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Le Portugal et l’Afrique lusophone : des relations post-coloniales complexes

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Si les relations entre la France et l'Afrique ont fait l'objet de nombreux travaux, les rapports entre le Portugal et ses anciennes colonies restent moins étudiées. Cette publication vise à apporter un éclairage sur les relations diverses entre Portugal et les pays d'Afrique lusophone.

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Les anciennes colonies portugaises ont été parmi les dernières du continent à obtenir leur indépendance, entre 1974 et 1975[1]. Certaines l’ont acquise à l’issue de guerres de libération (Angola, Mozambique et Guinée Bissau), d’autres de façon plus pacifique (Cap Vert et Sao Tomé et Principe). Après le coup d'État du 25 avril 1974 à Lisbonne contre la dictature salazariste, consécutif à la « révolution des œillets », la dictature de l’Estado Novo était mise à bas et remplacée par des dirigeants démocrates qui allaient accéder aux revendications d’indépendance.

Lorsque les colonies portugaises sont parvenues à se libérer de la tutelle de Lisbonne, les dirigeants des nouveaux États souverains ont dû affronter une profonde pénurie de ressources humaines. En effet, entre 500 000 et 700 000 retornados portugais[2] ayant occupé les postes de l’administration coloniale ainsi que des fonctions essentielles dans le secteur privé, sont repartis au Portugal. De plus, le départ du colonisateur a laissé place à des longues guerres civiles en Angola (1975-2002) et en Mozambique (1976-1992), détruisant les infrastructures des deux pays.

Ce texte se propose d’analyser la relation Portugal/Afrique, de nature très différente selon les pays. Sur le plan économique par exemple, la plupart des pays lusophones africains se situent très loin derrière le Portugal avec un produit intérieur brut (PIB) de 238 milliards de dollars américains (Mds USD courants[3]) en 2019 contre 1,98 pour le Cap Vert, 1,34 pour la Guinée Bissau, 15,29 pour le Mozambique et 418 millions pour Sao Tomé et Principe.

A contrario, l'Angola s'est retrouvé dans une situation quasi post-post coloniale avec un PIB qui s'est rapproché de celui de l'ancienne puissance coloniale atteignant les trois quarts de la richesse portugaise en 2014. Par relation post-post coloniale, nous entendons le fait que le Portugal, en grande difficulté économique après la crise financière de 2008 (et qui allait esquisser un rebond seulement à partir de 2018), était à la recherche de capitaux parmi ses alliés et son ancien domaine colonial (africain, brésilien et chinois [Macao]) et des opportunités pour une partie de sa population active en Angola. En effet, à l’issue de la guerre civile en 2002, l’Angola a connu une rapide expansion économique jusqu’au milieu des années 2010. Ces liens économiques sont donc loin d'être anecdotiques, l'Afrique demeurant la deuxième zone de débouché, en volume, pour les produits d'exportation portugais[4] après l'Union européenne (UE).

La politique africaine du Portugal se décline en trois axes. Le premier est mené via l'UE et les organismes régionaux comme la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), via les organismes panafricains (Union africaine) et via la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). Le deuxième axe se traduit par une coopération économique et politique avec les anciennes colonies dont l'économie (Guinée Bissau, Cap Vert, Sao Tomé et le Mozambique) et la population (excepté le Mozambique) sont relativement faibles et le dernier avec l'Angola avec lequel les liens économiques, politiques et culturels sont particulièrement denses. Nous nous proposons de discuter de la nature et des ressorts de ces différentes relations avec ces pays africains et les moyens dont les acteurs publics et privés portugais disposent aujourd'hui pour peser sur le continent.

Quels sont les instruments de la politique africaine du Portugal ?

Le Portugal a des moyens relativement modestes pour mener sa politique africaine. Au Ministère des affaires étrangères, le directeur Afrique dispose d’une équipe restreinte de sept diplomates faisant partie de la Direction générale des affaires politiques.

