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Francophonie et Commonwealth : virage vers l’Asie-Pacifique au détriment de l’Afrique

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Lors de leurs sommets respectifs tenus à l’automne 2024, la Francophonie et le Commonwealth, deux institutions multilatérales souvent mises en parallèle et accueillant parfois les mêmes pays, ont choisi une inflexion commune vers l’Asie-Pacifique, au détriment de l’Afrique.

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Villers-Cotterêts, France. La cour de la résidence de la francophonie
Villers-Cotterêts, France. La cour de la résidence de la francophonie
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Francophonie 2024 : un sommet terne

Le XXIe Sommet de la Francophonie, ouvert le 4 octobre à la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts, terne et peu médiatisé, rappelait plus par son thème (« Créer, innover et entreprendre en français ») un séminaire économique qu’une grande manifestation diplomatique.

L’on était bien loin du temps où le lancement de la Francophonie institutionnelle visait à renforcer le poids international de la France, en s’appuyant sur sa culture et son histoire. Le « Premier sommet des pays ayant en commun l’usage du français » avait été ouvert avec solennité le 17 février 1986 à Versailles par le président François Mitterrand, en présence de Léopold Sédar Senghor dans son habit vert de l’Académie française. Ayant quitté volontairement la présidence du Sénégal pour se retirer en Normandie, celui-ci incarnait à lui seul une profonde osmose entre la France et l’Afrique. Il demeurait aussi le seul présent des trois dirigeants du continent africain (avec Habib Bourguiba en Tunisie et Hamani Diori au Niger) ayant plaidé depuis deux décennies pour la création d’un « Commonwealth à la française », selon la formule de l’époque. L’aboutissement de ces efforts fut que, pour la première fois, 41 chefs d’État et de gouvernement se réunirent « autour d’une langue, porteuse [...] d’une civilisation qui nous est commune, à laquelle chacun ajoute son propre apport », comme le déclarait alors le président français à Versailles.

Commonwealth et Francophonie : un faux parallélisme

Le parallélisme entre les deux institutions était pourtant trompeur : le Commonwealth reste encore aujourd’hui une sorte de club aux origines coloniales réunissant tous les deux ans des chefs de gouvernement mais aussi des peuples du monde entier, autour d’un primus inter pares, le souverain britannique, dont la neutralité provient de son absence de pouvoir constitutionnel. En revanche, lancer la Francophonie sous une forme institutionnelle avait exigé de parvenir à une entente entre deux exécutifs rivaux dans l’affaire, ceux du dominion britannique du Canada et de la France de la Ve République. Cette dernière, même avec le soutien alors très large de son ancien empire colonial africain et la force de son régime présidentiel, n’aurait pu à elle seule promouvoir un tel projet. Dès l’abord, il fut donc convenu que si le premier Sommet francophone se tiendrait à Versailles, le second aurait lieu au Québec. En outre, dans une logique de proximité culturelle plus que politique, la Francophonie naissante rassemblait également la Belgique ou la Suisse.

Quant aux fonctionnements internes, les différences sont aussi notables : le Sommet des dirigeants du Commonwealth (Commonwealth Heads of Government Meeting – CHOGM) reste au cœur de l’institution, son secrétaire général n’ayant qu’un rôle honorifique. Ce n’est nullement le cas pour son équivalent francophone, le Secrétaire général de la Francophonie, poste créé seulement en 1997, au sommet de Hanoï. Son premier détenteur fut l’ancien secrétaire général de Nations unies, l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali, et sa fonction délicate et centrale est de conduire l’action politique et d’être le porte-parole d’une association devenue avec le temps de plus en plus complexe. Forte aujourd’hui de 96 membres (dont le Qatar), soit 56 membres pleins, 32 « observateurs » et 5 « membres associés », elle ne se compare plus sur ce point au Commonwealth qui ne s’est élargi que marginalement à 56 membres, tous de même statut. Avec cette dynamique expansionniste et cette flexibilité dans l’adhésion, la Francophonie est devenue de fait, d’une manière très spécifique et très éloignée du modèle britannique, une sorte d’« anti-Commonwealth à la française », rassemblant aussi bien l’Albanie que, tout dernièrement, l’Angola comme le gouvernement autonome de Polynésie française.

