plan de sauvetage et, bien entendu, la fin des sanctions économiques mais aussi la création d'un conseil économique national, les milieux d'affaires privés soutenant plutôt le MDC. Donc, il y a aussi l'idée de donner une orientation pro-business au plan de sauvetage et aux actions qui seront accomplies. On se retrouverait un peu dans une logique opposant l'économie de marché portée par le secteur privé, contre l'économie kleptocratique vaguement communisée du ZANU-PF.

TP : La résolution de la crise au Zimbabwe passe par une réponse durable au problème de la distribution des terres. Quelles solutions sont prévues par l'accord de partage de pouvoir et quelles politiques peut-on attendre sur cette question ?

TV : L'Accord Politique Global a sanctuarisé les conséquences des expropriations survenues en 2000. L'article 5, qui traite de la question de la réforme foncière, affirme très clairement l'irréversibilité des distributions de terre, réaffirme la responsabilité des Britanniques dans l'échec de la réforme foncière, et redemande le financement de la réforme foncière par le gouvernement britannique. Le seul élément que le MDC a réussi à inclure, c'est de demander un audit foncier. Pourquoi le MDC a mis cela ? Tout simplement parce que la nomenklatura du ZANU-PF s'est servie, et dispose aujourd'hui de plusieurs fermes, alors que le principe de la réforme de Mugabe, c'était " one farmer, one farm [11] ", or ce n'est pas du tout ce qui s'est passé.

Donc l'article foncier est vraiment l'article ZANU-PF. Ils ont vraiment réussi à imposer ce qu'ils voulaient. Le MDC a simplement réussi à inclure cette question d'audit foncier, pour un peu embarrasser. Cependant, le MDC a aussi un vice-ministre de l'Agriculture, et a donc, en quelque sorte, un homme dans la place. Mais si cette question de la distribution des terres, de leur occupation etc. a été le déclencheur de la crise, elle est en même temps très importante dans le système de légitimation politique du ZANU-PF. Il est ainsi extrêmement douteux qu'il y ait un changement de politique agricole, en tout cas, tant que Mugabe sera au pouvoir. On va voir comment se déroule la mise en œuvre de l'accord, mais si Mugabe reste au pouvoir pendant les deux ans de ce gouvernement de transition, je pense qu'il n'y aura aucun changement sur le plan agricole. Et cela est assez inquiétant, parce que, comme je vous le disais, l'agriculture est un élément fondamental pour l'économie du Zimbabwe.

TP : L'accord de partage de pouvoir prévoit - comme l'a rappelé Robert Mugabe dans une interview à l'occasion de son 85ème anniversaire - au terme de deux ans de gouvernement intérimaire, une réforme de la Constitution, qui doit être soumise à référendum et ouvrir la voie à de nouvelles élections. Quelle peut être la stratégie envisagée par Mugabe dans ce contexte ?

TV : Je pense que Mugabe a toujours la même stratégie depuis le début de la crise. C'est une stratégie dilatoire. Il faut que les choses durent le plus longtemps possible, que toute négociation dure le plus longtemps possible, et que ce gouvernement de transition dure aussi le plus longtemps possible.

Pour cela, je pense qu'il n'y a pas de changement à attendre de sa part, et d'ailleurs il a en ce sens fait preuve d'une grande permanence depuis le début de cette crise. Il a toujours réussi à faire durer les processus au maximum, jusqu'au moment où la pression était telle qu'il était forcé de dire oui, et c'est ce qui s'est passé pour la formation de ce gouvernement. Même après la signature de l'accord en septembre 2008, pour la formation même du gouvernement, lui ou ses hommes sont revenus sur un certain nombre de choses. Il a donc fallu que la SADC reprenne de nouveau son bâton de pèlerin, et refasse encore une médiation en janvier, pour finalement aboutir à concrétiser le gouvernement.