Le Portugal peut s'appuyer sur un réseau diplomatique de 18 ambassades en Afrique dont 13 en Afrique subsaharienne (contre 42 pour la France et 38 pour l'Allemagne[5]). Mis à part ses cinq anciennes colonies, Lisbonne n'est présente que dans les plus importantes économies du continent (Afrique du Sud, Kenya, Nigeria, Ethiopie) ou encore dans quelques pays proches de pays lusophones (Zimbabwe, RDC, Namibie et Sénégal). Le Portugal est par ailleurs membre observateur de la CEDEAO.

Au même titre que l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et le Commonwealth sont des vecteurs d’influence sur le continent pour la France et le Royaume-Uni, la CPLP est un instrument d'influence du Portugal. Cependant, si le siège de l'institution se trouve à Lisbonne, le leadership de l’organisation est partagé avec l’Angola et le Brésil. Cette institution, créée en 1996, est un espace de promotion de la langue portugaise et un cadre d’entraide politique. Un pilier économique devrait par ailleurs être ajouté aux objectifs de l'institution - il devait être officialisé lors du sommet de septembre 2020 de Luanda repoussé à juillet 2021 pour cause de COVID-19.

Conscient de la modestie de ses moyens, Lisbonne élabore de plus en plus sa politique africaine via des coopérations aux niveaux continental et régional. Le pays a par exemple toujours été à l'avant-garde de la coopération entre l’UE et l’Union africaine (UA). Il a, à ce titre, été à l'initiative du premier sommet UE/UA qui s'est tenu au Caire en 2000 puis du deuxième sommet (2007) organisé à Lisbonne durant la présidence portugaise de l'UE. La plupart des membres du CPLP passent d'ailleurs par le Portugal pour relayer leurs doléances à l'UE. Dans le document expliquant les priorités de sa présidence de l'UE (janvier-juin 2021), le Portugal évoque à 26 reprises l'Afrique et promet de participer activement au sixième sommet UE/UA. De plus, en avril 2021, le Portugal organisera à Lisbonne, conjointement avec la Banque européenne d’investissement, un forum de haut niveau Europe-Afrique sur l’économie et les investissements verts[6].

Des relations spéciales avec l'Angola et plus modestes avec les autres anciennes colonies

L'Angola a un statut à part dans la politique étrangère du Portugal. Cette relation a été forgée par de profonds liens historiques, familiaux et culturels entre les élites des deux pays, une relation qui a survécu à la guerre de libération comme à la guerre civile. La période coloniale a donné lieu à un métissage luso-angolais, très représenté dans les élites angolaises. Les métis sont très présents dans l'administration et l'économie angolaise.

L'Angola est le troisième partenaire commercial de Lisbonne jusqu'à la crise de 2008[7]. Consécutivement à cette crise, des entreprises portugaises de télécommunications, des banques et des sociétés pétrolières se retrouvent alors rachetées ou investies par des hommes et femmes d'affaires angolais[8]. L'Angola (30 millions d'habitants), qui connait alors une croissance soutenue liée au prix du baril de pétrole et au niveau de production, atteint un PIB de 145 Mds USD en 2014 tandis que le Portugal, alors en plein marasme économique, tombe à 199 en 2015. Selon les chiffres officiels de l'observatoire de l'émigration portugais, 92 783 Portugais travaillent alors en Angola en 2017 contre seulement 7014 en 2000[9].

Cette situation ne dure cependant pas, les deux économies se mettent ensuite à diverger : en 2019, le Portugal atteint un PIB de 238 Mds USD alors que le PNB angolais s’effondre à 88 Mds USD. Au niveau de la richesse par habitant, les chiffres sont encore plus éloquents avec un passage de 5408 à 2790 USD par habitant en Angola entre 2014 et 2019. L'Angola traverse depuis 2016 une violente crise économique, – notamment due à la baisse de la production pétrolière et des prix du baril. Le pays doit faire appel au Fond monétaire international, en empruntant en 2018 3,7 Mds USD. L'Angola présente, début 2020, un endettement de 120 % de son produit national brut (PNB), l'un des pires ratios du continent, et sa monnaie, le Kwanza, voit sa valeur s'effondrer[10].

