Gazoducs et géopolitique
Les tracés de gazoducs offrent de magnifiques exemples de géopolitique élémentaire.
1) Lorsqu’un pays émetteur approvisionne un ou plusieurs pays récepteurs, les partenaires aux deux bouts de la chaîne ont toujours la crainte que le gazoduc les reliant ne traverse un pays intermédiaire qui pourra menacer le trafic de transit, par exemple pour améliorer le prix de cession s’il prélève du gaz au passage. Ainsi, les vicissitudes des relations entre la Russie et l’Ukraine ont durablement inquiété les Européens.
En conséquence, l’émetteur et le récepteur recherchent des tracés évitant des pays intermédiaires. Ainsi est né Nordstream reliant directement Russie et Allemagne en évitant pays Baltes, Biélorussie et Pologne.
Plus au Sud, est envisagé le projet Southstream connectant la Russie à la Roumanie et à la Bulgarie, puis à l’Europe occidentale en passant au fond de la mer Noire pour éviter l’Ukraine.
Viennent ensuite les projets européens du South Corridor dont le but est de faire parvenir en Europe du gaz d’Azerbaïdjan en évitant Russie et Ukraine, mais en passant toutefois par la Turquie. Cette hypothèse ne plait guère à la Russie puisqu’elle la prive des avantages d’être un pays intermédiaire.
Un peu plus à l’est, l’Europe aimerait qu’un gazoduc transcaspien lui donne accès via l’Azerbaïdjan au gaz naturel du Turkménistan. Mais la Caspienne est un lac et non une mer et la Russie, pays riverain disposant d’un droit de veto, s’oppose à un tel projet car elle préfèrerait voir passer sur son territoire le gaz turkmène.
2) Les jeux se déroulent ensuite en fonction des types d"acteurs et des menaces qu"ils peuvent faire jouer.
Trois types d’acteurs entrent en jeu à l’ouest, un seul en Russie ou dans chaque pays d’Asie Centrale
- à l’ouest, il faut distinguer la Commission européenne et les gouvernements des Etats-membres, les financiers et les opérateurs du monde énergétique,
- à l’est, le couple gouvernement-opérateur que l’on ne peut dissocier (Kremlin-Gazprom pour la Russie).
Le jeu de l’acteur oriental est clair : contrôler comme producteur ou transmetteur, le maximum de voies d’accès de gaz naturel à destination de l’Europe occidentale.
Les stratégies des acteurs occidentaux sont plus diversifiées. La Commission, organe qui milite pour l’indépendance politique de l’Europe fait campagne pour des tracés sûrs comme Nabucco, même si son approvisionnement en gaz est aléatoire et donc son financement problématique.
Les opérateurs donnent la priorité aux ressources et donc à des acheminements sans intermédiaires à partir de gisements aux possibilités de production sûres. les financiers leur font confiance.
Quant aux gouvernements, tout en tolérant les discours de la Commission, ils appuient plus ou moins leurs opérateurs en fonction de considérations plus vastes de politique étrangère. Le gouvernement allemand a fortement soutenu Nordstream. Le gouvernement italien est favorable aux projets de l’ENI. Le gouvernement français quant à lui, n’a vu aucun inconvénient à ce que GdF-Suez s’engage avec Nordstream et EdF avec Southstream.
3) Simplifions encore. Lorsque sont face à face un émetteur et un récepteur, ils ont l’un et l’autre intérêt à s’accorder à la fois sur les volumes et les prix (ou plutôt la formule de prix), mais l’acheteur souhaite s’engager sur un volume prudent et un prix modéré et le vendeur obtenir une garantie sur un volume important et un prix élevé. Il leur faut donc chercher un compromis et dans la négociation, ils tentent d’utiliser des menaces plus ou moins crédibles. En Europe de l’Ouest, la menace d’avoir recours au GNL, est rendu plus crédible par la disparition de la dépendance extérieure des Etats-Unis à la suite de la hausse de leur production de gaz de schiste. En Russie, on évoque la possibilité d’écouler leur gaz en direction de la Chine dont la demande augmente à la suite de sa croissance économique.
Ces structures géopolitiques en matières de gazoducs peuvent être modifiées par trois séries d’événements : la construction d’un gazoduc qui en périme un autre, la découverte de nouveaux gisements (par exemple aujourd’hui en Méditerranée orientale) ou une rupture géopolitique transformant les relations entre deux pays (par exemple une évolution en Iran).
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