Cette stratégie dilatoire va donc continuer. Mugabe va notamment essayer de bloquer, et de faire durer l'élaboration de la Constitution. En effet, l'Accord Politique Global prévoit un processus participatif pour élaborer le projet de Constitution. Cela implique d'aller jusqu'au niveau du terrain faire des explications aux gens, avoir leur avis etc. et faire ainsi remonter un texte du terrain. Le MDC estime que si l'on procède de cette manière, ils obtiendront - comme ils sont majoritaires dans l'opinion publique - un texte qui leur convient. Mais il est clair que Mugabe et le ZANU-PF vont essayer de ralentir ce processus de rédaction d'une Constitution le plus possible. Ils vont très classiquement faire traîner la formation du comité qui est censé s'en charger, ils vont trouver toutes sortes de raisons pour que les choses durent. Comme il s'agit d'un processus participatif, avec des vraies consultations de terrain, et plusieurs étapes de consultations, cela peut durer. En tout cas, si l'on suit vraiment le processus, deux ans c'est court.

Je pense qu'il va vraiment essayer de faire durer cela, de façon à ne pas avoir de projet constitutionnel dans deux ans, et pouvoir pendant ce temps là, marginaliser le MDC, et le discréditer, même si cela me paraît difficile.

TP : Aurait-il une stratégie de sortie pour arriver à une succession ?

TV : Non, Mugabe, c'est un peu une psychologie à la Franco, c'est-à-dire que c'est un homme seul avec de vraies convictions. Il est vraiment convaincu d'être le libérateur du peuple zimbabwéen, que ce qu'il a fait était bien, qu'il faut continuer dans ce sens là. Il fait preuve d'une grande permanence au niveau intellectuel, et on ne l'imagine pas quittant le pouvoir sans être poussé dehors. Il ne préparera sa sortie du pouvoir que vraiment contraint et forcé.

TP : La stratégie d'isolement international appliquée par les pays occidentaux, et notamment promue par le Royaume-Uni, a-t-elle servi ses objectifs ? Que penser de la médiation menée par la SADC ? Quelle serait la meilleure manière de traiter avec un pays comme le Zimbabwe ?

TV : C'est toute la question, en effet, de comment on sort et on fait un soft landing d'une dictature à une démocratie, question qui est posée à la fois aux démocraties extérieures, mais aussi à l'intérieur. Ce qui est important, c'est de voir un peu l'interaction des deux. La stratégie d'isolement menée par le Royaume-Uni est une stratégie qui a été extrêmement efficace en matière de politique intérieure britannique, et totalement inefficace en matière de diplomatie africaine. Grosso modo, cette position assez dure de Londres, reflétait d'une part les relais d'opinion que les blancs du Zimbabwe avaient encore au Royaume-Uni. Par contre, c'était une position qui a posé des problèmes diplomatiques, notamment au sommet européen à Lisbonne, où il y a eu une dissension entre Européens, puisque le Premier ministre britannique avait dit que, si Mugabe était invité, il ne viendrait pas. La présidence portugaise de l'UE a répondu qu'ils allaient l'inviter, parce que, de toute façon, tous les chefs d'Etat africains demandaient qu'on l'invite. Le Premier ministre britannique n'est pas venu, et il y a eu un petit moment de tension intra-européen.

Cette politique radicale du Royaume-Uni, premièrement n'a pas produit la chute du régime de Mugabe, ensuite a rendu les Britanniques un peu impopulaires dans les capitales africaines, et a même créé des petites tensions intra-européennes. En plus, elle n'a pas permis d'isoler le régime de Mugabe, puisque, notamment sur le plan économique, c'est un régime qui a été décrié mais qui n'a pas été isolé. Il a fait l'objet de sanctions, il a été suspendu du Commonwealth etc., mais il a trouvé des partenaires de substitution en Extrême-Orient. Ces derniers ne sont, certes, pas toujours d'une fiabilité extrême, mais il y a quand même la Chine, qui est maintenant son premier partenaire commercial. Il y a aussi l'Afrique du Sud, qui a continué à aider le Zimbabwe, en lui fournissant gracieusement électricité et fioul. Donc la stratégie d'isolement du Royaume-Uni n'a pas permis d'isoler le Zimbabwe, sauf de l'isoler de l'aide internationale structurelle, puisque, avec les Etats-Unis, l'Australie, et le Canada, ils ont réussi à faire en sorte que les Institutions Financières Internationales ne soutiennent plus le Zimbabwe.