Si l'ambassade du Portugal à Luanda parait modeste avec ses cinq diplomates, la relation politique et les interpénétrations économiques luso-angolaises demeurent très fortes. Le Portugal a, pendant les dix dernières années, tenté d’étouffer certains scandales liés à cette intrication économique. 

En 2013, la justice portugaise lance une enquête contre le vice-président de l'époque Manuel Vicente pour présomptions de corruption dans la Banque BCP-Millenium, dont les grands actionnaires sont les Chinois de Fosun et les Angolais de Sonangol, lorsque Vicente était encore le président de la société pétrolière Sonangol (1999-2012). A l'arrivée du président Joao Lourenço au pouvoir en Angola en 2017 - après le règne de 39 ans d'Eduardo Dos Santos[11]-, l'Angola a exercé une pression très forte pour que le dossier judiciaire soit instruit à Luanda. Le procès s'est ouvert au Portugal en janvier 2018 mais Lourenço a obtenu son transfert en Angola en mai 2018 ce qui a ouvert la voie à l'organisation d'une visite officielle au Portugal du 22 au 24 novembre 2018.

La relation politique et économique entre l'Angola et le Portugal se distingue de celles entretenues avec les autres anciennes colonies en Afrique. Pour ces dernières, on peut davantage parler de relations de coopération avec des pays en développement.

Quant à la politique à l’égard des pays africains non lusophones, les moyens qui sont alloués par le gouvernement portugais demeurent également très limités. Certains jouent tout de même un rôle politique non négligeable comme le Sénégal, qui est un poste d'observation indispensable du Portugal afin d'appréhender au mieux le dossier bissau-guinéen. Dakar est également une capitale régionale qui compte une importante diaspora cap-verdienne (25 000 personnes).

Le Mozambique, quelles promesses pour les compagnies portugaises ?

Si l'Angola n'est plus la destination phare des travailleurs et des firmes portugaises qui ont largement pâtis de l’effondrement des prix du baril depuis 2016, le pays demeure néanmoins la tête de pont des investissements portugais en Afrique.

Les principales firmes portugaises sont actives en Angola ou au Mozambique dans la construction avec Elevo (également au Cap Vert et Gabon), Mota Engil, ou encore Teixeira Duarte, ainsi que dans les télécommunications avec VisaBeira, dans le pétrole avec Galp et dans la production d’énergie, la mobilité électrique, l'ingénierie et les transports avec EFACEC.

Ces firmes observent avec attention l’évolution du Mozambique, futur grand producteur de gaz - dont le PIB est encore aujourd'hui cinq fois plus faible que celui de l'Angola[12] et où le PIB par habitant est l’un des plus modestes du continent (503 USD en 2019). Depuis 2010, le Mozambique a découvert de gigantesques réserves de gaz dans le domaine maritime de la province de Cabo Delgado[13] (frontalière avec la Tanzanie). Les multinationales Total et ENI développent depuis 2017 les gisements et les premiers mètres cubes devraient être commercialisés dès 2022. L'insécurité persistante en raison de la présence d’une insurrection djihadiste dans le nord pourrait toutefois ralentir le calendrier. 

Futur géant de la liquéfaction du gaz, le Mozambique est susceptible de devenir un important terrain d'opportunités pour des firmes portugaises implantées de longue date dans le pays. Ce dernier pourrait dans les prochaines années attirer une petite partie de la main d'œuvre qualifiée en partance d'Angola.