Villers-Cotterêts : tensions africaines et inflexion vers l’Asie

La vocation politique mondialiste de la Francophonie se manifesta d’emblée sous la forme d’une « Déclaration commune des chefs d’État et de gouvernement ». Celle du Sommet fondateur de 1986 fut consacrée à une condamnation « sans réserve [de] la politique d’apartheid pratiquée en Afrique du Sud ». C’était tenter alors, sous la pression canadienne, de faire oublier les liens longtemps entretenus par la France et certains États africains francophones avec Pretoria.

Le IVe et dernier sommet francophone tenu en France avant celui de 2024 allait quant à lui produire la « Déclaration de Chaillot » du 21 février 1991, qui mettait elle aussi l’accent sur le continent africain, en soulignant les « progrès de la démocratie », en écho au sommet franco-africain de la Baule. Face au constat de certaines réticences africaines, la Déclaration commune affirmait qu’« il appartient à chaque peuple de déterminer les voies les plus appropriées à l’affermissement de ses institutions démocratiques ».

De tels textes consensuels, relativement brefs, n’étaient plus de mise en octobre 2024 lors du XIXe Sommet, qui produisit deux documents lourdement bureaucratiques, la « Déclaration de Villers-Cotterêts », centrée sur les questions de langue, et la « Résolution sur les situations de crise, de sortie de crise et de consolidation de la paix », à vocation plus politique. Cette dernière, publiée après la clôture du Sommet, ne comptait pas moins de 78 paragraphes mais témoignait aussi d’une absence de consensus, avec le maintien de « réserves » ponctuelles par certains États membres. Ces « réserves » émanaient, sur la situation à Gaza (§ 13), d’un bloc balkanique (Albanie, Bulgarie, Grèce, Moldavie, Roumanie) ou encore de l’Albanie seule pour le soutien aux « efforts de l’Arménie » (§ 26).

Plus gravement, l’on observait aussi une confrontation africaine majeure, jusque dans des rapports personnels très tendus entre les présidents Félix Tshisekedi (République démocratique du Congo – RDC) et Paul Kagame (Rwanda), sans que la secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, ancienne ministre des Affaires étrangères rwandaise, ait réellement pu œuvrer à une quelconque conciliation. Dans la « Résolution » finale, cette confrontation diplomatique s’est traduite par un refus du Rwanda de valider le paragraphe 35, condamnant « tout appui militaire extérieur » aux « groupes armés opérant en RDC », ainsi que par l’expression des « réserves » sur la « solidarité avec le peuple congolais » (§ 38).

Les tensions africaines ne se limitèrent pas là, et l’absence des régimes militaires sahéliens déséquilibra totalement la participation de l’Afrique francophone au Sommet de Villers-Cotterêts : la Guinée et le Tchad, exclus du sommet précédent de Djerba, y furent réintégrés au nom du retour à la démocratie, mais le Mali, le Burkina Faso et le Niger ne furent pas invités du fait de leurs coups d’État respectifs. Au niveau présidentiel, l’Afrique francophone, cœur historique de l’organisation, se réduisit donc à une poignée de pays souhaitant conserver des liens politiques avec la France : Bénin, Côte d’Ivoire, Mauritanie, Tchad (ce pays n’ayant pas encore demandé le départ de l’armée française), République centrafricaine (malgré l’alliance russe), Gabon (admis au sommet dans la perspective de son retour à la démocratie). Les absences du Sénégal, du Cameroun et du Congo-Brazzaville, dont les participations présidentielles furent très remarquées quelques semaines auparavant au Sommet Chine-Afrique, ne pouvaient être contrebalancées par la présence, discrète, des chefs d’État lusophones de la Guinée-Bissau et de Sao Tomé-et-Principe. Quant à Madagascar, dont le président était présent au XIXe Sommet, c’est un membre fondateur de la Francophonie aux relations cycloïdes avec la France. Sa position géographique et son histoire en font plus que jamais un pays à part, intermédiaire entre l’Afrique et l’Asie-Pacifique dans la nouvelle configuration mondiale qui se dessine, avec un impact majeur sur la Francophonie. À la fin du Sommet en effet, le roi du Cambodge, seul souverain présent à la réunion, annonça que le prochain sommet aurait lieu dans son pays, en insistant sur les spécificités d’une francophonie asiatique très minoritaire dans sa région et concentrée sur les pays de l’ancienne Indochine française.

