Mozambique : les défis sécuritaires, politiques et géopolitiques du boom gazier
Les découvertes géantes de gaz au Mozambique, soit 160 trillions de pieds cubes, vont permettre à ce pays très pauvre (6e produit national brut [PNB] par habitant – le plus faible du continent africain) de devenir un des futurs grands producteurs de gaz naturel liquéfié (GNL) au monde d’ici deux décennies.
- La plupart des majors occidentales et asiatiques sont théoriquement prêtes à investir plus d’une centaine de milliards de dollars (Mds de $) dans les deux prochaines décennies pour développer ce potentiel gazier qui pourrait atteindre un volume de 60 millions de tonnes (mt) par an.
- Les inquiétudes sécuritaires liées aux activités meurtrières du groupe islamiste Al Shebab dans la zone de transformation du gaz préoccupent cependant de plus en plus les majors, bien en peine d’influencer la stratégie sécuritaire jusqu’alors défaillante des autorités mozambicaines. Le manque de résultat de l’armée régulière pousse à l’utilisation toujours plus importante de mercenaires qui risquent de déstabiliser davantage une région sensible et prompte aux trafics d’armes et de drogue, située à la frontière avec la Tanzanie. Le mode opératoire du groupe terroriste et la réponse étatique rappellent la montée en puissance de Boko Haram au Nigeria à partir de 2010.
- Les futurs revenus du gaz qui résulteront de la production mozambicaine renforcent déjà considérablement la position du parti au pouvoir, le Frelimo, et le rendent davantage imperméable aux critiques venant des bailleurs et puissances étrangères traditionnelles. Sa gestion des dernières élections et celle de l’affaire des dettes cachées démontrent bien combien le gouvernement mozambicain se perçoit comme quasi intouchable. Il est fort probable que l’arrivée de la manne gazière soit de nature à encore accroître la mainmise du Frelimo sur la gestion du pays et à l’affaiblissement des contre-pouvoirs. Le Frelimo a tendance à se raidir en se sentant protégé par ses ressources en gaz.
- Les hésitations de Mobil sur les investissements ne semblent pas remettre pour l’instant en cause la toute-puissance du Frelimo. Il y a finalement assez peu de chance que le parti change ses pratiques et en adopte une plus transparente, en acceptant davantage d’influence de la part des donneurs traditionnels – Banque africaine de développement, Banque mondiale, Union européenne (UE). Alors que le poids des bailleurs était déjà très relatif sur les prises de décision lorsque le Mozambique n’avait pas découvert de gaz, il est improbable qu’avec de tels projets annoncés par les majors, le Frelimo entrouvre davantage la porte à un quelconque droit de regard venant de l’extérieur.
- L’absence de plan de développement et de volonté politique du Frelimo de maximiser les retombées du gaz en emplois, en contenu local, en diversification de l’économie et en industrialisation fait craindre à moyen terme une aggravation des tensions sociales et un probable ratage de la diversification économique et de l’émergence.
- La crise du COVID-19 aura comme impact principal au Mozambique de repousser de quelques mois les projets déjà signés (Total et ENI). Dans un contexte de crise des hydrocarbures, Total a tout de même réussi, courant mai, à boucler le financement de son projet en levant près de 15 milliards de dollars (Mds de $) auprès des banques, soit les trois quarts des besoins totaux pour les deux premiers trains de GNL. ExxonMobil a cependant repoussé le lancement de ses deux trains de GNL, qui aurait dû être acté depuis 2019, pour des raisons sécuritaires, économiques et en utilisant également l’argument de la crise du COVID-19.
- L’eldorado gazier du pays a attiré via des majors d’État ou privées toutes les grandes puissances occidentales et asiatiques. L’Italie, très impliquée politiquement au Mozambique depuis près de trente ans, voit cependant sa société ENI laisser petit à petit la place à la major américaine ExxonMobil. Toutes les sociétés des futurs États acheteurs du GNL ont également pris des participations sur les blocs sur lesquels se trouvent des découvertes. C’est principalement le cas de l’Inde, engagé via des sociétés privées et publiques et avec qui les relations sont meilleures avec le président Filipe Nyusi, ancien élève d’une école de commerce du Gujarat. Le Japon et la Thaïlande sont également impliqués.
- La présence de la Chine via CNPC aux côtés d’ExxonMobil sur le bloc 4 n’a pas échappé au contexte de rivalité sino-américaine. L’administration Trump a tout fait pour empêcher le déblocage de prêts et garanties bancaires pour ce projet, craignant in fine que cela profite aux sociétés d’État chinoises. En revanche, Total profitera de près de 5 Mds de $ de financements américains grâce à l’implication d’un grand nombre de contractants venant des États-Unis.
- Du fait d’une relation politique avec le Frelimo datant du temps de l’URSS et du combat pour l’indépendance contre le Portugal, la Russie joue un rôle militaire non négligeable dans la future zone d’implantations des infrastructures gazières de Cabo Delgado, et ce même si son implication pétrolière dans le pays demeure cantonnée à l’exploration. Quant à l’Afrique du Sud, également impliquée dans la sécurité à Cabo Delgado, son engagement pétrolier, via Sasol, est en baisse avec la mise en vente d’une partie de ses actifs. La relation entre le Mozambique et l’Afrique du Sud, autrefois essentielle, devrait peu à peu évoluer avec l’arrivée massive de capitaux provenant de pays occidentaux et asiatiques impliqués dans le projet gazier.
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