La disparition prématurée de Bassma Kodmani est ressentie avec une profonde tristesse par l’Ifri, qu’elle avait intégré dès ses premières années d’existence. Elle fut en 1981 la créatrice et l’âme du programme portant sur l‘Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Elle devait rester à l’Ifri près de 17 ans, marquant de sa forte personnalité les travaux sur cette zone sensible avant de rejoindre au Caire, en 1998, la Fondation Ford qui avait, en particulier, vocation à soutenir les centres de recherche dans la région.

Sa personnalité lumineuse, son souci du dialogue, son intégrité intellectuelle se sont toujours imposés à ses interlocuteurs. Ces qualités se retrouvent dans son livre le plus personnel, Abattre les murs, publié en 2003. Elle s’y interrogeait en particulier sur l’identité du monde arabe d’aujourd’hui, ses frustrations, ses peurs, ses obsessions, son rejet de l’Occident, mais aussi ses espoirs. Elle s’inquiétait de la montée du religieux depuis les années 1980. Elle constatait également : « la société française vit actuellement dans le déni de la diversité qui la fonde ». Elle ne cessait de plaider pour établir un dialogue entre Arabes et Européens. Elle s’engageait aussi sur la question palestinienne, soulignant l’impératif de casser la « dynamique mortelle » entre Israéliens et Palestiniens. Cet essai, sincère et chaleureux, faisait apparaître sa force de conviction, et sa lucidité, tendues vers l’instauration de relations plus confiantes entre deux mondes qui ont des difficultés à se connaître.
En revenant en France et en fondant l’Initiative arabe de réforme, Bassma Kodmani a bien marqué sa volonté d’insuffler les valeurs démocratiques dans des pays où les pouvoirs sont encore « anesthésiants ». On retrouvait cette même volonté d’influer sur le cours des évolutions avec sa participation en 2007 aux travaux du Groupe Avicenne - dont elle fut une figure active -, qui, à la veille de l’élection présidentielle, menait une réflexion sur la politique de la France en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Il n’est pas étonnant qu’en 2011, les révolutions arabes affectant son pays d’origine la Syrie, elle se soit engagée en politique. Face à la répression brutale du régime, elle marqua alors sa détermination à promouvoir une alternative démocratique à travers une opposition regroupée dans le Conseil national syrien.
Cette vie consacrée à mieux faire comprendre un monde complexe, à « abattre les murs », à se mobiliser en faveur d’une gouvernance plus démocratique, dans les pays qui nous sont proches, mérite notre respect. Nous garderons, de sa personnalité rayonnante et reconnue par ses pairs, un souvenir fort.
Denis Bauchard
Ancien président de l'Institut du Monde arabe
Conseiller pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, Ifri
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