Cependant, ce qui a surtout été important, c'est le rôle de la SADC. La SADC a été trop lente au démarrage. On lui a d'ailleurs reproché de ne pas vraiment s'être saisi du dossier Mugabe. Elle était en fait divisée en interne, entre les pays qui étaient pro-Mugabe, et les pays qui étaient anti-Mugabe. Le Botswana et la Zambie notamment, étaient clairement anti-Mugabe ; pour les autres, c'était différent. Donc la SADC avait ses propres divisions. Elle a fini par les surmonter. Thabo Mbeki a mené depuis le début de la crise, une quiet diplomacy qui a été extrêmement décriée, mais qui a eu un effet d'accélération sur la fin, même s'il est toujours difficile de dire qui a véritablement réussi à arracher l'accord.

TP : On a pu parler du rôle du gouvernement angolais - qui est très proche de Mugabe - en concertation avec l'Afrique du Sud…

TV : Le problème c'est qu'au début, les pays membres de la SADC sont restés dans une sorte de tolérance passive et ne voulaient pas se saisir du dossier zimbabwéen parce qu'il y avait trop de dissensions. Au bout d'un moment, la pression a été telle, et notamment la pression anglo-saxonne sur certains pays africains, dont l'Angola, que ceux-ci ont agi.

Mais ce qui est important de voir, dans le système diplomatique africain, c'est en effet cette gestion de la crise zimbabwéenne par des africains, c'est cela qui compte. Et c'est pour cela que la position du Royaume-Uni sur ce sujet est assez contre-productive. Beaucoup de diplomaties sont sur cette ligne, à savoir que les problèmes africains doivent être réglés par les africains. C'est pour cela qu'il y avait beaucoup d'insistance. On était très déçus que la SADC ne se saisisse pas du dossier, qu'elle tergiverse, que l'Union Africaine (UA) fasse de même. Mais on a vu qu'une fois qu'ils l'ont fait, les choses ont avancé.

Ce qui s'est passé en fait avec l'Angola, c'est que l'Angola est proche du Zimbabwe, mais elle est aussi proche de Washington. Et en fait, lors des élections de 2008, lorsque les violences étaient visibles, Washington et Londres ont donné beaucoup de coups de fil en Afrique, pour dire que maintenant c'était trop grave, qu'il fallait agir, etc. Dans ce contexte, l'Angola fait partie des pays qui ont été pivots pour déclencher une condamnation de la part de la SADC et de l'UA. Ce qui est intéressant aussi, dans cette gestion diplomatique africaine du dossier, c'est que dans l'Accord Politique Global, la SADC se présente comme le garant de l'accord, l'UA aussi. Ils sont désormais officiellement les gestionnaires du dossier zimbabwéen et des problèmes qui ne vont pas manquer de se développer dans ce gouvernement de cohabitation. Cette stratégie d'africanisation de la gestion des crises africaines est donc en marche. En tout cas, c'est ce que montre le dossier zimbabwéen, et c'est pour cela que l'on peut parler de " crise reflet ", car elle montre bien les nouveaux systèmes de gestion des relations internationales qui se mettent en place.

Alors, cela pose en effet la question de comment on fait pour traiter une dictature comme le Zimbabwe pour sortir en douceur vers la démocratie. Ce qui parait extrêmement important c'est que la sortie se fait grâce à la conjonction des démocrates de l'extérieur et de l'intérieur. Et c'est pour cela d'ailleurs que Mugabe n'a de cesse de dénoncer le MDC comme le parti de l'étranger. D'ailleurs dans l'APG, il y a un article là-dessus, disant que les partis intérieurs zimbabwéens ne doivent pas aller chercher de l'aide à l'étranger, et même qu'il ne faut pas appeler au regime change [12].

