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Du point de vue européen, la prise de conscience d’une possible pandémie date exactement d’un an. La vague est arrivée. Elle a submergé le monde, avec beaucoup de victimes directes et plus encore de dommages collatéraux. 

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Dans ce maelström, une sorte de miracle s’est produit : la mise au point, avec une rapidité sans précédent, non pas d’un, mais de plusieurs vaccins, semble-t-il, efficaces. Deux d’entre eux sont basés sur des technologies certes en gestation depuis longtemps, mais néanmoins révolutionnaires. À un moment où les hommages ne pleuvent pas sur Donald Trump, rendons-lui au moins celui d’y avoir cru et de les avoir financées un bon moment. Hélas, les espoirs en une défaite rapide du virus ont été déçus, pour au moins deux raisons. D’une part, la production et la distribution des vaccins ne se font pas avec un claquement de doigts. Elles se heurtent à diverses difficultés organisationnelles, en particulier logistiques. Nous sommes là dans une logique d’économie de guerre, à laquelle peu de pays étaient préparés. Et s’il est vrai que la vaccination est un bien public dans la mesure où chaque personne vaccinée protège aussi les autres, la traduction opérationnelle de cette constatation, notamment dans les pays en voie de développement, ajoute des difficultés aux difficultés. D’autre part, et peut-être surtout, l’arrivée de variants plus contagieux, voire plus dangereux, a douché les espérances d’une fin prochaine de la crise. À présent, plus personne ne s’attend à un retour à la normale avant 2022 au mieux. Et encore s’agirait-il de toute façon d’une nouvelle normalité.

C’est dire qu’au moins le premier quart de la présidence de Joe Biden aura deux toiles de fond, entremêlées comme en 2020 : le virus et la Chine. Elles sont entremêlées car la première manche de la lutte contre la pandémie a été clairement gagnée par la Chine, tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique, et cela même si le risque n’y a pas disparu. Les États-Unis sont encore très loin du compte. En outre, la Chine a rapidement saisi l’occasion de cette pandémie pour entreprendre tous azimuts une diplomatie sanitaire active, avec les masques d’abord, puis avec les appareils médicaux et maintenant son vaccin. Elle cherche à se présenter comme le champion de l’ouverture et du multilatéralisme à un moment où, malgré les paroles apaisantes et les appels de pied du nouveau président, les alliés et partenaires des États-Unis restent traumatisés par le mandat de son prédécesseur, et manifestent peu d’empressement à se rallier derrière la bannière étoilée face à la puissance montante. Biden voudrait que l’Amérique retrouve son statut de « leader du monde », mais ce n’est qu’un vœu pieux : à l’époque de la guerre froide, elle n’était que le leader du « monde libre », comme on disait alors, et c’était déjà beaucoup ; à présent, la République populaire de Chine n’a nulle intention de se positionner en follower des États-Unis. Quand le 46e président parle d’un retour du leadership américain, comprenons que pour lui le système d’alliances élaboré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale doit désormais se restructurer, non seulement face à une Russie toujours considérée comme menaçante ; mais encore et surtout face à la Chine, accusée de bafouer les libertés chez elle et de vouloir imposer par la force son hégémonie dans son environnement, en particulier en menaçant Taïwan. C’est d’ailleurs autour de Taïwan que tout se jouera.

Il ne faut pas s’attendre à ce que l’année 2021 soit décisive à cet égard. Les problèmes intérieurs des États-Unis sont trop sérieux pour que le successeur de Donald Trump – celui qui le premier a osé dénoncer à voix haute la menace chinoise – puisse se permettre de sonner immédiatement le début d’une nouvelle guerre froide. Au moins dans un premier temps, il va tenter de mettre en œuvre une stratégie de competitive rivalry, selon les termes du célèbre professeur de Harvard Joseph Nye – un démocrate très respecté – tout en essayant, sans trop montrer les muscles, d’empêcher Européens et autres de trop coopérer sur les plans économiques et technologiques avec la Chine. Les Européens, échaudés par l’expérience Trump, n’entendent pas se laisser faire et essaient de renforcer leur marge de manœuvre. D’où, notamment, un accord sur les investissements avec Pékin, auquel on peut être certain que les Américains veulent faire obstacle. En Europe même, cet accord ne fait d’ailleurs pas l’unanimité. On lui reproche de faire la part trop belle aux intérêts allemands et d’ignorer les atteintes aux droits de l’Homme.

Les relations internationales ne se développent pas dans le monde des Bisounours. À mesure qu’elle prendra ses marques, la nouvelle administration de Washington poursuivra la politique de ses prédécesseurs en promouvant les intérêts économiques et technologiques américains par tous les moyens, parmi lesquels l’extraterritorialité juridique est le plus préoccupant pour les partenaires des États-Unis. À cet égard, on attend avec intérêt les conditions de leur éventuel retour dans l’accord nucléaire avec l’Iran (le JCPOA). Mais au niveau de discours ou du « narratif », les intérêts tangibles, tout en étant défendus bec et ongles, resteront plus ou moins masqués derrière les arguments idéologiques, tant à la Maison-Blanche qu’au Congrès. La nouvelle croisade qui s’annonce sera, comme la première, au nom de la liberté.

Au risque de me répéter, je ne crois pas que les choses se décideront en 2021. Pour l’Europe, Trump et la pandémie ont servi la cause de l’autonomie technologique, sinon stratégique, et de leur côté les autres grands partenaires de l’Amérique en ont aussi tiré leurs propres leçons. Si l’on essaie de jeter un regard prospectif sur le mandat de Biden dans son ensemble, les questions essentielles sont l’évolution de l’image de la Chine et donc sa perception dans le « monde libre », entendu comme celui des démocraties libérales à économie de marché. Il est évident que cette image s’est dégradée depuis l’avènement du président Xi Jinping et le renforcement de son pouvoir, pour des raisons tant objectives que subjectives. Objectives, avec la montée en puissance toujours plus impressionnante de l’empire du Milieu, et une affirmation de plus en plus ferme de ses « droits » sur Hong Kong, sur la mer de Chine méridionale, ou surtout sur Taïwan ; subjectives, car pour beaucoup, à l’extérieur de l’aire culturelle chinoise, les ambitions du régime illibéral de Pékin sont perçues comme illimitées, c’est-à-dire que la Chine fait peur. Cela dit, Pékin projette aussi une face rassurante, et ne serait-ce que du seul point de vue des rapports de force, y compris sous l’angle du développement économique et social, la Chine n’est pas prête à un affrontement violent avec les États-Unis. Ni elle, ni quiconque d’ailleurs, en raison de l’interdépendance objective.

En 2021, donc, il faut s’attendre à des escarmouches plus ou moins sérieuses, mais dans un cadre encore davantage coopératif que confrontationnel. Les choses se décanteront sûrement dans les quatre prochaines années. On ne saura pas tout de suite, mais bientôt, si la deuxième croisade est en vue. Cela dépendra beaucoup des Chinois. Et si elle devait vraiment avoir lieu, il est hautement vraisemblable que le réflexe civilisationnel jouera à fond : le monde chinois ne se détournera pas de la Chine, le monde européen se tournera vers l’Amérique, et le reste ira où il pourra. Avec quelles conséquences ? On n’en est pas encore là.

 

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ISBN / ISSN

979-10-373-0300-4

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Thierry DE MONTBRIAL

Thierry de MONTBRIAL

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Fondateur et Président de l'Ifri - Membre de l’Institut de France (Académie des sciences morales et politiques)

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