La Russie face à un triple défi : réforme constitutionnelle, chute du prix du pétrole et COVID-19
Le printemps 2020 devait offrir deux points d’orgue à Vladimir Poutine. Le 22 avril, un vote populaire était censé couronner la procédure de révision constitutionnelle, ouvrant le chemin au maintien du président russe au pouvoir jusqu’en 2036.
Le 9 mai, la célébration de la journée de la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale, avec le retour des dirigeants occidentaux dans les tribunes, devait – en dépit du maintien des sanctions – clore symboliquement un cycle de stigmatisation de Moscou depuis 2014. Le calendrier a été bousculé par la crise du COVID-19 : après une longue hésitation, le Kremlin a annoncé le report des deux événements. La gestion de l’épidémie accapare désormais l’agenda du président Poutine qui ne s’est jamais autant adressé à la population russe en si peu de temps.
Insuffisance des mesures de soutien économique
La chute du prix du pétrole sur les marchés mondiaux a entraîné celle du cours du rouble et des revenus de la population, déjà en érosion depuis 2014. Cependant, les grandes agences de notation n’ont pas revu à la baisse les prévisions macroéconomiques (« stables ») pour la Russie. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une chute du produit intérieur brut (PIB) de 5,5 % en 2020, mais le retour à la croissance dès 2021. La dette publique et privée est faible – les sanctions occidentales y ont contribué – et les réserves de change sont importantes : 565 milliards de dollars. La population et les entreprises sont cependant loin d’être rassurées par ces indicateurs macroéconomiques : les mesures de soutien aux ménages et aux entreprises ont été perçues comme insuffisantes, voire inappropriées et pénalisantes. Ainsi, lors de sa première intervention au début de la crise, Vladimir Poutine a annoncé l’augmentation de la taxation des flux de capitaux sortants (à 15 %) et des revenus de l’épargne dont le montant dépasse un million de roubles (13 %).
À la différence des pays occidentaux, la stratégie adoptée semble chercher à limiter autant que possible les aides directes et les ponctions dans les réserves accumulées. La Chambre de Commerce et d’Industrie russe anticipe pourtant la faillite de trois millions d’entrepreneurs russes. Il a fallu attendre la quatrième intervention publique de Poutine pour entrevoir des mesures plus consistantes de soutien aux régions et au secteur privé comme les crédits bancaires à taux zéro pour payer les salaires. Toutefois, ces crédits sont tellement conditionnés que le ministre du Développement économique lui-même – en passant des appels sous couvert d’anonymat – n’a pas réussi à en obtenir un.
Le transfert de la gestion politique aux régions
Quant à la gestion politique de crise, elle a été confiée aux gouverneurs, qui risquent non seulement leur poste, mais jusqu’à sept ans de prison en cas de négligence ayant causé des morts. Expliqué par la diversité des situations régionales, ce transfert de responsabilité est surprenant dans un système où la verticalité du pouvoir laissait traditionnellement peu de marge de manœuvre aux régions, mais il permet au Kremlin de désigner les coupables et de canaliser les mécontentements potentiels en cas de problèmes graves. Cette décentralisation de la prise de décision a généré plusieurs tensions entre le centre fédéral et les régions, le cadre législatif n’étant pas toujours respecté, notamment, en cas de fermeture des frontières administratives, comme en Tchétchénie.
Les Russes retiendront de cette crise un retrait et une mollesse inhabituelle du président Poutine par contraste avec l’activisme de Sergueï Sobyanine, maire de Moscou et président du groupe de travail chargé de la lutte contre l’épidémie. C’est sur son insistance que Moscou a adopté la stratégie de confinement au moment où le Kremlin semblait encore hésiter.
Poutine, en perte de vitesse ?
L’épidémie va accélérer et approfondir les tendances déjà en cours dans le système politique russe, dont l’érosion progressive de la popularité de Poutine. Les derniers sondages commencent à envoyer des signaux qui doivent alerter le Kremlin. Plus de 60 % des personnes sondées souhaitent imposer une limite d’âge aux fonctions présidentielles et plus de la moitié aspirent à la rotation du pouvoir au plus haut sommet de l’État (Levada, 30 mars 2020). Le président est perçu comme celui qui incarne les intérêts des oligarques (38 %) et des siloviki (37 %), plutôt que des « gens ordinaires » (16 %) (Levada, 14 avril 2020). Ce mécontentement palpable ne se traduit pas par un potentiel de protestation accrue, a fortiori en période de crise sanitaire. Mais l’organisation du vote pour la réforme constitutionnelle – si le scrutin est maintenu – à la sortie de l’épidémie risque d’être une épreuve pour les autorités, ainsi que les élections parlementaires de 2021. Les dirigeants auront probablement recours à des méthodes bien rodées : propagande officielle, détournement et trucage des procédures législatives, intimidation et répression ciblées de l’opposition, contrôle renforcé d’Internet… À ce stade, cette crise du COVID-19 semble clairement être une occasion manquée pour Vladimir Poutine de consolider son pouvoir et sa légitimité autrement : non seulement par des aides économiques directes, mais aussi par de l’empathie, un sens de la situation et un leadership moral. Ces qualités qui semblent faire défaut dans la gestion de la crise pour replâtrer le mur de la confiance qui ne cesse de se fissurer depuis l’annonce de la réforme des retraites en 2018.
Politique internationale
Sur le plan international, la crise semble confirmer les anticipations du Kremlin. Le déclin du modèle occidental, l’affaiblissement du leadership américain et le manque de solidarité transatlantique, mais aussi intra-européenne, la montée de la Chine, l’importance de la souveraineté, des frontières et de l’État, de l’autonomie et de l’autosuffisance dans différents domaines… Margarita Simonian, rédactrice en chef de la chaîne publique RT l’a résumé sur son compte Twitter avec son franc-parler inimitable : les Russes n’auraient plus rien à apprendre du modèle européen dépassé, il faut désormais suivre l’exemple de la Chine. Cependant, l’inquiétude perce au sujet de la place de la Russie face au duopole sino-américain. Des experts en politique étrangère se mobilisent pour appeler à la diversification de la politique étrangère. Vladimir Poutine a d’ailleurs profité de la chute des prix du pétrole pour établir un canal bilatéral de dialogue énergétique avec Donald Trump. Moscou a aussi envoyé de l’aide médicale aux États-Unis, ainsi qu’à l’Italie ou à la Serbie, très médiatisée à cause des soupçons d’arrière-pensées politiques liées à l’espoir de briser le front uni des sanctions occidentales. La demande de levée des sanctions compte tenu de la crise épidémique a d’ailleurs été la seule contribution visible de Vladimir Poutine à l’agenda du G20 du 26 mars 2020 qui s’est tenu en visioconférence. La Russie devrait pourtant se réinventer une posture globale nouvelle pour peser davantage et différemment dans la période qui s’ouvre.
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