Néanmoins, c'est seulement avec cette conjonction de démocrates de l'intérieur et de l'extérieur, qui doivent être d'accord sur la stratégie, que l'on peut espérer faire bouger les choses. Il y a une certaine fluctuation entre les différentes parties, mais on peut dire que Londres, Washington, et le MDC sont plutôt en phase, même si des critiques ont pu parfois être formulées par Londres contre Tsvangirai. La question est de savoir si les smart sanctions fonctionnent bien ou non. Lors de la mise en application des sanctions, Mugabe avait d'ailleurs fait, comme Omar el Béchir maintenant, des déplacements exprès pour narguer les gouvernements occidentaux, notamment en Italie dans un congrès international. Il avait été en Europe, en disant " de toute façon je ne me rends pas dans le pays lambda, je me rends à une conférence internationale en tant que chef d'Etat ".

TP : Donc, par rapport à toutes ces stratégies internationales, est-ce qu'il y aurait une meilleure manière de traiter avec ce régime ? Est-ce que ce serait celle de la SADC ?

TV : Je pense que la gestion africaine de la crise est vraiment la bonne voie. Tout simplement parce que, comme le montre l'exemple de la gestion britannique, dans un contexte où il y a un ressentiment assez fort entre les Africains et les Occidentaux, notamment pour des raisons économiques, il est extrêmement maladroit pour d'anciennes puissances coloniales de vouloir faire ou de se montrer comme voulant faire du regime change dans des pays où le souvenir du passif colonial est assez vif et encore assez problématique. Même au-delà du passif colonial, la Grande-Bretagne est pointée du doigt comme étant celle qui a déclenché la crise, quand en 1997 elle a décidé d'arrêter de financer le programme de réforme foncière [13].

Donc la gestion africaine est le bon schéma. Le problème, c'est qu'au sein des diplomaties africaines, il y a des divisions, des contradictions, des blocages etc., ce qui ralentit la gestion des crises. On peut compter sur l'Union Africaine pour gérer les crises africaines, le jour où il y aura plus de cohésion, idem pour la SADC, le jour où il y aura plus de cohésion interne. Donc, c'est un peu en fonction des dossiers, il y en a qui créent plus de tensions que d'autres entre Africains.

Dans tous les cas, ce qui est clair, et l'un des enseignements de cette gestion, c'est que la SADC, dans son approche a toujours maintenu et continue à maintenir la ligne de la légitimité de Mugabe. Elle n'a jamais - et elle l'a toujours défendu - été jusqu'où les Britanniques voulaient qu'elle aille, à savoir, de déclarer publiquement : " ce gouvernement est illégitime ". Elle n'a jamais mis en cause la légitimité de la ZANU-PF, parce qu'il y a aussi derrière toute une histoire.

TP : Ils ont tous participé aux luttes de libération nationales ensemble…

TV : Voilà et puis, le Zimbabwe était aussi le principal pays de la ligne de front, celui qui animait le combat contre l'apartheid, contre les blancs. Il ne faut pas oublier qu'il y a, en effet, la question de l'indépendance du Zimbabwe, qui a déjà été un combat intérieur avec le régime raciste d'Ian Smith, mais après ce combat là, ils en ont mené un autre contre l'Afrique du Sud de l'apartheid.

Il faut savoir tourner la page du passé, mais ce passé pèse encore très lourd en Afrique, et surtout, il est réactivé sous la forme d'une domination économique de la nouvelle économie mondiale, et des rapports Nord-Sud. En effet, pourquoi toute la rhétorique de Mugabe, qui va dans les archives idéologiques de la ZANU-PF, et qui reprend la lutte anti-coloniale, a-t-elle encore un écho, et pas seulement chez les personnes âgées ? C'est parce qu'il lui donne une coloration très économique : " on est économiquement opprimés par les pays du Nord, ils nous mettent à genoux, et la crise au Zimbabwe, c'est de leur faute, ce n'est pas de ma faute ". Donc, dans ce cas là, il faut [pour les occidentaux] éviter de se trouver en première ligne pour gérer les crises africaines.