Commonwealth : de Kigali à Apia

Quant au Commonwealth, son inflexion parallèle d’une Afrique jadis dominante en nombre et en influence politique vers une nouvelle polarisation sur la zone Asie-Pacifique s’est traduite dans le contraste entre le Sommet de Kigali, au Rwanda, en juin 2022, et celui d’Apia, aux îles Samoa, à la fin du mois d’octobre 2024 – le premier à se tenir dans un pays du Pacifique.

Le Sommet de Kigali avait été pollué par la décision très controversée de Boris Johnson, alors Premier ministre britannique, d’envoyer au Rwanda des migrants clandestins arrêtés à leur arrivée en Grande-Bretagne. Le Prince de Galles (devenu depuis le roi Charles III), qui y représentait sa mère comme Head of the Commonwealth, y était hostile mais ne pouvait s’exprimer sur ce projet, dont la phase initiale se traduisit par le versement au Rwanda de plusieurs centaines de millions de livres sterling d’aide britannique. Ce projet fut finalement annulé par le gouvernement travailliste à son arrivée au pouvoir en juin 2024.

Des États d’Afrique et des Caraïbes entendaient soulever à Apia la question de réparations, financières et autres, dues pour la traite européenne des esclaves. Mais le nouveau Premier ministre travailliste britannique, Sir Keir Starmer, souligna qu’elle n’était pas inscrite au programme du Sommet. Celui-ci s’acheva par l’adoption de l’« Apia Commonwealth Climate Change Declaration for One Resilient Common Future » du 29 octobre 2024, laquelle met l’accent sur les défis associés à l’océan dans le changement climatique dans la perspective de la COP29 et insiste particulièrement sur la nécessité de maintenir les frontières maritimes actuelles face au phénomène de la montée des eaux. Bien que la ministre ghanéenne des Affaires étrangères y ait été élue secrétaire générale du Commonwealth, l’Afrique, qui fit montre de son relatif désintérêt pour l’urgente question climatique, y a ainsi sensiblement perdu en influence, se refusant à regarder plus du côté de l’avenir que de celui du passé, pour reprendre la formule frappante employée alors par Sir Keir Starmer.

Ce tropisme vers l’Asie et le Pacifique de la Francophonie et du Commonwealth, manifeste dans leurs deux derniers sommets, presque concomitants, traduit sans nul doute un changement d’époque, les questions africaines (hors le problème migratoire) passant au second plan des préoccupations des pays occidentaux, de plus en plus attirés vers l’Asie et le Pacifique, tandis que, parallèlement, de la Russie à l’Asie et au Brésil, s’affirment de nouvelles solidarités avec les pays africains, dégagées de la relation post-coloniale.

 

 

 

 

 

 

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979-10-373-0979-2

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Francophonie et Commonwealth : virage vers l’Asie-Pacifique au détriment de l’Afrique

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François GAULME

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Chercheur associé, Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri

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Créé en 2007, le centre Afrique subsaharienne de l’Ifri produit une analyse approfondie du continent africain, de ses dynamiques sécuritaires, géopolitiques, politiques et socio-économiques (en particulier le phénomène d’urbanisation). Le Centre se veut à la fois, via les différentes publications et conférences, un espace de diffusion d’analyses à destination des médias et du public mais aussi un outil d'aide à la décision des acteurs politiques et économiques à l'égard du continent.  

 

 

Le centre produit des analyses pour différents organismes tels que le ministère des Armées, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Agence française de développement (AFD) ou encore pour différents soutiens privés. Ses chercheurs  sont régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.

 

 

L’organisation d’événements de divers formats complète la production d’analyses en amenant les différentes sphères de l’espace public (académique, politique, médiatique, économique et société civile) à se rencontrer et à échanger outils d’analyse et visions du continent. Le Centre Afrique subsaharienne accueille régulièrement des responsables politiques de différents pays d’Afrique subsaharienne. 

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