Conclusion

Le Portugal est conscient de ses faiblesses du fait d'un petit marché domestique et de la succession de crises économiques qui ont limité ses moyens financiers et sa capacité à déployer des ressources humaines dans la représentation diplomatique. Cependant, cette situation économique a forcé nombre de firmes de construction portugaises à se projeter à l'international, favorisant la création de géants dans le secteur des bâtiments et des travaux publics. Ces firmes ne dépendent pas du soutien de l'État portugais et elles ont su acquérir depuis des décennies des parts de marché notamment en Afrique lusophone. Politiquement, l'attention du Portugal en Afrique reste focalisée sur ses anciennes colonies et leur environnement immédiat et principalement sur l'Angola avec qui la relation demeurera prioritaire et ce même si la situation économique y est aujourd'hui très difficile. Le regard reste également tourné vers le Mozambique où les premiers revenus significatifs du gaz sont attendus à l’horizon 2030.


[1]. Pour aller plus loin sur les luttes des colonies africaines du Portugal avant les indépendances, « Situation depuis Janvier 1961 dans les territoires administrés par le Portugal », Présence Africaine, 1963/1 (N° XLV), p. 136-157.

[2]. Les chiffres fluctuent en fonction des sources. La fourchette basse de 500 000 est mentionnée dans ce texte « Partir pour revenir : le cas de retornados portugais », 2016.

[3]. Les chiffres de PIB et de PNB par habitant de ce texte sont exprimés en dollars américains courants. Les sources sont « Les données ouvertes de la Banque mondiale »

[4]. Ministère des Affaires étrangères portugais, « Sub-Saharan Africa », 2021.

[5]. Giovanni Faleg & Carlo Palleschi, « African Strategies. European and Global Approaches towards Sub-Sahara Africa », ISS Chaillot Paper, n°158, 2020, p. 26.

[7]. Entretien avec un diplomate à Lisbonne, janvier 2020.

[8]. Certains hommes et femmes d'affaires angolais ont largement investi au Portugal l'argent accumulé lors du boom pétrolier post-guerre civile. C'est notamment le cas de la fille de l'ancien président José Eduardo Dos Santos, Isabel Dos Santos, présente dans la banque Banco Português de Investimento et Banco BIC Português, l'énergie et le pétrole avec Galp et les télécommunications avec Unitel. Une grande partie de l'intelligentsia du Mouvement pour la libération de l’Angola (MPLA) au pouvoir depuis l'indépendance en Angola a de plus acquis des biens immobiliers à Lisbonne et vit une partie du temps dans cette ville.

[9]. Observatoire de l'immigration, « Angola », 2021 ; pour aller plus loin sur la question migratoire et le départ des Portugais vers l'Afrique et principalement en Angola : Irène Dos Santos, « L’Angola, un Eldorado pour la jeunesse portugaise ? », Cahiers d’études africaines, 221-222 | 2016, 29-52.

[10]. En 2015, 100 kwanzas équivalaient à un dollar contre 653 au moment (décembre 2020) où nous rédigeons ces lignes.

[11]. La lettre du continent, « ANGOLA : João Lourenço droit dans ses bottes », 12 décembre 2018.

[12]. Ce phénomène n'est pas encore visible dans les chiffres officiels, il y avait encore vingt fois plus de Portugais en Angola en 2017 qu'au Mozambique selon l'observatoire de l'émigration portugais : Observatoire de l'immigration, « Angola », 2021

[13]. Benjamin Augé, « Mozambique : les défis sécuritaires, politiques et géopolitiques du boom gazier », Études de l'Ifri, août 2020.

 

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979-10-373-0296-0

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Benjamin AUGÉ

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Créé en 2007, le centre Afrique subsaharienne de l’Ifri produit une analyse approfondie du continent africain, de ses dynamiques sécuritaires, géopolitiques, politiques et socio-économiques (en particulier le phénomène d’urbanisation). Le Centre se veut à la fois, via les différentes publications et conférences, un espace de diffusion d’analyses à destination des médias et du public mais aussi un outil d'aide à la décision des acteurs politiques et économiques à l'égard du continent.  

 

 

Le centre produit des analyses pour différents organismes tels que le ministère des Armées, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Agence française de développement (AFD) ou encore pour différents soutiens privés. Ses chercheurs  sont régulièrement auditionnés par les commissions parlementaires.

 

 

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