[1] Movement for Democratic Change, dirigé par le Premier ministre zimbabwéen Morgan Tsvangirai. Fondé en 1999, comme parti d'opposition, le MDC s'est composé à l'origine de divers groupes de la société civile ayant fait campagne pour voter contre la ratification de la nouvelle Constitution soumise à référendum en 2000 par le gouvernement du ZANU-PF.

[2] Zimbabwe African National Union - Patriotic Front, dirigé par le Président zimbabwéen Robert Mugabe. Fondée en 1963, entre autres, par Ndabaningi Sithole et Robert Mugabe, la Zimbabwe African National Union fut l'une des principales organisations à mener la lutte contre le gouvernement rhodésien de minorité blanche, gouverné par Ian Smith. Elle se divisa entre une minorité Ndau, menée par Sithole, renonçant à la lutte armée, et une majorité Shona plus militante, sous le leadership de Mugabe. Après l'indépendance obtenue en 1980, la ZANU remporta les premières élections. En 1987, la ZANU absorba le principal parti d'opposition, la ZAPU (Zimbabwe African People's Union). Mouvement de libération nationale créé en 1961, la ZAPU avait combattu aux côtés de la ZANU contre le régime rhodésien. Le sigle PF (Patriotic Front) qui avait été apposé aux deux principales formations suite à leur alliance au moment de l'indépendance, fut réutilisé pour désigner le nouveau parti né de l'absorption de la ZAPU par la ZANU, le tout devenant désormais le ZANU-PF.

[3] En juillet 2008, date de la dernière publication de chiffres officiels, le taux d'inflation sur un an avait atteint 231 millions de % d'après les statistiques officielles. La situation d'hyper-inflation aurait continué à se développer de façon exponentielle, d'après certains économistes qui sont allés à l'estimer pour la fin d'année 2008 à plusieurs milliards de %. Cependant, d'après l'Office Central de la Statistique (CSO), il semblerait que le début d'année 2009 connaisse une certaine accalmie sur ce dossier : http://www.africanmanager.com/articles/122113.html.

[4] Ce type de sanctions internationales succède notamment aux critiques à l'égard des embargos, soulignant le fait que ces derniers finissent par nuire plus aux populations qu'aux responsables des régimes visés. Ce sont donc des sanctions ciblées sur les responsables des régimes. Elles consistent essentiellement dans le gel des avoirs, et l'interdiction de déplacements à l'international, notamment par le refus d'émettre des visas. Il y a entre 130 et 140 officiels zimbabwéens sur la liste américaine. On avait remarqué, par exemple, que des proches du Président Mugabe écoulaient des diamants en Extrême-Orient, suite a un boom du diamant dans la région de Marange, au sud-ouest de Mutare, en 2006-2007. Des sanctions furent appliquées sur ces personnes.

[5] National Railways of Zimbabwe

[6] Zimbabwe Electricity Supply Authority

[7] Lors des élections présidentielles et législatives du 29 mars 2008, le MDC a remporté la majorité absolue des sièges au Parlement (109 sièges contre 97 pour le ZANU-PF), et 48 % des suffrages au premier tour de l'élection présidentielle, contre 43 % pour le ZANU-PF.

[8] Johannes Tomana

[9] L'Australie a récemment apporté une aide de US$ 6,5 millions au nouveau gouvernement d'union nationale, indépendamment de l'aide humanitaire. Mais elle reste le seul parmi les bailleurs de fonds appliquant des sanctions (Etats-Unis, Canada, pays membres de l'UE) à avoir franchi ce pas.

[10] Le MDC, fondé en 1999, a connu une importante scission en 2005 suite à une différence d'approche stratégique à l'approche des élections sénatoriales. Cette scission a mené à la création de deux partis : le MDC-Tsvangirai et le MDC-Mutambara, suivant les noms de leurs leaders respectifs. Lors des élections présidentielles et législatives de 2008, les deux partis ne réussirent pas à trouver un accord d'alliance. Le MDC-Mutambara appela à voter pour le candidat indépendant Simba Makoni, et non pour Tsvangirai. Les résultats des législatives montrèrent que la faction Tsvangirai avait la faveur populaire : 99 sièges de députés, 10 pour le MDC-Mutambara et 97 pour le ZANU-PF. Dans le gouvernement de cohabitation, Mugabe reste Président, Tsvangirai devient Premier ministre, et Mutambara occupe l'un des deux postes de vice-président.

[11] " Un fermier, une ferme ".

[12] Expression rendue courante par les administrations américaines sous Bill Clinton, puis George W. Bush, notamment au sujet du dossier irakien, pour qualifier une doctrine visant au remplacement d'un régime (généralement autoritaire) par un nouveau régime démocratique, souvent via des interventions de pouvoirs extérieurs.

[13] Le rôle du Royaume-Uni dans la réforme foncière remonte à l'indépendance du Zimbabwe. En effet, selon les Accords de Lancaster House, signés le 21 décembre 1979, qui consacrèrent l'indépendance du Zimbabwe, la réforme foncière - principal point d'achoppement des négociations - devait être financée par le gouvernement britannique, selon un modèle d'acheteurs et de vendeurs volontaires (willing buyer, willing seller). Durant la première phase de réforme foncière qui se déroula entre 1980 et 1990, plus de 70 000 familles sans terres furent réinstallées (sur un objectif de 162 000 familles). Le Land Acquisition Act passé en 1992 retira la clause willing buyer, willing seller, donnant ainsi le droit au gouvernement d'acquérir des terres unilatéralement, tout en payant une compensation à leurs anciens propriétaires, qui pouvaient néanmoins faire appel au tribunal sur le montant de cette compensation. Cependant, peu de familles furent réinstallées durant cette phase de la réforme foncière, et la majorité des terres rachetées se retrouvèrent aux mains de ministres, d'officiels de haut rang du gouvernement, et d'hommes d'affaires autochtones. La subvention initiale du gouvernement britannique de 44 millions de livres étant arrivée à sa fin en 1996 , et le nouveau gouvernement travailliste britannique ayant accédé au pouvoir en 1997, celui-ci adopta une nouvelle ligne face à la réforme foncière. L'administration Blair conditionna ainsi l'apport de fonds additionnels à un programme de réforme foncière qui fasse partie d'un programme gouvernemental d'éradication de la pauvreté, et exigea également des garanties de transparence sur l

 

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Le Zimbabwe après la nomination du gouvernement d'union nationale : quelles perspectives ?

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Thierry VIRCOULON

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Chercheur associé, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri

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Créé en 2007, le centre Afrique subsaharienne de l’Ifri produit une analyse approfondie du continent africain, de ses dynamiques sécuritaires, géopolitiques, politiques et socio-économiques (en particulier le phénomène d’urbanisation). Le Centre se veut à la fois, via les différentes publications et conférences, un espace de diffusion d’analyses à destination des médias et du public mais aussi un outil d'aide à la décision des acteurs politiques et économiques à l'égard du continent.  

 

 

Le centre produit des analyses pour différents organismes tels que le ministère des Armées, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Agence française de développement (AFD) ou encore pour différents soutiens privés. Ses chercheurs  sont régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.

 

 

L’organisation d’événements de divers formats complète la production d’analyses en amenant les différentes sphères de l’espace public (académique, politique, médiatique, économique et société civile) à se rencontrer et à échanger outils d’analyse et visions du continent. Le Centre Afrique subsaharienne accueille régulièrement des responsables politiques de différents pays d’Afrique subsaharienne. 

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L'Afrique en questions n°6. Le Zimbabwe après la nomination du gouvernement d'union nationale : quelles perspectives ?
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Le Zimbabwe après la nomination du gouvernement d'union nationale : quelles perspectives ?